Les newsfeeds pour recréer de l’engagement en entreprise?
Par Jean-Louis Bénard, expert FrenchWeb
Le monde de la communication interne a répliqué les recettes du succès des réseaux sociaux en proposant aux collaborateurs des newsfeeds dans la même veine. Mais les limites du système sont déjà visibles.
Le 16 février 2019, John McEnroe fêtait ses 60 ans. A cette occasion, un de mes amis partageait une vidéo mythique, apparue sur mon newsfeed. Impossible de résister… Mais voilà qu’après le visionnage, la machine s’emballe. Dans les secondes qui suivent, en scrollant dans le newsfeed de ce réseau social grand public, des dizaines d’extraits de matches surgissent. Et évidemment je me laisse tenter à regarder quelques extraits …
La plupart des réseaux sociaux publics ont un algorithme de newsfeed qui sert en premier les contenus sur lesquels il y a la plus forte probabilité d’engagement, fonction de l’âge, des contenus précédents sur lesquels il y a eu des interactions, etc. Un newsfeed unique, qui sert le bon vieux « si tu as aimé cela tu aimeras probablement cela ». C’est simple et ça fonctionne plutôt bien, en dépit des effets de bord et des critiques que cela a généré sur la confortation permanente de nos propres idées.
Les plateformes de communication interne ont toujours été en galère. Contenu inintéressant, mal ciblé, peu engageant sur la forme… Les collaborateurs ont déserté, et beaucoup d’entreprises ont perdu la bataille des 5 minutes de temps libre. Les newsfeeds mode réseaux sociaux sont de fait apparus comme la voie salutaire pour recréer de l’engagement. Un newsfeed unique qui maximise la probabilité d’engagement, voilà la bonne idée.
Pourtant les problèmes émergent déjà. Paul, qui a déployé une solution pour un de ses clients, une grande entreprise, me confiait « Les gens ont créé sur la plateforme un groupe avec des photos d’eux, en télétravail, accompagnés de leur chat. Ca cartonne. Par contre on ne sait plus trop comment faire car le newsfeed des collaborateurs est maintenant rempli de chats. Du coup les contenus importants sont noyés, il faudrait qu’on fasse du contenu plus engageant surement ». Paul a un gros problème. Car personne n’a jamais battu les chats au concours de l’engagement. Les chats règnent en maitres sur les newsfeeds…
Laurent (il ne s’appelle pas Laurent, et Paul ne s’appelle pas Paul non plus vous vous en doutez) m’explique quant à lui : « le boss est devenu fou quand il s’est aperçu que l’annonce de la fusion était rapidement passée dans le newsfeed, c’était le jeudi, le jour des rappels des pots de départ et d’arrivée… Je dois maintenant reposter l’annonce plusieurs fois par jour pour être sûr que tout le monde l’a vu ».
Le problème de Paul et de Laurent est un peu le même. Ils ont sacrifié le contrôle de leur newsfeed sur l’autel de l’engagement. Le newsfeed unique, avec son algorithme de maximisation de l’engagement, mange tout. Les collaborateurs pourraient cliquer dans des groupes dédiés, mais ils ne le font pas, car le newsfeed est plus simple. Bon nombre de plateformes ont par ailleurs choisi de regrouper dans un seul newsfeed ce qui relève de la communication d’entreprise et ce qui relève de la collaboration. Deux sujets qui pour moi n’ont rien à voir. Résultat : la collaboration génère une volumétrie de news considérable qui vient dynamiter les nouvelles importantes de la communication d’entreprise. Les collaborateurs retrouvent le fameux syndrome du Fear Of Missing Out. Il faut scroller, scroller, pour être sur de ne rien manquer d’important.
Non seulement l’entreprise ne maitrise pas les règles de ce qui est montré aux collaborateurs, mais quand bien même elle le pourrait, la volumétrie de posts est tellement importante qu’il s’agit d’un travail de titan, et le choix est cornélien : faut-il masquer dans le newsfeed des posts liés aux projets pour privilégier ceux de la communication interne ? Pas si sûr. Il n’y a naturellement pas de réponse simple à ces sujets. Il faut prendre des options, des choix qu’on assume. Voici mes convictions.
Reprendre le contrôle du newsfeed
L’entreprise doit pouvoir décider ce qui apparait, dans quel ordre, que ce soit sur le mobile du collaborateur ou sur son PC. Quand un contenu apparait, quand il disparait, quand il doit être « épinglé en haut ». L’entreprise doit pouvoir gérer plusieurs types de newsfeed pour ses différents types de collaborateurs. Le newsfeed du top management doit il ressembler à celui des collaborateurs en usine ? Pas forcément. Mais on doit pouvoir aussi laisser à chacun une certaine flexibilité pour qu’il y ait un bon équilibre entre «l’obligatoire», et le «je m’abonne». Un bon équilibre entre le contenu créé par l’entreprise, le contenu créé par les collaborateurs, le contenu externe issu de la curation. Bref ce dont nous parlons, c’est bien d’éditorialiser le contenu, d’en reprendre le contrôle dans le bon sens du terme.
Séparer la collaboration de la communication d’entreprise
L’éditorialisation de la communication interne (qu’il soit top down ou bottom up) nécessite la dissociation de la communication et de la collaboration, pour les raisons que nous avons évoquées précédemment. La volumétrie du contenu de collaboration vient noyer toute approche structurée de communication si les deux s’expriment sur la même plateforme.
Séparer la collaboration d’entreprise, c’est aussi se donner les moyens d’adapter la visualisation du contenu aux attentes du collaborateur. Lorsque je collabore sur un projet, mon mode d’interaction est quasiment celui de la conversation (d’où le succès de Slack et de Microsoft Teams). Je veux voir l’info rapidement, sans fioriture, et je contribue de même. Un contenu de communication interne relève plus de la manière dont on regarde un média : on arrive sur un contenu, et on est tenté par un beau carrousel photo, une vidéo sur laquelle on peut faire play sans avoir à sortir de l’interface, etc. Bref la séparation ne dispense pas de faire du contenu intéressant, mais elle permet de le véhiculer dans un contenant qui répond aux aspirations d’aujourd’hui, notamment le côté hyper visuel.
Chasser les chats
Il faut à un moment regarder la réalité en face. Se faire croire qu’on a réussi parce qu’on a de bonnes statistiques, mais avec un mur devenu un mélange du bon coin et d’un concours de lolcats, c’est se mentir. Il vaut mieux avoir des stats difficiles et travailler sur les axes de progrès (qualité du contenu, segmentation contenu/groupes utilisateurs, intégration de contenus bottom-up, structuration de l’ordre du newsfeed, éditorialisation des notifications mobile et des newsletters) que de laisser les chats régner en maitre. C’est sûr, ça demande un peu plus d’efforts, mais avoir des collaborateurs bien informés et engagés sur des sujets liés à l’entreprise, cela le vaut bien.
L’expert
Jean-Louis Bénard est co-fondateur et CEO de Sociabble, une plateforme utilisée dans plus de 80 pays, qui permet aux entreprises de bien informer et d’engager les collaborateurs, pour qu’ils deviennent des ambassadeurs. Il est également Chairman de Brainsonic, une agence qu’il a fondée en 2003. Auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages, dont «Extreme Programming» (Eyrolles), il est par ailleurs investisseur dans plusieurs start-up françaises.
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