InvestissementsOlivier EzrattyTECH

Les plans industriels des années 2000

Après avoir fait le tour des grands programmes industriels des années 1945 à 2000, je vais me pencher sur les changements de méthodes de l’Etat dans sa stratégie industrielle, intervenus depuis une quinzaine d’années. On a eu droit à des plans industriels sectoriels ou pluri-sectoriels associés à des distributions de subventions, et à des approches plus transversales comme la French Tech et une évolution de la régulation comme dans les télécommunications.

Les paris s’y sont dilués, les groupes de pression privés et publics ont pris le dessus, le tropisme R&D des aides à l’innovation a perduré et s’est même amplifié dès lors que l’Etat est de moins en moins un grand client d’innovations. Tandis que la Silicon Valley et même Israël sont devenus des références à copier peu ou prou, les plans de développement d’un véritable écosystème entrepreneurial n’ont vu le jour qu’il y a à peine quelques années.

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Les nouveaux plans industriels des années 2000

A partir des années 2000 et avec l’émergence du numérique, les plans industriels se sont multipliés. L’approche adoptée était différente des trente glorieuses, prolongées dans les faits jusqu’aux années 1990.

Une foultitude de plans et d’instruments de financements généralistes ont vu le jour, toujours fourre-tout et laissant de plus en plus la part belle au secteur privé, mais en s’arque-boutant sur le levier du financement public de la R&D, notamment, via le sacro-saint Crédit Impôt recherche. On est passé de projets industriels d’Etat à des projets de R&D collaborative public/privés financés sur appels à projets et au coup par coup. Ce n’était en général plus lié à un rôle d’Etat client ce qui a eu comme conséquence d’éloigner les industries des marchés porteurs au lieu de les en rapprocher.

Plans Industriels France

La place laissée au secteur privé est plus grande et au prix d’une grande dispersion. Elle a généré une absence d’ambition clairement formulée. A force de saupoudrer ses subventions et plans, l’Etat n’arrive plus à proposer des «moonshots» ambitieux et mobilisateurs dignes de la science fiction que nous propose la Silicon Valley. Les plans sont trop sages et ennuyeux. Ainsi, dans le cloud et le big data, l’Etat va soit soutenir une filière, soit imaginer des solutions «souveraines». Dans les deux cas, sans objectif précis qui permette de faire avancer l’état de l’art au-delà des meilleurs écosystèmes mondiaux.

L’Etat va donc soutenir en aveugle des filières industrielles, souvent sous la houlette de grandes entreprises établies qui au passage, s’adonnent aux délices de l’innovation ouverte. C’est la prolongation d’un statu-quo avec d’un côté de grandes entreprises qui n’en ont pas besoin comme Airbus, et d’autre part, des canards boiteux assez mal en point. Reste à trouver un juste milieu entre l’inaction et le bougisme !

Refaisons donc un petit tour de tous ces plans sachant que je ne cite pas les nombreux plans et propositions issus de think tanks comme l’Institut Montaigne ou des organisations professionnelles comme le MEDEF ou le Syntec.

Plan Nouvelle France Industrielle (2004, Jean-Louis Beffa, 171 pages)

Ce plan était l’un des premiers d’une longue série visant à corriger les effets néfastes de la désindustrialisation rampante de la France, qui se manifeste dans presque tous les pays occidentaux. Il dénonce une spécialisation trop bas de gamme des industries traditionnelles et déplore l’absence de leaders mondiaux français dans les «hautes technologies», notamment du fait d’un manque d’investissements dans la R&D à une époque où le Crédit Impôt Recherche ne profite qu’aux PME et ne représente que 489 millions d'euros de dépenses fiscales, contre dix fois plus aujourd’hui, avec son élargissement aux entreprises de toutes tailles. Il insiste sur le besoin de développer des PME et des ETI industrielles. Dans son benchmark, il s’appuie sur l’exemple américain avec le financement de la R&D privée, et, c’est moins judicieux, sur le système japonais qui commençait déjà à battre de l’aile.

Le Rapport Beffa a entraîné la création en 2005 de l’Agence de l’Innovation Industrielle, intégrée dans Bpifrance en 2013, cette dernière consolidant alors tous les outils de financement des entreprises de l’Etat. Le rapport préconisait un financement d’un milliard d’euros pour l’AII, focalisés sur six programmes étalés sur plusieurs années, en insistant pour leur donner une dimension européenne (sur une page). Comme la majorité des plans issus de l’Etat, celui-ci proposait de développer l’effort de R&D. C’est de ce plan qu’est sorti le fameux projet «de moteur recherche» Quaero, qui n’en était pas un, et ne faisait que financer des dizaines de projets de R&D sans véritable cohérence. Alors que le Rapport préconisait spécifiquement de financer des projets pouvant déboucher sur des produits (ci-dessous).

Rapport Beffa

L’ironie est que l’Etat français souhaitait en faire un projet franco-allemand mais les allemands n’ont pas adhéré au projet et ont lancé le leur indépendamment. Sans rapport avec Quaero, le moteur de recherche français Qwant lancé en 2013 par une équipe d’entrepreneurs sans liens avec la recherche publique, a bénéficié en 2014 de l’investissement de l’allemand Axel Springer! Pour une raison simple: le marché allemand est l’un des plus sensibles au monde à la protection de la vie privée des utilisateurs et c’est l’un des principaux bénéfices affichés de Qwant. Ce qui sera malheureusement probablement insuffisant pour tailler des croupières, même modestes, au leader mondial qu’est Google.

Dans le numérique, seules les «couches basses» (matériel, réseaux) étaient évoquées dans le plan Beffa. Il n’y avait rien sur les couches hautes (logicielles, applications) qui ont vu émerger les leaders mondiaux. Dans la santé, le plan n’intégrait rien sur la génomique générique.

Le plan préconisait de s’investir dans le solaire photovoltaïque mais sans évoquer les termes de la compétition qui commençait à se jouer avec l’Allemagne et la Chine. L’erreur stratégique dans ce secteur a été de se focaliser sur l’amélioration des rendements énergétiques qui est un objectif technique et pas sur le coût au W/h produit qui est un objectif économique correspondant aux besoins du marché, le solaire devant devenir plus compétitif que les énergies fossiles pour se développer.

Passer de 17% à 20% de rendement d’une cellule PV n’a aucun intérêt si son coût augmente plus que le rapport 20/17 ou … qu’elle est trop difficile à industrialiser! Cela a notamment aboutit à la création d’une joint venture entre EDF Energies Nouvelles et le CEA, le fabricant de panneaux solaires Photowatt, absorbé après sa faillite en 2012 par EDF EN. La société a pas mal planché sur l’amélioration du rendement des cellules PV mais ses panneaux solaires finis étaient trop chers et pas assez compétitifs, autant faute d’économies d’échelle que du fait du coût du travail en France. Leurs panneaux ont été et sont encore vendus à pertes!

Rendement vs cout au watt des cellules solaires PV

A noter la présence dans le comité de création de ce rapport de Pierre Gattaz (à l’époque, patron de la FIEEC, une des branches du MEDEF), d’un représentant de la CFDT, et de patrons divers (Thyssen Krupp, Mérieux, SAGEM, Thalès). La nouvelle garde entrepreneuriale n’avait pas encore droit de cité.

Les clusters et les pôles de compétitivité (2005)

Parmi les différentes méthodes de tentative de copie de la Silicon Valley, les clusters technologiques sont en bonne position dans les stratégies européennes. Ils ont vu le jour en France dans les années 1970 et 1980 à Sophia-Antipolis et à Grenoble.

Poles Competitivite 2016

Mais la Silicon Valley est le fruit d’une riche histoire démarrée au 19e siècle et impossible à copier à l’identique. Il ne faut pas copier, il faut transcender. Aucun pays n’a véritablement réussi à le faire, pas même Israël qui peine à faire grandir ses startups sur son propre territoire exigu. Qui plus est, les conditions initiales du succès de la Silicon Valley du passé ne sont plus forcément valables aujourd’hui. Les commandes militaires qui alimentaient l’université de Stanford ne jouent plus le même rôle qu’avant. L’Etat fédéral a joué un rôle très modeste dans le développement de la Silicon Valley des quinze dernières années, très orienté vers les solutions grand public.

Les clusters sont surtout utiles pour rapprocher physiquement les différents acteurs d’un écosystème : universités, laboratoires de recherche, grandes entreprises, start-up, grandes infrastructures. Ils doivent être des lieux de rencontre pluri-disciplinaires. Les start-up ont autant besoin de lieux pour s’installer que pour rencontrer l’écosystème. Cela explique comment la Halle Freyssinet est construite avec plus de la moitié des 35 000 m2 affectés à des lieux de rencontre et seulement environ un tiers à des espaces à demeure pour les start-up. Il sera difficile d’en loger 1 000 en permanence. Peu importe car il y aura probablement 1 000 startups dans la Halle, mais seulement la moitié à demeure et l’autre moitié de passage.

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La soirée des 10 ans de Cap Digital au Palais de Tokyo en mars 2016.

Créés en 2004 dans la lignée du rapport Beffa, les pôles de compétitivité visaient à fédérer les acteurs de l’innovation par secteur d’activité: laboratoires de recherche, start-up, PME et grandes entreprises. Le principe de base était de favoriser le développement d’approches collaboratives d’innovation. Le tout dans un cycle d’innovation très traditionnel partant de la recherche, allant au développement puis à la commercialisation. Les pôles qui devaient au départ être une douzaine se sont retrouvés in-fine 71. On a même un pôle sur le cheval, hippolia, qui, heureusement, n’a pas drainé de gros financements publics. La raison de cette fragmentation? La politique et l’appel du pied de toutes les régions et départements qui voulaient leur pôle. L’appât pour les participants? Encore du financement de projets collaboratifs. En plus de dix ans, il est difficile d’identifier des projets d’envergure sortis de cette usine à gaz.

Pole Hippolia sur le cheval

Malgré tout, les pôles du numérique tels que Systematic ou CapDigital fédèrent bien leur écosystèmes respectifs. Dans Systematic, au gré des années, la part des start-up y a grandi pour devenir largement majoritaire. Elle était dominante dès le départ chez Cap Digital. Ces pôles accompagnent les start-up dans la conquête de marchés internationaux, aux côté de Business France. C’est déjà ça de pris, même si le chemin est tortueux.

Notons au passage les écueils du méga-cluster de Saclay qui cumule un nombre d’erreurs assez impressionnant : il est surtout conçu comme un grand campus universitaire focalisé sur les sciences de l’ingénieur (Université d’Orsay, CentraleSupelec, et pas loin, l’Ecole Polytechnique et ses écoles d’applications), complétés par le CEA de Saclay, Thalès, EDF et quelques autres grandes entreprises. C’en est presque un ghetto de scientifiques très années 1960 avec une dimension entrepreneuriale faible, d’autant plus que les disciplines telles que le droit, le design ou le marketing n’y seront pas enseignées. Il y bien HEC, mais assez loin au nord de Saclay. Qui plus est, le lieu est assez isolé. Il n’y a rien sur place! Peu d’infrastructures, pas de transports publics dignes de ce nom et une vie sociale bien peu développée. Celle-ci pâtit d’une mixité très déséquilibrée, les établissements d’enseignement étant à grande majorité masculins. Au moins l’immobilier n’y sera pas cher pour y habiter à proximité, si toutefois des projets de construction sont lancés au bon moment. On va donc peut-être remonter dans le classement de Shanghaï des grandes universités mondiales, mais pas forcément créer un véritable écosystème entrepreneurial compétitif.

Les Programmes d’Investissements d’Avenir (2009)

Comme la fin de la publicité en prime time sur France Télévisions annoncée par Nicolas Sarkozy début 2008, ce plan a été lancé sans étude préalable ou rapport de commission Théodule. Le plan est arrivé après son annonce. La commission Juppé/Rocard avait planché sur les conditions de lancement de ce qui s’appelait au départ un grand emprunt, pour relancer l’économie, en pleine crise financière mondiale depuis 2008.

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Michel Rocard expliquant la philosophie du grand emprunt au moment du séminaire de lancement des réflexions sur son volet numérique en septembre 2009.

Le rapport Juppé/Rocard Investir pour l’avenir – Priorités stratégiques d’investissement et emprunt national publié fin 2009 définissait comme axes prioritaires : le soutien générique à l’enseignement supérieur et à la recherche (16 milliards d'euros), le financement des PME innovantes (2 milliards d'euros), les sciences du vivant (2 milliards d'euros), l’énergie (3,5 milliards d'euros), la ville de demain (4,5 milliards d'euros), les transports automobile, aérien et spatial (3 milliards d'euros) et le numérique (4 milliards d'euros devenus 4,5 milliards d'euros après coup). Le PIA est géré par le Commissariat Général pour l’Investissement, créé pour l’occasion. Son financement est administré par diverses entités publiques dont la DGE de Bercy ainsi que Bpifrance.

Le volet financier du PIA était d’une créativité sans nom avec un emprunt dont une bonne part était placée sur les marchés et dont seuls les intérêts annuels pouvaient financer ces programmes. Seule une petite part était allouée immédiatement. Les allocations mélangeaient des aides, des prêts et de l’investissement en capital. De nombreux appels d’offres thématiques ont alors été lancés par la DGCIS (devenue la DGE) à Bercy. Il ne fallait pas louper le train pour en bénéficier, surtout dans la mesure où le train ne passait qu’une seule fois dans votre domaine avec une fenêtre de tir d’un mois, que seuls les frequent fliers des subventions savent saisir!

Ce PIA est devenu une auberge espagnole comme de nombreux plans qui ont suivi. Tous les lobbies industriels se sont bousculés pour se partager les 35 milliards d'euros. L’Etat a fait le coup du jeu de bonneteau sur les budgets: ce qui était financé par le PIA correspondait souvent à des crédits habituels de l’Etat qui avaient diminué de presque autant. Les budgets étaient donc «iso», notamment dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Le PIA finance aussi des programmes de réindustrialisation, cofinancés dans certains cas par l’Union Européenne, assez prolixes en programmes de soutien des régions et de la R&D. On y trouve aussi des objets originaux comme Cap’tronic, une association conjointe CEA et Bpifrance qui accompagne les PME dans leur modernisation par l’électronique embarquée, notamment avec les objets connectés.

De nouvelles structures publiques ont été créées: des IRT – Instituts de Recherche Technologiques, qui facilitent les partenariats entre laboratoires de recherche publics et entreprises, inspirés notamment du Fraunhofer Institute allemand -, les IHU – Instituts Hospitalo-Universitaires ainsi que les SATT – Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies qui ont harmonisé mais pas forcément simplifié le processus de valorisation des brevets issus de la recherche publique. Les IRT et les IHU servent surtout à distribuer des subventions de projets collaboratifs, un peu comme les pôles de compétitivité. Faire la distinction entre un pôle de compétitivité et un IRT n’est d’ailleurs pas trivial.

Comment juger de l’impact industriel du PIA? Il est impossible de s’en faire une bonne vision d’ensemble. Je n’ai pas vu de rapport sur le sujet. Il faut l’analyser industrie par industrie. En la faisant courte, le PIA n’a pas changé grand chose à la compétitivité industrielle de la France. En se focalisant comme souvent sur le financement de la R&D, on est toujours trop loin d’une logique de marchés et d’une approche entrepreneuriale. C’est d’autant plus vrai que les projets qui sont attirés par ces financements sont souvent ceux dont le business model est le moins évident. J’ai pu l’observer de près dans certaines occasions.

Nous avons aussi un exemple majeur d’approche dépassée avec le plan du «cloud souverain» avec les initiatives CloudWatt et Numergy lancées par deux opérateurs télécoms (Orange et SFR) avec des industriels tels que Thalès. Comme toute tentative de créer un «Google français», elles étaient vouées à l’échec car arrivant bien trop tard et dans une approche «top bottom» pas suffisamment entrepreneuriale. Ces deux initiatives qui ont consommé officiellement 150 millions d'euros de deniers publics ont capoté et ont été absorbées chacune par l’opérateur télécom à leur origine. Dans le détail, pourquoi cela n’a pas marché? Tout d’abord, pas un positionnement bancal: la bataille du cloud est mondiale! Or un cloud «souverain» ne l’est que pour son pays d’origine et le marché français est à la fois trop petit et pas assez dynamique dans ce domaine pour porter deux entreprises arrivant dans un marché déjà encombré. Numergy et Cloudwatt ambitionnaient d’atteindre chacun 500 millions d'euros de chiffre d'affaires en cinq ans. CloudWatt n’en a généré que 2 millions d'euros au bout de deux ans d’activité. Qui plus est, la gouvernance était déplorable, avec des actionnaires principaux confondant leur rôle d’investisseur et celui de fournisseur. Enfin, les offres sont arrivées bien trop tard et n’étaient pas assez différentiées pour concurrencer les offres existantes, tant celles des leaders américains (Amazon AWS, Microsoft Azure, IBM, …) que celles d’acteurs français établis tels qu’OVH (150 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2015), Ikoula ou ATOS.

Mais l’Etat sait être persévérant. Un PIA 2 a été lancé en 2013 sous le gouvernement Ayrault, doté de 12 milliards d'euros, alloués à la recherche et aux universités (3,6 milliards d'euros), à la transition énergétique (2,3 milliards d'euros), à l’industrie (1,7 milliards d'euros) et au numérique (2 milliards d'euros). Un PIA3 annoncé en juin 2016 a ajouté 10 milliards d'euros au pot. Il est structuré – ou plutôt saucissonné – comme le premier PIA, en un grand nombre de plans transversaux dans la recherche, l’aide aux PME, le développement international, ou la promotion d’expérimentations dans le secteur public. Côté sectoriel, on y trouve 9 priorités, mais pas forcément les mêmes que dans les autres plans industriels, puisque s’y ajoutent le tourisme, la culture et l’agriculture. Mais peu importe puisqu’elles ne semblent pas directement financées !

Plan France Numérique 2012 puis 2020 (20082011, Eric Besson)

C’était l’un des premiers grands plans numériques de l’Etat depuis le PAGSI lancé sous Lionel Jospin en 1998. La dimension industrielle et entrepreneuriale y était très faible. C’était un plan très orienté sur les télécoms et les contenus. Il faisait la part belle au passage à la TNT, programmé pour 2011. Le plan avait été créé après des Assises du Numérique en mai 2008 et une consultation de l’industrie. Je m’étais même impliqué en proposant 29 mesures sur l’entrepreneuriat. Un thème quasiment absent du plan, ce qui est à proprement parler incroyable. Ces propositions, que je n’étais pas le seul à pousser, ont connu des suites, mais aussi curieux que cela puisse paraître, seulement après l’élection de François Hollande!

On trouvait dans ce plan Besson de 2008 de premières ébauches de plans d’équipement en très haut débit fixe, la fameuse fibre optique. Le travers de ce genre de plan? Ils sont très tournés vers les usages internes au pays, pas à la dimension industrielle et à une orientation vers le monde. En plus, ces plans Besson n’avaient pas de budget. Donc, ils n’intéressaient pas grand monde.

Le premier plan devait être annoncé par Nicolas Sarkozy à l’Elysée en octobre 2008. Mais, pris par la gestion de la crise Lehmann Brothers qui en était à son paroxysme, le Président avait décidé de ne pas descendre de son bureau pour lancer le plan, laissant Eric Besson à l’œuvre. J’ai appris longtemps après que sa décision n’était pas seulement liée à la crise financière mais à son appréciation du plan, qu’il ne trouvait pas assez ambitieux.

Pacte pour la compétitivité de l’industrie française (2012, Louis Gallois, 74 pages)

Premier gros rapport publié après l’élection de François Hollande, il s’attaquait au même sujet qu’avait abordé Jean-Louis Beffa en 2004, mais sous un autre angle. Comme dans chaque rapport, un diagnostic est fait de ce qui ne va pas bien dans le pays et des recommandations sont faites pour réindustrialiser la France. Seul soucis, si le diagnostic n’est pas toujours mauvais, il est souvent très incomplet.

Le rapport comprend un parti pris qui frise l’erreur de diagnostic: affirmer que l’offre française n’est pas assez haut de gamme. C’est un comble lorsque l’on fait le tour des projets gaulliens qui montrent que, justement, le pays est trop haut de gamme dans son positionnement et pas assez orienté sur des marchés de volume. Le diagnostic est cependant valable dans certains secteurs comme dans la sous-traitance industrielle et dans l’automobile, mais pas dans les technologies de pointe (aérospatial, militaire, transports publics, armement). Le rapport continue de s’arque-bouter sur le pourcentage du PIB en dépenses de R&D, trop faible et cause de tous les maux.

On retrouve cette vision trop linéaire de l’innovation qui va de la R&D aux marchés. Au même titre que lorsque l’on cherche à accompagner les chercheurs à devenir des entrepreneurs en leur adjoignant des profils business, on oublie la discipline intermédiaire du «product management», qui associe ingénierie et marketing. Et oui, un projet de recherche ne se transforme pas en produit d’un coup de baguette magique! Même lorsque la technologie peut-être vendue en OEM pour être enfouie dans d’autres produits. Il ne me semble pas avoir vu cette notion de product management citée dans tous ces rapports sur l’industrie.

Les mesures préconisées? Elles portent sur la formation, ce qui est une bonne chose, sur le financement des entreprises, sur l’image générale de l’industrie, sur l’augmentation du nombre d’ETI, sur une approche d’alliances européennes, et aussi sur le fonctionnement du marché du travail. L’ensemble comprend un grand nombre de mesures techniques. Contrairement aux plans précédents et suivants, elles ne sont pas sectorielles. Cela fait l’économie des priorités girouettes.

D’un point de vue pratique, l’Etat a aussi créé début 2013 le Conseil National de l’Industrie, en charge de l’organisation des CSF, les comités stratégiques de filières, créant eux-mêmes des contrats de filières qui sont 14 (aéronautique, alimentaire, automobile, biens de consommation, bois, chimie et matériaux, éco-industries, ferroviaire, industries extractives et de première transformation, industries et technologies de santé, mode et luxe, naval, nucléaire, numérique). Ces contrats ont été établis entre 2012 et 2014.

Si on prend l’exemple du contrat de filière du numérique lancé du temps de Arnaud Montebourg / Fleur Pellerin, on voit qu’il ne mange pas trop de pain. Il est structuré en sept points autour des compétences, du développement de l’alternance dans les métiers (de l’installation) du très haut débit, de la RSE dans la filière (rapport avec une stratégie industrielle?), d’amélioration de la médiation entre PME et grandes entreprises, du développement des exportations, du développement du sans-contact mobile et enfin, du chantier des villes et territoires numériques. Pour le peu de stratégie industrielle que l’on peut trouver dans ce contrat de filière, on trouve : «Faire émerger des entreprises numériques de rang mondial par l’accroissement de la visibilité de l’écosystème “numérique” français grâce à la création de quartiers d’activités numériques et favoriser la recherche et l’innovation dans le domaine du numérique en organisant et concentrant la recherche publique». Et aussi «Promouvoir le développement des usages via un laboratoire à projets numériques au ministère de l’économie numérique». De l’art d’écrire pour ne presque rien faire! C’est à pleurer face aux enjeux du secteur!

La Nouvelle France Industrielle (2013, Arnaud Montebourg, 78 pages)

Ce plan reprend celui de Jean-Louis Beffa créé 9 ans plus tôt. On y trouve 34 priorités. C’est une compilation des plus classiques des projets en portefeuille des grandes entreprises industrielles françaises. Dans le numérique, nous avons du big data, du cloud, de la e-éducation, de la nano-électronique, des objets connectés, de la réalité augmentée, des services sans contacts, des supercalculateurs, de la robotique, de la cybersécurité et aussi de la santé numérique. Presque tout y est! Mais c’est bien fade car aucune ambition claire n’est affichée. C’est du «soutien de filière». Les plans devaient être financés à hauteur de 20 milliards d'euros dont deux tiers provenant du privé. Le PIA est bien entendu mis à contribution dans le jeu de bonneteau démarré en 2009 et qui est impossible à suivre de près sauf à s’y consacrer à plein temps!

Les relents d’innovation linéaire ou hors de propos y sont légion: une voiture qui consomme 2 litres au 100 alors qu’il faudrait peut-être se focaliser sur les batteries des voitures électriques, qui sont aussi au programme. Dans la nano-électronique, on apprend que le site de Crolles de STmicroelectronics offrira des «gains importants en termes de performances et de consommation électrique. Son attractivité conduira à doubler sa capacité de production d’ici 2020». Il serait bon que d’ici là, ils puissent lancer la fabrication de puces en technologie 14 nm car c’est en train de devenir la norme chez Intel et TSMC! Et la capacité est loin de doubler pour l’instant.

Dans les mesures génériques, nous avons «la réduction du poids de l’informel, l’encouragement de la compensation industrielle et la création d’un fonds de développement industriel». La feuille de route prévoit de porter le PIB industriel à 23% du PIB global et la création de 500 000 emplois. Et le comble: «les industries de substitution aux importations seront soutenues.». Alors qu’il faut raisonner masse et exportations pour qu’une stratégie soit viable! Mais on était en pleine période Montebourg! Le plan affiche aussi une ambition dans l’influence dans la standardisation internationale, ce qui est en effet nécessaire. Et cela relève d’une stratégie à mettre en oeuvre de manière concertée, les représentants de la France dans les instances internationales étant issues d’organisations ayant des buts parfois contradictoires, des laboratoires de recherche publique aux grandes entreprises privées.

L’une des nouveautés de ces plans a été d’associer des entrepreneurs de startups dans les groupes de travail thématiques comme celui consacré aux objets connectés, et piloté par Eric Careel de Withings (revendu depuis à Nokia…) et celui de la e-education, piloté par Déborah Elalouf de Tralalère et Jean-Yves Hepp de Unowhy. C’est un bon début! Car pour trouver des jeunes dans la photo de famille du premier anniversaire de ce plan à l’Elysée, il faut encore se frotter les yeux (ci-dessous).

Anniversaire France Industrielle

Plan Innovation 2030 (2014, Anne Lauvergeon, 60 pages)

De manière incohérente avec le plan précédent, pourtant très récent, celui-ci définit 7 ambitions pour la France: dans le stockage de l’énergie, le recyclage des matières, la valorisation des richesses marines, les protéines végétales, la médecine individualisée, la silver économie et le big data. Au moins, des choix y sont faits. Mais résumer les opportunités d’innovation et de différentiation des industries du numérique au big data est un peu fort de café.

J’imagine les malheureux au gouvernement qui voient ainsi valdinguer les priorités d’un rapport à l’autre, du fait des différences de pedigree des rapporteurs et personnes entendues. Vous me direz qu’un plan «innovation» n’a rien à voir avec un plan «industriel». Ici, l’effet Lauvergeon sur les matières premières est éloquent! Les mauvaises langues diraient qu’il était curieux de confier un tel plan à l’ancienne patronne d’Areva, qui n’y a pas fait que des merveilles en termes de décisions industrielles. Le rapport préconise aussi de développer l’encouragement à – et l’enseignement de l’entrepreneuriat, ce dont on ne se plaindra pas.

Est également proposé un «principe d’innovation», quelque peu complémentaire si ce n’est antinomique avec le principe de précaution inscrit dans notre constitution. Depuis la publication de ce plan, Anne Lauvergeon est devenue chairman de Sigfox. La société est bien citée page 42 du rapport, mais sans que les réseaux M2M y génèrent une attention particulière alors qu’ils jouent un rôle particulièrement important dans l’écosystème des objets connectés. Sigfox a été créé en 2009 et ses premiers réseaux déployés en France en 2012, puis étendus via un partenariat avec TDF à partir de 2013.

Le plan Lauvergeon a été l’occasion de lancer le nouveau Concours Mondial de l’Innovation, dotant tous les deux ans une quarantaine de gagnants d’une subvention de 200 000 euros , puis quelques élus prometteurs bénéficiant d’enveloppes de 2 millions d'euros pour la «levée de risques» puis 20 millions d'euros pour «le développement» (en avances remboursables ou prises de participation). C’est le type de concours qui, comme de nombreux appels à projets des PIA, peut avoir tendance à attirer des projets qui ont du mal à se financer dans le privé car trop éloignés de marchés porteurs ou trop «amont». C’est l’un des gros travers de ces saupoudrages de de financements publics orientés R&D. En même temps, on ne peut pas reprocher à l’Etat de prendre plus de risque que les investisseurs privés quand dans le même temps on trouve trop peu hardis ces derniers!

Qui plus est, ce concours n’est pas évident à différentier du concours i-Lab géré par le Ministère de la Recherche et qui apporte une manne financière aux projets issus de la recherche, comme de nombreux projets récompensés, tout du moins en phase 1, dans le Concours Mondial de l’Innovation. Certains projets ont même gagné les deux concours, comme Damae Medical (outil de diagnostic de cancers cutanés, qui cherche à lever 1 à 1,5 million d'euros) et Dreem (IOT pour le sommeil, qui vient de lever 10 millions d'euros en mars 2016).

Plans Très Haut débit (2009, 2013, etc)

Le très haut débit est un impératif de modernisation de l’équipement télécom des pays développés. L’Etat a un rôle clé à y jouer pour accélérer le mouvement, à la fois comme régulateur (via l’ARCEP) et comme co-financeur des infrastructures, avec le secteur privé, et surtout pour les zones mal desservies qui ne sont pas intéressantes d’un point de vue économique pour les grands opérateurs.

D’où la création des RIP: réseaux d’initiative publique cofinancés par les régions et l’Etat. C’est une intervention du secteur public visant à rétablir l’équilibre naturel qui est défavorable aux zones faiblement denses. Se posent des questions complexes sur la mutualisation ou pas des infrastructures entre opérateurs, qui dépend des endroits et sur la disponibilité d’offres commerciales des opérateurs traditionnels qui se branchent sur les réseaux des RIP. La majorité des départements français, y compris d’Outre-Mer ont lancé un RIP (carte ci-dessous des dossiers déposés en juin 2016).

Réseaux Initiative Publique en 2016

Dans l’ensemble, ce déploiement était jusqu’à présent laborieux. Les plans, régulièrement mis à jour, prévoient un taux d’équipement de plus de 98% des foyers en très haut débit d’ici 2022. La troisième conférence du plan France Très Haut Débit avait lieu le 28 juin à Bercy. 14,5 milliards d'euros ont été engagés dans les déploiements, sur un total prévu de 20 milliards d'euros. L’Etat et l’ARCEP insistent pour que le THD soit réalisé en FTTH (fibre jusqu’au domicile), ce qui plombe à juste titre SFR-Numericable et ses offres batardes de FTTB + câble coaxial dont les débits dépendent de l’âge du capitaine. A ce jour, près de 50% des «locaux» sont éligibles au très haut débit. Cela ne veut pas dire pour autant que les offres commerciales des opérateurs télécoms ou les syndics des immeubles suivent en temps réel. Le temps de latence entre l’éligibilité et l’arrivée de la fibre dans son entreprise ou son tendre logis peut être de plusieurs années.

Derrière ces déploiements se cachent quelques enjeux industriels pour les équipementiers télécoms. Tant au niveau des infrastructures (fibre optique, data-centers, backbones, liaisons sous-marines) que des terminaux. Notre acteur principal était Alcatel-Lucent. Il y consacrait beaucoup de R&D dans le domaine en France mais avait des difficultés à transformer cette avance en produits de qualité et compétitif. Cela explique pourquoi Huawei a été choisi par certains opérateurs télécoms pour les backbones d’infrastructures fixes et mobiles. Ce n’était pas la compétitivité prix qui était en cause, mais la qualité des produits. Cela traduit cette difficulté endémique à passer de la R&D à des produits industriels diffusés en volume. Et l’on y retrouve le manque de compétences en «product management» de produits technologiques.

A noter que le plan THD est maintenant géré par l’une des équipes de l’Agence du Numérique, créée début 2015 et lancée officiellement en juin 2016. Cette même équipe comprend celle de la French Tech.

Côté régions, le THD n’est pas la panacée pour améliorer la compétitivité et favoriser une réindustrialisation. C’est utile mais pas le seul moyen de dynamiser un écosystème entrepreneurial. Il faut qu’il existe au préalable. A contrario, la Silicon Valley est plutôt mal lotie de ce côté-là, comparativement à la France, la Corée du Sud ou le Japon.

French Tech (2013, Fleur Pellerin)

Cette initiative se distingue de de toutes celles que nous venons de voir. Pour la première fois, nous avons un plan orienté principalement vers l’entrepreneuriat et qui plus est, avec un volet significatif sur le développement international.

Les débuts de cette initiative furent chaotiques et n’ont pas grand chose à voir avec le résultat. Le plan s’est nettement bonifié avec le temps, ce qui n’est pas le cas de nombre des plans évoqués dans cet article.

Il s’agissait à l’origine de l’initiative de création d’un «quartier numérique» à Paris, annoncée par Fleur Pellerin en Conseil des Ministres en octobre 2012. Cela avait d’ailleurs généré une passe d’armes le même mois entre Fleur Pellerin et Jean-Louis Missika, alors Maire Adjoint de Paris en charge de l’innovation.

La Ministre s’était en fait fortement inspirée du projet – encore en gestation et confidentiel – de la Halle Freyssinet, préparé discrètement par Xavier Niel et en liaison avec la Mairie de Paris qui achetait le terrain de la Halle à la SNCF pour en revendre une partie à Xavier Niel. Fleur Pellerin avait même vendu le pot aux roses, dès mars 2013, en pré-annonçant le projet de la Halle Freyssinet, sans préciser son origine réelle, à savoir Xavier Niel. Elle souhaitait que ce dernier lance le projet avec d’autres acteurs industriels tels que Orange!

Le projet de Xavier Niel a été officiellement annoncé à la Mairie de Paris en septembre 2013 (photos), par ce dernier, accompagné de Bertrand Delanoë, le Maire de Paris, et de Jean-Pierre Jouyet, à l’époque, patron de la CDC, qui investissait 10% du capital de la Halle Freyssinet. Et… en l’absence de Fleur Pellerin (photos). Les premières pierres symboliques de la rénovation de la Halle Freyssinet ont été posées par François Hollande, Anne Hidalgo – devenue maire de Paris la même année – et Xavier Niel, en septembre 2014 (photos).

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Xavier Niel et Jean-Pierre Jouyet (CDC) à la Mairie de Paris en septembre 2013 pour l'annonce du lancement de la Halle Freyssinet, cofinancée par la CDC à 10% pour que l'Etat y ait une part symbolique!

En octopre 2012, le gouvernement faisait aussi face à la révolte des pigeons, ces entrepreneurs et investisseurs qui s’insurgeaient contre les mesures fiscales déclenchées par le gouvernement Ayrault juste après l’élection de François Hollande. Fleur Pellerin avait lancé les Assises de l’Entrepreneuriat, une démarche de concertation associant l’Etat et les acteurs de l’écosystème entrepreneurial. Elle se sont clôturées à l’Elysée en avril 2013. Le projet de quartier numérique était aussi une réaction épidermique à la communication de la London TechCity et de la Berlin Alley qui chatouillait notre ego national.

En décembre 2012, la CDC était missionnée par Fleur Pellerin pour produire un rapport de mission de préfiguration des quartiers numériques, un concept étendu au-delà de Paris. Celui-ci fut remis au premier ministre Jean-Marc Ayrault en juillet 2013. Piloté par Philippe Dewost et Maud Franca de la CDC, il préconisait de lancer des quartiers numériques dans les régions et de s’appuyer sur le financement du PIA pour dynamiser les écosystèmes entrepreneuriaux locaux. Il recommandait aussi de les ouvrir au maximum vers l’international. Les quartiers numériques sont devenus officiellement la French Tech en novembre 2013. Et aussi curieux que cela puisse paraître au vu de l’origine du projet, Paris n’a jamais obtenu officiellement le label de la French Tech et n’a pas son logo French Tech spécifique comme les régions ! Il en fait partie de facto, sans être passé par la revue de détails imposée aux régions. Mais comme toutes les startups françaises peuvent se prévaloir d’appartenir à la French Tech, cela n’est pas gênant.

Dans la pratique, la French Tech comprend au moins cinq volets:

  • La labellisation French Tech de métropoles organisées autour de lieux totem et respectant le cahier des charges concocté par la CDC. Le label permet notamment d’obtenir des financements en capital d’accélérateurs de startups locaux via le Fonds French Tech Accélération. A partir de 2015, le processus de labellisation a suivi le chemin des pôles de compétitivité, avec l’ajout de labellisations thématiques. Chaque région voulait et veut obtenir son label French Tech, en plus de ses pôles de compétitivité, histoire d’afficher la dynamique de ses startups locales. Associée à cette labellisation, la bourse French Tech qui est une aide allant de 10 000 euros à 30 000 euros accordée par Bpifrance. En 2015, 655 bourses French Tech ont été attribuées pour un total de 17 millions d'euros (39% en Ile de France et 71% en Régions et Outre-Mer.
  • Le développement de la visibilité internationale des startups françaises qui s’est notamment manifesté par la forte présence de startups françaises au CES de Las Vegas (2014, 2015, 2016), tout comme au WebSummit, à SxSW ou au MWC.
  • Le programme French Tech Ticket, inauguré en mars 2016, et qui sert à attirer ou conserver en France des entrepreneurs étrangers. Un premier batch de 50 entrepreneurs étrangers est hébergé dans divers accélérateurs parisiens. Le programme est maintenant étendu aux régions. Dans la pratique, ces entrepreneurs étrangers sont souvent déjà installés en France, notamment après un projet de recherche mené dans un centre de recherche public.
  • Le lancement des French Tech Hubs dans les grandes villes du monde, fédérant les efforts, souvent associatifs, d’entrepreneurs français locaux. Une bonne démarche qui peut mettre le pied à l’étrier des startups de toutes les régions lorsqu’elles veulent s’implanter à l’étranger, sur presque n’importe quel continent.
  • Le French Tech Pass qui identifie les startups de forte croissance, notamment dans les pôles de compétitivité et leur permet de bénéficier de l’attention privilégiée des services de l’Etat (Bpifrance, INPI, Coface, Business France) et des grands investisseurs privés.

French Tech Hubs

Les moyens financiers et humains mobilisés pour la French Tech sont modestes: 200 millions d'euros pour le financement en capital d’accélérateurs dans les régions labellisées French Tech – issus de la corne d’abondance du PIA – et 15 millions d'euros pour la communication internationale, ce qui est très modeste car étalé sur plusieurs années. Et l’équipe de la French Tech à Bercy fait tout juste une dizaine de personnes. Malgré tout, pour une fois, on s’intéresse spécifiquement à deux de nos grandes lacunes historiques: la communication et le développement international. On ne va pas s’en plaindre!

La transformation numérique de l’économie française (2014, Philippe Lemoine)

Ce rapport était très ambitieux dans sa portée qui consistait à moderniser la France par le numérique. Il couvrait de nombreux aspects génériques: la dimension culturelle et sociale du numérique, la modernisation du secteur public, l’éducation, et les relations grand public et PME/startups ainsi que le développement de la commande publique vers les startups, un grand marronnier depuis des années, cherchant à reproduire les effets d’impact surévalué du Small Business Act américain, dont aucune startup de la Silicon Valley ne parle pour expliquer ses succès, surtout celles dont les offres sont destinées au grand public. Côté sectoriel, le rapport s’intéressait notamment particulièrement à l’Internet des objets.

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Remise du Rapport sur la Transformation Numérique de l'Economie Française par Philippe Lemoine à Marylise Lebranchu et Axelle Lemaire le 8 novembre 2014 à Bercy.

Le rapport propose un catalogue de mesures à la Prévert, 57 en tout, dont certaines relèvent du micro-management de l’écosystème, comme l’accroissement des compétences numériques des analystes financiers travaillant sur l’évaluation des startups ou la création d’une agence de notation d’évaluation de la maturité numérique des entreprises.  D’autres propositions allaient dans la bonne direction pour développer l’écosystème entrepreneurial comme la levée de réglementations empêchant d’innover dans les professions réglementées (vaguement reprises dans la première Loi Macron) et le soutien des innovations d’usage – idée intégrée par Bpifrance en janvier 2015 dans son initiative Innovation Nouvelle Génération.

Des propositions ont été suivies d’effet sans qu’elles soient liées au rapport comme la nomination de Chief Digital Officers au Comex des grandes entreprises. La menace de l’uberisation, brandie en décembre 2014 par Maurice Lévy, est passée par là entre temps ! Le rapport préconisait la création d’une exposition universelle du numérique en France. C’est l’ambition de Viva Technology, lancé par les Echos et Publicis, et dont la première édition s’est tenue fin juin / début juillet 2016 avec un beau succès d’audience et plus de 1000 startups exposantes.

Même si ce rapport est inégal, il va dans la bonne direction car il remplace le dirigisme étatique basé sur le financement de projets collaboratifs par des mesures génériques favorisant l’émergence d’innovations. Mais comme le plan Besson, sans budget, pas d’attention. Il n’est pas évident que quelqu’un se penchera sur ce plan pour analyser ce qu’il en est devenu.

Technologies clés – Préparer l’industrie du futur 2020 (2016, Philippe Varin et Claudie Haigneré, 645 pages)

Faisant suite à un rapport d’étape du plan Montebourg de 2013 publié en 2015 «Industrie du futur – Réunir la nouvelle France industrielle», nous voici à déguster un nouveau et très volumineux document.

On se demande comment le gouvernement arrive à gérer la continuité avec ces plans industriels à répétition. Dans ce registre de plans touche à tout, nous en sommes au moins à la troisième mouture depuis le début du mandat de François Hollande. Ce plan se veut être une sorte de guide stratégique. C’est en fait une compilation d’études de marché et d’analyse de tendances. On y trouve 47 priorités technologiques ventilées de manière matricielle dans 9 domaines (santé, alimentation et bien être, sécurité, énergie, habitat, environnement, transports, mobilité, numérique, loisirs et culture), où les habituels sujets du numérique ont toujours leur place, dont l’IOT, le cloud, le big data, et l’intelligence artificielle. Cela correspond peu ou prou au plan de 2013, mais présenté différemment. C’est le résultat d’une sélection parmi 439 technologies issues des Pôles de Compétitivité et de 135 technologies issues d’une enquête en ligne.

IA et Traitement des Sols Pollues

Un thème ultra-stratégique comme l’intelligence artificielle y est mis au même niveau que le traitement des sols pollués. Cela ne s’invente pas ! Cette mise en abîme illustre la difficulté de l’Etat à faire des choix stratégiques. Quand tout est stratégique et mis au même niveau, du fait du lobbying d’entreprises établies, il n’y a plus de priorités qui vaillent.

Le document met cependant en avant quelques règles de bon sens : l’impératif du développement international, la compréhension des écosystèmes ou l’évaluation des opportunités de migration de valeur comme dans la voiture automatique. Le financement ? Il fera appel une fois encore aux PIA 2 et 3, et comme d’habitude, à de la R&D collaborative. Même si l’analyse portée par le document est de bonne qualité et bien documentée, elle oublie quelque peu les mécanismes non technologiques qui permettent aux innovations de s’imposer, même dans les SWOT associés à chaque plan (forces-faiblesses-opportunités-menaces).

Plan France Médecine Génomique 2025 (Aviesan, 2016, 170 pages)

Ce plan annoncé fin juin 2016 par Marisol Touraine, la Ministre de la Santé, faisant état de l’objectif de devenir un leader mondial de la génomique et de la médecine prédictive personnalisée – tant au niveau des usages que de l’exportation de savoir-faire – relève au moins du moonshot, car nous en sommes bien loin. La France a même pris un sacré retard, malgré son avance jusqu’à la fin des années 1990 que nous avons déjà examinée. Combien de startups françaises se sont lancées spécifiquement dans ce secteur ? Les rares se sont expatriées comme Portable Genomics, installé aux USA depuis 2012.

Le plan créé par des spécialistes du secteur regroupés dans l’alliance Aviesan propose de s’attaquer d’abord au séquençage du génome d’environ 100 000 personnes déjà atteintes de cancers ou faisant partie de leur entourage familial. Dans la pratique, cela donc toujours de la médecine corrective et pas encore de la médecine prédictive. Mais c’est peut-être un bon début. Si ça marche, la médecine prédictive arrivera donc après 2025. Le tout s’appuiera sur 12 plateformes de séquençage exploitant un même centre de calcul intensif. Le plan imite de près le 100 000 genome project anglais qui s’appuie sur 10 plateformes.

Le tout s’articulera autour d’un dossier patient numérique. Et pas des moindres puisqu’un simple séquençage complet du génome va générer 1 téra-bases, générant 500 Go de stockage. Pourquoi alors que l’ADN humain ne comprend que 3 milliards de bases d’ADN ? Parce qu’un séquençage nécessite de sur-échantillonner les analyses d’un facteur 40. En effet, l’ADN est découpé chimiquement façon puzzle en plein de morceaux, que l’on séquence, avec un petit taux d’erreurs. Un logiciel raccommode ce puzzle gigantesque, et il a besoin de 1 To de stockage. Et pour ce faire, il a besoin de l’équivalent d’un taux de couverture x40 de l’ADN. Qui plus est, certains examens peuvent nécessiter de séquencer l’ADN de différentes parties : le sang ainsi que des biopsies de tumeurs. Et il faut y ajouter un séquençage de l’ARN des cellules tumorales qui permet d’étudier l’expression des gènes. Bref, on est dans le big data à l’échelle d’une seule personne! Mais bon, 500 Go, cela tiendra dans une clé USB d’ici à peine deux ans puisque l’on trouve déjà des cartes SD de 521 Go (à 450 euros cependant…).

L’estimation du plan est de 70 Péta-Octets par an, soit avec les technologies actuelles, 7000 disques durs de 10 To, ce qui se fait de mieux. C’est beaucoup mais pas énorme. A titre de comparaison, Facebook en serait aux alentours de 600 à 1000 Po. On arrive à faire tenir 2 Po dans un rack de serveurs. Donc, 70 Po = 35 racks de serveurs, soit une rangée de 18 mètres environ dans un data-center. C’est presque raisonnable! C’est ce que l’on trouve dans n’importe quelle chaîne de TV d’audience moyenne!

L’idée est de mettre en place toute la chaîne de valeur qui va du séquençage ciblé jusqu’à la création de thérapies ciblées. Il comprend aussi un volet formation pour mettre à niveau la profession médicale en génomique. Elle en a grandement besoin.

On n’a plus qu’à prier pour que la gouvernance de l’ensemble fonctionne et n’imite pas celle du fameux DMP (Dossier Médical Personnalisé, un gros mirage pluri-décennal). Une indication: les interviews du rapport on été réalisées en octobre 2015 et le rapport publié en juin 2016, donc une compilation durant 8 mois. C’est un signe, plutôt mauvais, mais on va se permettre d’espérer.

L’action régionale

Les régions ont aussi leur mot à dire pour dynamiser leurs écosystèmes. Elles ont été régulièrement parties prenantes, notamment dans la création des pôles de compétitivité – qu’elles ont contribué à multiplier à l’excès – comme dans la labellisation French Tech.

Par le passé, un précurseur a marqué le terrain, le Sénateur Laffitte, à l’origine de la création de la technopole de Sophia Antipolis en 1969, devenue l’un des principaux pôles de compétitivité français. Il regroupe plus de 1500 entreprises high-tech. Il a un peu perdu de son lustre, n’ayant pas réussi au tournant des années 2000 à y développer une masse critique de startups malgré la présence de laboratoires de recherche (INRIA) et d’entreprises de toutes tailles, comme Amadeus. Depuis quelques années, l’activité startups y a été relancée et encouragée, autant par des acteurs associatifs et privés qu’issus des collectivités locales.

De nombreuses régions ont créé des lieux «totem» regroupant leurs startups. Il y a notamment le Minatec à Grenoble, Euratechnologies à Lille ainsi que le BIC de l’agglomération de Montpellier. Des fonds d’investissement régionaux investissent dans les phases d’amorçage de leurs pépites locales. Mais les fonds nationaux doivent ensuite prendre le relais pour les tours suivants.

Le grand défi pour les régions désindustrialisées est de renouveler leur tissu industriel, sans pour autant persister dans l’assistance à outrance d’entreprises en déclin. Nombreuses sont celles qui ont réussi à prendre le pas du numérique à cet effet. Avec impact lent sur l’emploi. On ne convertit pas des ouvriers au chômage en fin de vie professionnelle en spécialistes du numérique d’un simple coup de baguette magique ! L’adaptation prend du temps et passe par les jeunes générations.

Se pose surtout la question de la spécialisation et de la création de masse critique. Via le concept S3, Smart Specialization ou Spécialisation Intelligente, l’Union Européenne a lancé un plan de spécialisation des régions pour relancer leur développement industriel et leur compétitivité. Ce plan est plus ou moins inspiré des bonnes pratiques observées aux USA. Il vise à atteindre la masse critique dans les efforts de R&D et à les mettre en réseau à l’échelle nationale et européenne. Cf ce document lié à son application en France qui date de 2012. Il semble comme les plans français ne pas faire la part belle à l’entrepreneuriat, étant trop focalisé sur l’amont de l’innovation qu’est parfois la R&D.

Metropoles France

Dans le rapport Dynamiques et inégalités territoriale de juillet 2016, France Stratégie (le successeur de l’ancien Commissariat Général au Plan) propose de son côté de se focaliser sur les grandes métropoles régionales pour mener cette spécialisation. Etait annoncée simultanément par le Premier Ministre Manuel Valls le «déblocage» d’une enveloppe de 150 millions d'euros de financements des 15 premières métropoles françaises pour dynamiser leur écosystème d’innovation. Une obole! Et aussi, un beau fantasme, consistant à relocaliser en France des entreprises installées au Royaume-Uni, Brexit oblige. Le plan se décline en trois axes: «Transition énergétique et environnement» (Grenoble, Nantes, Paris, Strasbourg), «ville intelligente et mobilités» (Lille, Lyon, Nice, Rennes, Rouen, Toulouse) et «excellence économique et rayonnement international» (Aix-Marseille-Provence, Bordeaux, Brest, Montpellier, Nancy). Ce qui pour ce dernier axe est une absurdité car ce thème transversal devrait être applicable à toutes les métropoles sans exception.

Les Régions sont tentées mais mal avisées de rentrer de trop près dans l’opérationnel. L’ex Région Poitou-Charente s’était illustrée en investissant à fonds perdus dans Heuliez, découpé en deux sociétés en 2013 après sa liquidation, d’une part une société d’économie mixte et de l’autre, Mia, un fabricant de voitures électriques. Ségolène Royal a été beaucoup critiquée pour ces aides à une entreprise mal équipée – autant en R&D qu’en ressources ventes/marketing – pour aborder ce marché du véhicule électrique qui nécessite d’énormes capitaux comme le montre l’aventure de Tesla ainsi qu’une forte différentiation et un “go-to-market” marketing et distribution pour vendre. Cela semblait surtout être une décision de la dernière chance, lancée par des politiques ne comprenant rien aux logiques industrielles. Qui plus est, un financement local de telles aventures ne peut-être que cautère sur jambe de bois. On se plaint déjà assez de ce que les financements nationaux publics comme privés sont insuffisants pour créer des leaders mondiaux. Des financements locaux ne peuvent évidemment pas faire mieux!

Dans l’excellent document La transition numérique au cœur des territoires (178 pages), Nicolas Colin de TheFamily décrit le riche historique de la Silicon Valley ainsi que celui des écosystèmes israéliens, londoniens et même estonien. Il prodigue quelques recettes de bon sens pour le développement de territoires numériques, via – notamment – une politique du logement, le déploiement de services publics numériques et un aménagement de l’enseignement et de la recherche. Ce dernier point nécessite de faire des choix difficiles: créer une masse critiques d’établissements complémentaires dans les grandes agglomérations, parfois au dépend des plus petites villes. S’y ajoute évidemment le déploiement du très haut débit, devenu une infrastructure indispensable au développement économique, même si ce n’est pas la panacée.

Cela fonctionne bien comme à Nantes, qui est très Internet/web/mobile, et s’en sort plutôt bien, ou en Normandie qui est spécialisé dans la sécurité informatique via son pôle TES (Transactions Electroniques Sécurisées). Est-ce cependant suffisant pour dynamiser ou relancer des industries qui ne sont pas des pure-players numériques, notamment dans l’Est et le Nord de la France ? Probablement pas.

Peut-on créer une transition industrielle vers un tout numérique? C’est une croyance ancrée chez certains mais illusoire, même aux USA. Ce, d’autant plus que la grande majorité des startups du numérique sont positionnées sur des marchés de niche déjà bien encombrés et que, pour l’instant, très peu d’entre elles deviennent des PME et à fortiori des ETI. Il faut donc inventer de nouvelles approches avec des morceaux de numérique injectés dans des industries traditionnelles et pas seulement du numérique en mode «pure player».

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Dans l’ensemble, entre les Trente Glorieuses et les années 2000 et 2010, l’Etat est passé du rôle de stratège et de client à celui de compilateur des priorités des industries existantes et de distributeur de subventions, prônant une logique de R&D collaborative. On y parle de marchés alors qu’il faudrait mettre l’accent sur de la compétitivité, de la différentiation et des objectifs technologiques et marchés ambitieux. La dimension entrepreneuriale est apparue très lentement et plutôt récemment dans le discours et dans les faits.

De son côté, la spécialisation des métropoles poursuit une démarche entamée lentement en 2005 avec la création des Pôles de Compétitivité. Dans ce cadre, le numérique comprend à la fois des spécialités métiers et l’outillage permettant à tous les secteurs d’activité de se transformer. Il est donc à la fois horizontal dans ses effets et vertical comme secteur d’activité.

Nous verrons dans la partie suivante que l’Etat a un rôle important à jouer dans un tas de domaines pour favoriser l’émergence d’innovations dans le pays et développer sa compétitivité. Il doit en créer avec discernement les conditions plutôt que les micro-manager.

 

 

Olivier-EzrattyOlivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.

 


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