Bertrand DuperrinBUSINESSLes dernières actualités de la techLes Experts

Les travers de l’entreprise orientée client

Une entreprise ne peut être qu’orientée client et tous les discours nous le rappellent. A l’ère digitale une entreprise ne peut être que customer-centric. A se demander, d’ailleurs, ce qu’elles étaient avant.

Dans les faits l’exhortation faîte par une entreprise à ses collaborateurs à mettre le client avant tout, à être obsédée par le client n’a rien de nouveau. On atteint juste un paroxysme dû au fait que l’écart entre les injonctions et la réalité est de plus en plus criant, que l’écart entre ceux qui sont orientés client dans les mots et ceux qui le sont dans les faits est tellement important qu’il redevient essentiel de marteler cet impératif. Mais le marteler auprès de qui?

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Le marteler auprès du client pour qu’il le prenne comme un argument de réassurance, comme preuve qu’on pense à lui?

Le marteler auprès des collaborateurs afin qu’ils transcrivent cette orientation dans les actes?

Il n’y a pas d’orientation client mais des preuves d’orientation client

Aucune de ces approches n’est viable.

«Il n’y pas d’amour mais seulement des preuves d’amour» dit-on. Il en va de même pour l’orientation client. Celui-ci n’écoute pas la promesse mais juge sur l’expérience vécue.

Quand aux collaborateurs je ne pense pas jusqu’à nouvel ordre qu’ils n’ont rien à faire du client, et surtout pas ceux qui sont en contact direct avec lui. Par contre, qu’ils soient démotivés par le fossé qui existe entre l’injonction qui leur est faite et les moyens donnés pour la mettre en œuvre, ça me semble beaucoup plus crédible.

Bref, à marteler à qui veut l’entendre que l’orientation client est au cœur de sa stratégie et enjoindre les collaborateurs à être «obsédés» par le client, l’entreprise risque de tomber dans de nombreux biais.

L’obsession client ne doit pas être commerciale

Tout d’abord le sens. Quand on parle de mettre le client «au centre du business» encore faut-il savoir en qualité de quoi. De personne qu’on veut satisfaire? De personne à qui on veut vendre quelques chose? Dans certaines organisations peu avancées en termes de culture client on remarque que l’orientation client est souvent utilisée comme synonyme de pression commerciale. «Soyez obsédés par le client» veut dire «ne les lâchez pas, harcelez-les et vendez». Tout le contraire d’une organisation «customer-centric» qui, elle, raisonne en termes d’attention, de satisfaction et prend soin de ses clients. La fameuse culture du «care» chère au monde anglo-saxon.

Enlever les problèmes des clients, oui. Pour les transmettre aux collaborateurs, non!

Etre customer-centric cela veut également dire faciliter le parcours et l’expérience du client. On en revient aux fameux concepts de fluidité, de «sans couture». Supprimer tous les problèmes que peuvent rencontrer les clients dans leur expérience avec une entreprise est essentiel mais cela va mieux en le rappelant. Par contre si c’est pour déplacer le problème du côté du collaborateur on ne change absolument rien. Le problème existe, le client ne le voit plus donc ne comprend pas ce qui ne va pas, le collaborateur voit un problème de plus s’ajouter à sa liste, souffre et se démotive.

L’orientation client suppose de supprimer les irritants coté client mais pas pour les transmettre au collaborateur. Supprimer ne veut pas dire déplacer. Où l’on se rend compte une fois que plus qu’on ne peut construire l’expérience client au détriment de l’expérience employé.

Quand le collaborateur pense au client, qui pense au collaborateur?

Le message interne sur l’orientation client peut être destructeur à long terme. Il est logique qu’une entreprise orientée client, pour des questions de sens, mette toutes ses décisions en perspective du client afin que l’interne comprenne l’impact attendu sur l’externe et saisisse la cohérence des actes et du message. Les messages internes regorgent donc de «pour nos clients», «parce que nos clients», «les enjeux de nos clients» et ce de manière tout à fait logique. C’est une question de sens. Voire de bon sens.

Par contre s’en contenter peut faire des ravages. A la longue le collaborateur finit par se rendre compte qu’il manque une donnée dans le message de l’entreprise: lui. Quand le collaborateur devient le grand absent du discours interne de l’entreprise cela finit par se ressentir et les conséquences ne tardent pas à arriver. Un DRH me confiait récemment qu'à la suite de l’annonce d’un nouveau plan stratégique il avait remarqué au bout de quelques semaines un taux anormalement élevé de départs. Après s’être demandé ce qui, dans l’annonce, avait pu amener à cette situation, il s’était rendu compte que le message n’était pas en cause, sa forme oui. Certains collaborateurs ne s’en sont pas cachés: «on avait disparu du message, personne ne nous disait ce qu’on allait faire pour nous, personne ne nous disait que nous étions essentiels dans l’orientation client, personne ne nous disait que les résultats obtenus l’étaient grâce à nous». Une communication maladroite, non intentionnelle, qui a vite été corrigée mais pour certains, il était trop tard. D’autres vous diront que même si la chose n’était pas intentionnelle elle avait tout d’un acte manqué.

L’orientation client est vitale, le sujet ne prête pas à discussion. Mais la manière dont elle est mise en œuvre et communiquée peut ruiner l’intention en un rien de temps. Il est peut être temps de revisiter le paradigme de l’orientation client. Paul Greenberg mettait récemment l’accent sur l’importance de passer de «customer-centric» à «customer-engaged». Une voie plus que pertinente à explorer.

bertrand-duperrinBertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.

Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.

Lire aussi: L’expérience client B2B, on en parle?

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