Lettre ouverte d’un salarié à un client
Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb
La transformation digitale d’une entreprise nécessite de travailler conjointement deux piliers: l’expérience client et l’expérience employé sans laquelle la promesse ne sera pas exécutée. De la même manière que très souvent la direction sous estime la maturité et l’envie digitale de ses collaborateurs tout autant que son besoin d’être exemplaire, le déséquilibre des attentions entre l’interne et l’externe peut aussi être cause de frustrations multiples.
Lettre, imaginaire bien sur, d’un collaborateur à un client.
Cher client,
Nous ne nous connaissons pas, enfin pas vraiment. Tu es une ombre anonyme qui traverse nos agences ou magasins, au mieux un numéro de carte de fidélité mais on en sait guère plus sur toi quand bien même on te promet depuis plusieurs années une expérience attentionnée et individualisée. Tu ne me connais guère plus. Devant tes amis tu m’appelles le plus souvent «le gros naze» ou le «gros con». Enfin… pas moi directement mais mes équipes mais sache que je le prend pour moi quand même. Disons que je suis le gros con en chef.
Mais pourquoi tant de haine?
C’est facile à comprendre. On te complique la vie. On est mauvais. On a le pouvoir de dire non ou de dire «attendez il faut que je demande…revenez dans une semaine». On te fait répéter sans cesse ton histoire à des personnes différentes. On connait peu ou mal ton historique chez nous. On te demande 5 minutes pour chercher des informations que tu as déjà trouvé sur ton smartphone et que tu nous fourres, l’air triomphant, sous le nez. On passe 10 minutes planqués derrière notre écran pour réaliser une opération que tu réalises en 5 secondes sur notre appli service client. On est même pas au courant de la nouvelle promo pour laquelle tu viens nous voir justement parce que tu as reçu un emailing.
Bref, tu viens nous voir car tu as entendu la promesse qu’on te faisait et tu es légitimement déçu qu’on soit incapables de la tenir. Tu nous en veux et je ne peux que te donner raison. Et ce d’autant plus que je vis la même chose que toi lorsque je quitte ma casquette de collaborateur pour devenir client, ici ou chez d’autres.
Tout ce que tu dis on le sait malheureusement fort bien, et peut être même davantage que toi. Si tu savais tous les irritants que tu évites car on se met en 4, on bricole, on fait avec les moyens du bord. Mais, malheureusement la bonne volonté ne permet pas de venir à bout de tout et il reste trop de zones grises. Mais sois sur d’une chose: personne ne se lève le matin en se disant «on va pourrir la vie d’un client». Bien au contraire. Ce qu’on fait ou ne fait pas on le fait pour des raisons, bonnes ou mauvaises, mais pour des raisons. Parce qu’un process exige que ça soit comme cela, parce que nous n’avons pas l’application ou l’information qui permet de faire quelque chose.
Je vais te donner quelques exemples.
- ce que tu fais dans ton espace client pour gérer tes différents services souscrits chez nous, on le fait dans 4 applications différentes qui ne se parlent pas. Il y avait urgence à vous proposer un service de qualité a ce niveau mais on a considéré que ça couterait trop cher de le faire coté back office.
- quand ton appli te donne la dispo en magasin, nous il nous faut 6 écrans pour avoir la même information.
- certains workflows ont été supprimés en ligne pour plus de fluidité, avec moins de validations inutiles. Par contre le process en magasin n’a pas changé. Quand l’appli te dit oui, nous on doit demander une autorisation à notre n+1.
- tu peux comparer deux produits sur ton smartphone, voir les prix de la concurrence. Nous avons interdiction d’utiliser nos téléphones sur notre lieu de travail donc par rapport à toi on est un peu dans le brouillard.
- quand on a lancé le click and collect cela a été un vrai succès en termes de ventes. Sauf qu’on a pas staffé en conséquence. Moralité les commandes ne sont jamais prêtes quand tu passes en magasin.
- pour le ecommerce on a commencé par utiliser le stock d’un magasin en attendant de voir si les ventes décollaient. Moralité en attendant qu’on construise un vrai entrepot, les clients de ce magasin voient des stocks vides à l’ouverture le matin car ils ont été pris pendant la nuit par les équipes ecommerce.
Et puis tu sais, nous on travaille pour la «retail division». Le online dépend de la «online division». Et si je te disais que les patrons des deux divisions ne se parlent pas et sont en compétition au niveau du revenu généré? Que chacun lance ses initiatives sans concertation avec l’autre?
Cela n’excuse rien et tu es simplement en droit d’attendre que la promesse faite soit tenue. Les noms d’oiseaux ne font pas plaisir mais ils sont mérités. Peut être, simplement, que tu ne les adresses pas au bonnes personnes. En effet on est ensemble dans le même bateau toi et moi. Une expérience insatisfaisante te frustre et te met en colère mais sache que celui qui sait qu’il n’a pas les moyens de tenir la promesse qui t’es faite est tout autant frustré et énervé. Au final personne n’en sort gagnant et ça ne simplifie pas les rapports humains.
Je ne t’en veux pas donc. Je suis juste un peu jaloux.
Tu ne mesures peut être pas les efforts faits pour t’offrir un font-office client dernier cri dont tu es fort satisfait d’ailleurs. Quant à moi si tu voyais mon poste de travail. Comme je te l’ai dit le back-office métier n’a pas été revu depuis des années. Quant au reste… De manière générale le digital est aussi brillant et mémorable de ton côté du mur qu’il est décrépi du mien.
Toi tu peux aller faire part de ton mécontentement sur Facebook. Ne t’étonnes pas si tu n’as pas de réponse: pour nous les accès sont bloqués.
Tu nous rends énormément service quand tu viens avec ton smartphone en magasin. Benchmark et caractéristiques produits, prix des concurrents…. car nous on a pas le droit d’utiliser notre mobile en magasin. Heureusement que toi tu as les infos et que tu les partages avec nous.
Tu commandes où tu veux, tu es livré où tu veux. Pour toi c’est transparent. Pour moi non. Vu la manière dont on attribue le revenu, la plupart du temps que mes équipes passe avec toi quand tu viens retirer une commande ne rentre pas dans le calcul de leurs objectifs.
Tu es heureux qu’on ait enlevé de nombreux irritants de ton parcours. En fait sache qu’ils n’ont pas été supprimés, on les a simplement remis de notre côté pour que ça ait l’air transparent pour toi. En terme de frustration et de tâches chronophages rien n’a changé, le caillou a juste changé de chaussure.
En espérant qu’un jour tout soit réuni pour qu’on puisse travailler toi et moi de manière fluide. Que l’un puisse faire son boulot de client et l’autre son boulot de vendeur/service/conseil dans les meilleures conditions, ensemble et pas l’un contre l’autre.
L’expert:
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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