L’évolution du retail en Asie du Sud-Est (Partie 2)
A l'occasion du #NouvelAnChinois, FrenchWeb revient sur les grandes tendances e-commerce en Chine.
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Intéréssés par la rumeur potentielle d’une arrivée d’Amazon en Asie du Sud-Est, nous avions tenté d’analyser les challenges auxquels le géant américain devrait faire face pour pénétrer un marché complexe, occupé par des acteurs locaux dont l’égémonie n’est plus a prouver. L’Asie du Sud-Est n’a en effet jamais connu croissance aussi forte du commerce en ligne. A l’heure des soldes de fin novembre (Single Days), selon Criteo, le traffic des principaux e-commercants sud-asiatique incluant Zalora (Singapour), MatahariMall (Indonesie) et Tiki (Vietnam) a bondit de 44%. La moyenne des ventes a augmenté de près de 167% avec des pics a près de 200 dollars à Singapour, et il semblerait donc que cette envolée des transactions ne soit plus uniquement chinoise. Dans un tel contexte, l’arrivée potentielle d’Amazon dans la région peut en faire trembler plus d’un et pourrait avoir une forte impact sur les marchés locaux.
Les impacts d'une telle déferlante!
L’arrivée d’un tel acteur aura des impacts considérables sur l’économie locale et l’ensemble des acteurs régionaux doit certainement anticiper les actions incontournables à réaliser dès la rentrée 2017 pour anticiper au mieux l’arrivée imminente du géant américain car les deux derniers trimestres de l’année seront certainement dédiés à une bataille de coût d’acquisition sans précédents et il sera alors trop tard à l’approche de Noël 2017 pour prendre des décisions stratégiques et ceci pourrait être lourd de conséquences pour certains.
L’arrivée du géant va obliger tous les players régionaux à se pencher rapidement et sérieusement sur le sujet de la review s’ils ne veulent pas voir leur trafic et leurs ventes cannibalisées par Amazon. Mais Amazon n’a pas le monopole de la review pour autant! Des solutions comme celle proposée par Try & Review sont justement une réponse aux e-retailers et aux marques pour générer des avis consos authentiques et qualitatifs de manière régulière. Alexia SichereI, CEO Try&Review, y voit là une formidable opportunité de croissance pour sa plateforme qui se positionne comme un acteur totalement neutre dans la région et propose aux retailers de synchroniser les avis générés par ses campagnes de tests produits.
Une nouvelle guerre de service risque de se déclarer. Gagner la bataille de l’achat de nouveaux clients ne sera pas suffisante pour Amazon qui devra certainement miser sur de nombreux services pour optimiser l’expérience client. L’accès aux services étant particulièrement facile et peu coûteuse en Asie, beaucoup tendent à penser d’ailleurs que ces services seront très certainement proposés à titre gracieux en guise de stratégie d’acquisition. Conclure des partenariats stratégiques avec certains acteurs de la région (NINJA Van par exemple) ne serait-il pas judicieux?
Les acteurs locaux devraient vite s’en rendre compte et une inflation est donc à prévoir, obligeant certains à revoir leurs marges pour garder leurs clients. Comme le précisait Alexis Lanternier, CEO de Lazada Singapour lors du dernier événement organisé par la French Tech Singapour, «la livraison à domicile a une valeur et un coût et ne peut pas être toujours gratuite». Pour autant, comme le fait remarquer Alexia Sichere, «beaucoup de consommateurs asiatiques commandent déjà chez Amazon, dont la politique de livraison gratuite (à Singapour pour des achats de plus de 165 dollars) leur permet de faire de meilleures affaires, les prix Amazon étant très compétitifs, et Amazon capitalisant sur des relations avec les marques pour éviter les intermédiaires» (Amazon s’est d’ailleurs même déjà tissé un réseau logistique solide dans la région). Espérons que le géant américain ne déstabilisera pas le marché à coût d’investissement faramineux dans ces services qu’affectionnent tant les populations asiatiques.
La bataille des coûts d’acquisition est déjà programmée. Cela fait déjà 5 ans que le marché a déjà été bien «déstabilisé» par de gros investissements media, en particulier ceux massifs de Rocket Internet, [Groupon (et la trentaine de groupon-like sites qui ont fleuri entre 2010 et 2013), Zalora, Lazada, Food Panda], mais également Q010, Redmart, feu Rakuten…. Et l’arrivée d’Amazon va intensifier la bataille des coûts d’acquisition clients. Tous les marchés de la région ne connaîtront pas le même impact mais il est certain que les inventaires étant limités les coûts peuvent vite s’enflammer.
L’exemple mexicain du lancement d’Amazon en 2015 est frappant, le marché ayant connu une inflation générale sur les plus grosses plateformes et ayant provoqué un peu de casse chez les acteurs locaux. Certains clash ont déjà eu lieu dans la région notamment en Indonésie, entre Lazada et MatahariMall.com (soutenu par le conglomérat indonésien Lippo Group, à hauteur de 250 millions de dollars). Il y a alors eu une inflation générale durant quelques mois, qui s’est pour autant adoucit dès que chacun a pu identifier ses propres opportunités de croissance). Et comme Adrien Barthel tend à le rappeler: «MatahariMall a été temporairement l’un des plus gros clients de Criteo pendant cette période ce qui est bon pour notre industrie Cocorico». Une chose est sûre «Google et Facebook vont passer une bonne année», explique Alexia Sicherel.
Le nouveau défi du O20:
A l’image d’Amazon Go fraîchement introduit avec son expérience disruptive et connectée, l’Asie, et surtout la Chine, avance aussi ces pions dans le domaine du O2O (Offline to Online ou Online to Offline). Il y a deux ans, Alibaba investissait 692 millions de dollars dans un opérateur de centre commerciaux de Hangzhou (21 millions d’habitants) afin de fournir les bénéfices et la praticité du service online dans les magasins physiques. Pas plus tard qu’en août 2015, Alibaba a investi 4 milliards de dollars pour prendre 20% de Suning, un leader dans la distribution d’appareils électroniques grand public avec 1600 magasins. Suning et Alibaba viennent de lancer en juin 2016 un investissement de 700 millions de dollars visant à encourager et faire la promotion des services connectés et en ligne auprès de la population. Le e-commerce ne représentant que 630 milliards de dollars et 13,5% du total retail chinois, les deux sociétés voient ainsi un intérêt à motiver la sensibilisation. Le réseau physique de Suning soutient ce développement. Ainsi, les 5500 centres du service après-vente accueillent déjà les clients de Tmall, la plateforme B2C d’Alibaba.
Les alliances ne semblent pour autant pas toutes concluantes. Wanda (première foncière chinoise), Tencent (WeChat) et Baidu (moteur de recherche) avaient fièrement annonce un JV généreusement financée à hauteur de 815 millions de dollars afin de lancer la plateforme «ffan.com» visant à connecter les technologies WeChat et Baidu avec les shopping malls de Wanda. Malheureusement, deux ans plus tard en août 2016, Tencent et Baidu quittent le navire. WeChat loge elle-même au sein de son application une plateforme de shopping. Selon une étude McKinsey Digital (iConsumer China 2016 Survey), 31% des utilisateurs WeChat, au nombre de 750 millions, l’utilisent en 2016 pour faire leur shopping. Un chiffre en hausse de 100% par rapport à 2015.
Alternativement, CapitaLand, la plus grosse foncière singapourienne qui rayonne dans toute la région, a mis en place un fond d’investissement doté de 70 millions de dollars, afin d’investir dans les start-ups de la Retail Tech.
Il serait bon de voir aboutir un projet d’alliance de géants de la Tech et du shopping malls et ainsi voir naître des synergies pour développer l’expérience shopping et la satisfaction client. Il est temps de voir apparaitre des situations où les investissements viennent créer une vraie omni-canalité entre les plateformes à travers un contenu multi-devices et multi-environnements (in-store), des outils d’analytique à parité entre les deux mondes, un service client qui accompagne réellement le client tout au long de son expérience d’achat et pas seulement après. Amazon arrive avec de bonnes armes dans la région et pourrait bien être l’acteur qui sait relier les deux bouts. Pour conclure, ne pourrions-nous pas rêver d’un lancement en avant-première d’Amazon Go au sein d’un mall asiatique! Affaire à suivre …
Clément Turnier est un expert et consultant spécialisé dans le développement en Asie. Il vit depuis 7 ans en Asie. En 2016, il fonde sa société de conseil pour les entreprises, le Saas en particulier, qui souhaiteraient s'installer en Asie. Il est aussi business angel au sein de la société d'investissement Betcha. En Europe, il a travaillé chez Richemont et à la banque Merrill Lynch.
Pierre Robinet est le vice-président d’Ogilvy Red Asie Pacifique.
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