L’expérience employé au delà des RH
Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb
Qui doit être en charge de l’expérience employé? C’est un sujet que j’ai déjà abordé mais qui revient sur le devant de la scène alors que le sujet prend de l’ampleur et que les entreprises commencent à se demander comment s’organiser pour traiter le sujet convenablement.
Lors de la dernière conférence HRTech World c’est un sujet qui a été mentionné un certain nombre de fois sur scène et qui a été au centre de nombreuses discussions entre praticiens, RH ou auréolés d’un tout nouveau titre de Directeur de l’Expérience employé, VP expérience employé ou autre variation sur le même thème.
Le tout avec une préoccupation majeure: comment impacter au delà des RH quand on est par essence une émanation de la fonction RH. Et avec un corollaire pour ceux qui commençaient juste à s’intéresser au sujet: pourquoi aller au delà de la sphère RH. C’est d’ailleurs probablement cette question qui est la plus importante car comprendre pourquoi, amène très rapidement à savoir comment.
L’expérience employé: un sujet RH par définition
Reprenons depuis le début. L’expérience employé appartient aussi naturellement aux ressources humaines que l’expérience client appartient au marketing. Après tout qui est le propriétaire légitime du parcours employé, de son cycle de vie? Qui est déjà en charge des politiques de well-being?
Ceci dit force est de reconnaitre que:
- le parcours n’est pas managé en tant que parcours mais comme une suite de bonds de silo en silo plutôt qu’un parcours fluide au fil des étapes de la vie du collaborateur.
- le well-being n’est qu’une composante mineure de l’expérience employé car…
- …l’essentiel de l’expérience employé (75%, 90%) n’a rien à voir avec les RH mais avec l’expérience de travail au quotidien, l’expérience métier.
- Les RH ont donc la responsabilité du parcours mais n’ont pas le contrôle de toutes les composantes du parcours
Mais d’ailleurs: ne voit on pas de plus en plus d’entreprise confier l’expérience client à un département propre hors du marketing car c’est trop large pour n’être qu’entre les mains du marketing? Cela doit éveiller quelques idées chez nous.
Si les RH maîtrisent par définition la partie RH du quotidien du collaborateur (congés, learning etc ainsi que les outils et process qui les supportent) elles n’ont aucunement la main sur ce qui constitue l’essentiel (75% ? 90%?) des irritants de l’expérience employé qui ont trait aux process et outils métier et au management.
Un DRH peut transformer ses outils et process RH à destination de ses équipes et des «clients» de ses équipes à savoir managers et employés, en tant que manager il peut changer le quotidien du travail pour ses propres équipes. Mais pas question de toucher aux outils et process métier et pointer du doigt l’absence d’alignement entre les pratiques d’un manager et l’expérience employé désirée lui est parfois possible mais rarement suivi d’effet.
L’expérience employé est donc a minima partagée entre RH et métiers sans qu’un ne soit légitime à prendre le pas sur l’autre. Ils peuvent s’entendre ou non mais aucun n’est légitime ni compétent pour devenir le hiérarchique de l’autre.
Une bonne expérience? Ne pas avoir à lutter contre sa propre entreprise!
Tout le monde n’est pas d’accord avec cette position mais mon avis est que l’expérience employé est avant tout une affaire d’efficacité (voire de productivité) et d’engagement. Le plus grand fardeau des collaborateurs aujourd’hui est constitué de sujets comme l’organisation, le management, les process et les outils qui le ralentissent dans son travail, l’empêchent de donner sa pleine mesure. L’entreprise qui lui demande de courir de plus en plus vite lui accroche elle même des boulets aux pieds.
Demandez à vos collaborateurs comment améliorer leur expérience? Ils vous parleront principalement d’irritants tels que les outils et les process ou encore de la lourdeur du reporting. Une bonne expérience est une expérience sans entraves où l’on a les moyens et les outils pour se consacrer pleinement à l’accomplissement de sa mission. Se battre contre les concurrents, lutter pour convaincre et satisfaire un client? Oui. Mais pourquoi devoir se battre contre son entreprise alors qu’il y a déjà tellement d’opposition en dehors?
Aussi surprenant que cela puisse paraitre, l’expérience employé se joue principalement quand on travaille. Ensuite seulement, vient le reste!
Tout ce qui touche well-being? Bien sûr, c’est bienvenu et pas contradictoire avec l’approche «productive», mais entre avoir un environnement qui donne des moyens plutôt qu’il n’entrave et avoir un spa, un baby foot ou des cours de yoga, je sais pour l’avoir observé ce que les collaborateurs valorisent.
D’ailleurs si un collaborateur se moque des outils et de l’organisation du travail et se plait chez vous pour les cours de yoga vous pouvez vous interroger sur sa motivation profonde et vous demander si vous n’avez pas fait une erreur de casting quelque part.
Il est où le bonheur? Pas (seulement) au travail!
Si je ne traitais pas la question du bonheur au travail je suis sûr qu’elle arriverait dans les commentaires donc autant y aller une fois pour toute. Je ne sais si le sujet est trop idéaliste ou une malsaine escroquerie intellectuelle mais…
• promettre le bonheur en tant qu’employeur est une sacrée promesse qu’il faut pouvoir tenir. A mon sens c’est plus que risqué, c’est très dangereux.
• il y a autant de définitions du bonheur que de collaborateurs. Bonne chance.
• ce qui rend les gens heureux change avec le temps.
• penser que le travail à lui seul peut suffire au bonheur de quelqu’un est triste. Le travail peut apporter de la satisfaction, contribuer à l’épanouissement, contribuer au bonheur mais pas plus. Que le travail évite de rendre les gens malheureux serait déjà bien, qu’il évite de les fruster serait déjà une grande satisfaction. Ce qui nous ramène au sujet du contenu, de l’organisation et des outils de travail.
On s’est un peu écartés du sujet mais il y a des choses qui devaient être dites.
De futur des RH: la productivité
Retour donc à notre sujet de départ. Comme le disait Josh Bersin et comme en convenaient un certain nombre de participants avec qui j’en ai parlé, le futur des RH concerne la productivité. Pas leur propre productivité, ça ils y travaillent depuis longtemps, mais celle des collaborateurs.
Vous trouverez cette illustration dans le rapport HR Technology Disruptions for 2018 de Josh Bersin.
Alors nous sommes bien d’accord, ça n’est pas la productivité à la place des missions traditionnelles des RH mais en tant que nouvelle mission prioritaire qui vient s’ajouter aux autres. Mais à mon avis l’échelle de temps proposée par Bersin est très optimlste: pour ce que je vois beaucoup d’entreprises en sont encore à améliorer leur talent management et balbutient vaguement sur l’engagement, ce qui rend difficile à mon avis l’ouverture d’un nouveau chantier même si je le trouve essentiel.
Mais la bonne nouvelle c’est qu’il me semble tout à fait possible de lancer le chantier productivité même sans être totalement avancé sur les autres car il bénéficie beaucoup à l’entreprise et est très valorisé par las collaborateurs.
La productivité au cœur de l’expérience employé
Inutile de vous expliquer pourquoi la productivité est capitale pour les entreprises. Dans «capital humain» il y a «capital» et on attend de ce capitale qu’il se développe et, surtout, qu’il fournisse un retour cohérent avec l’investissement consenti. L’Homme est la principale «machine productive» de l’entreprise, ne l’oublions pas.
Mais le collaborateur est – je le constate au quotidien – très sensible au fait qu’on s’intéresse à sa productivité. Non pas, comme cela a été trop souvent le cas, en lui mettant la pression et lui donnant des objectifs inatteignables mais en lui donnant les moyens d’accomplir sa mission sans entrave.
Mais il n’y a pas pire pour un collaborateur que d’avoir la capacité à atteindre ses objectifs et être ralenti et entravé non pas par des facteurs externes ou marché mais par sa propre entreprise!
Un chantier expérience employé doit débuter par la simplification des processus métier
A force d’avoir empilé et ajouté des règles, des process, des strates managériales au fil des années, dans bon nombre d’entreprises on est incapable de répondre à la question «pourquoi fait on comme ça» autrement que par «on a toujours fait comme ça».
De manière générale quand on demande à quelqu’un d’améliorer quelque chose il ajoute mais n’enlève jamais ce qui est devenu obsolète et inutile (les solutions d’hier sont les problèmes d’aujourd’hui…) mais à force on atteint les limites de l’exercice.
Travailler ce sujet de manière impérative comporte un double avantage: des bénéfices directs pour l’entreprise et un soulagement et une valorisation immédiate par le collaborateur.
Simplifier? Mais avec qui?
Si la productivité devient un enjeu majeur, les RH ne sont outillés que pour optimiser leur propre productivité et leurs propres process. Que faire pour le reste?
La collaboration avec les métiers devient essentielle: si les RH portent le chantier, il sera exécuté par d’autres. Si les RH ne sont pas perçues comme légitime cela reviendra peut être à «Head of Employee Experience» ou quelque chose de similaire.
Se pose enfin la question du mandat. Et là sans mandat clair et explicite de la direction il y a fort à parier que ceux qui prendront en charge le chantier productivité et process seront condamnées à prêcher dans le désert.
L’expert:
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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