L’origine et les conséquences de l’élection de Donald Trump
Depuis quelques mois, une tendance avait cours en France, alimentée par le vote du Brexit au Royaume-Uni : les sondages sur l’élection américaine étaient dans le faux et Donald J. Trump devait absolument gagner l’élection présidentielle. Masochiste, un peu comme on peut avoir envie de voir Franck Underwood gagner l’élection présidentielle dans la prochaine saison de House of Cards.
Les prophètes de mauvais augure ont finalement eu raison et Donald J. Trump a gagné l’élection présidentielle, en contradiction de la plupart des sondages. C’est parti pour un cauchemar pour les USA et le monde pendant 1399 jours, voire le double. C’est un cas unique dans l’histoire des présidentielles américaines. En règle générale, le candidat devant l’autre dans les sondages précédant l’élection gagne cette dernière, même s’il y a toujours eu un écart entre les sondages et les résultats.
Les analyses vont bon train pour expliquer les résultats de ces élections. En voici une excellente de David Plouffe, l’ancien manager des campagnes de Barack Obama. L’opinion française a tendance à les recompiler à travers de ses propres filtres et biais cognitifs. Je n’y échappe pas, à ceci près que j’ai été principalement abreuvé de sources d’informations US plutôt que françaises pendant la campagne que j’ai suivie de près, surtout depuis juillet 2016.
Ceux qui prévoyaient l’élection de Trump sont contents d’avoir eu raison mais généralement tristes du résultat, sauf à l’extrême droite. Une majorité des commentaires porte sur le rejet de l’establishment incarné par Hillary Clinton et les erreurs d’appréciation des élites, toutes mises dans un même sac, médias, politiques, artistes, entrepreneurs et autres.
Ce serait la juste vengeance des électeurs pauvres et non éduqués qui n’ont pas été pris en compte. Les aristocrates à la lanterne ! A ceci près qu’ils ont élu un milliardaire narcissique et menteur escroquant ses fournisseurs et clients voyageant dans un avion plaqué or. Mais dans les esprits, un self-made man, même nettement malhonnête et serial menteur, ne peut pas être aussi pourri qu’un politique. Et c’est aussi la première fois que les américains élisent comme président un individu qui n’a jamais exercé de fonction publique. Tous les anciens présidents étaient soit des élus (sénateurs, gouverneurs) soit des militaires (Grant, Eisenhower). Même l’acteur Reagan était passé par la case de gouverneur de Californie.
Hillary Clinton aurait donc perdu car elle incarnait les turpitudes des politiques : une relation malsaine avec l’argent, le rôle ambigu de la fondation Clinton et un track-record de mensonges répétés, le tout associé à un message manquant d’inspiration. Cela pose une question valable pour la France : pourquoi les pires des candidats émergent-ils ainsi du processus de sélection des primaires ? Thomas Frank expliquait après l’élection dans The Guardian comment Hillary Clinton a été choisie par l’appareil démocrate et ses failles face à d’autres candidats qui s’en seraient mieux sortis, pensent-ils, comme Joe Biden ou Bernie Sanders. Mais les manipulations internes au parti démocrate ont permis à Clinton de remporter la mise.
Il est aussi consternant de voir comment chacun voit midi à sa porte. De nombreux parallèles ont ainsi été faits entre Trump et les start-up, les unicorns ou le growth hacking. On glorifie toujours les gagnants et surtout ceux qui gagnent au finish alors qu’ils étaient plutôt des challengers.
Cette élection apparaîtra probablement dans l’histoire comme un véritable désastre. Son histoire est déjà bien racontée dans cet article du Washington Post «How Donald Trump Won – The inside Story».
Je vais passer en revue quelques dimensions pas toujours bien traitées dans les médias sur les résultats de ces élections, l’influence qu’ont eu les facteurs extérieurs (FBI, Russie, Wikileaks), le rôle déformant du système des grands électeurs, l’ostracisation des élites et comme il se doit le rôle passé et à venir du numérique. Et faire au passage un peu de «data crunching».
Voici les points que je vais élaborer, histoire d’apporter un éclairage complémentaire à l’abondante couverture médias de cette élection historique :
1) Cette élection n’était pas un raz de marée mais ras les pâquerettes. L’élection de Trump, ne doit à la marge, qu’à 155 000 électeurs dans trois états alors que Clinton avait gagné le vote populaire d’au moins à 0,9%, soit plus de 1160 817 voix, sachant que le décompte n’est pas encore terminé (au 16/11) !
2) Clinton a plus perdu dans son propre camp que Trump n’a gagné dans le sien. C’est une belle leçon politique. Elle a perdu à cause de ses turpitudes et Trump a gagné malgré les siennes.
3) Clinton a gagné le vote populaire mais le système des grands électeurs n’est pas près de changer pour corriger cette bizarrerie.
4) Trump a aussi gagné, à la marge, grâce au FBI et à Wikileaks. C’est un fait statistiquement mesurable. On n’y peut rien mais c’est ainsi.
5) Les sondages ont toujours bon dos quand les avis changent très dynamiquement. Les donneurs de leçon pourraient faire un stage d’un an dans un institut de sondage pour gagner en humilité.
6) Les institutions américaines sont plutôt solides et peuvent, normalement, tenir le choc face aux excès éventuels de Donald Trump malgré son contrôle des trois branches (Présidence, Congrès, Cour Suprême).
7) Le self-bashing des élites qui sont toutes mises dans le même sac alimente le populisme et n’est pas la solution pour le traiter, ni pour répondre aux frustrations des électeurs.
8) La dimension numérique de la présidentielle aura de nombreux effets retards après cette élection, dont celui d’une attaque politique contre la Silicon Valley et la possibilité de voir survenir un véritable Watergate numérique.
9) Les perspectives sont plutôt sombres. J’évoque quelques scénarios consécutifs à l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, le pire étant ce qui concerne l’environnement. L’élection de Trump pourrait bien être à elle seule un véritable «ELE», un «Extinction Level Event» et la fin du darwinisme favorable à l’espèce humaine.
10) Cette élection fournit quelques leçons politiques pour la France, notamment concernant les primaires des grands partis et sur le besoin d’assainir la vie politique.
Comme cet article est très long – encore plus que d’habitude avec 25 pages A4 – profitez éventuellement de la fonction de téléchargement d’article en cliquant sur l’icône PDF à côte du titre !
C’est parti…
1) Cette élection n’était pas un raz de marée mais ras les pâquerettes
Trump l’a emporté haut la main en grands électeurs mais il a perdu en votes populaires, qui n’était cependant pas l’enjeu du scrutin. Hillary Clinton a gagné le vote populaire avec 1160 817 voix d’avance, soit 0,9% des voix exprimées (source) et ce chiffre augmente encore car le décompte n’était toujours pas terminé une semaine après l’élection, probablement avec le dépouillement toujours en cours des votes par correspondance, notamment en Californie et New York. Selon certaines estimations sur ces dépouillements à venir, Hillary Clinton aurait en fait 2 millions de voix d’avance, soit 1,5% de voix de plus que Trump. Bien plus que Kennedy face à Nixon en 1960 et même Nixon face à Humphrey en 1968 !
C’est une situation voisine et symétrique de celle d’Al Gore en 2000. Bush était devant lui dans les sondages pendant toute la campagne, et c’est seulement au finish qu’Al Gore a rattrapé son retard qui lui a permis de dépasser Bush en vote populaire à hauteur de 537 179 voix. Mais pas assez, comme pour Hillary Clinton, pour gagner les 271 grands électeurs nécessaires à la victoire (269 à l’époque car il y avait seulement 537 grands électeurs au lieu de 538 actuellement).
Mais le vote populaire ne compte pas dans cette élection. Il faut gagner en grands électeurs, c’est la règle du jeu. Cette élection a été gagnée par Trump, c’est incontestable. Elle le fut au cordeau dans quatre états : la Pennsylvanie, la Floride, le Wisconsin et la Caroline du Nord. Trump a gagné la présidentielle avec 316 EV (Electoral Votes, vs un minimum de 270 sur un total de 538), en intégrant le Michigan dont le décompte n’est pas terminé. Ces gains étaient très serrés :
- Michigan, avec 11 612 voix d’écarts représentant 0,2% des voix et 16 EV (décompte du 16/11).
- Wisconsin avec 27 257 voix d’écart représentant 1% des voix et 10 EV.
- Pennsylvanie, avec 68 236 voix d’écart représentant 1,2% des voix et 20 EV.
- Floride avec 114 455 voix d’écart, 1,2% et 29 EV. Avec un vote plus républicain sur les jeunes et les latinos (décompte du 16/11).
Si on prend juste la Pennsylvanie et la Floride, cela donne 188 691 voix d’écarts et 49 EV. Si ces voix n’avaient pas manqué à Clinton, elle gagnait la présidentielle avec. Si in prend juste le Wisconsin, le Michigan et la Floride, l’écart fait 153 324 voix et 55 EV, donc Trump à 261 EV. L’élection s’est donc jouée à l’échelle locale sur un nombre très réduit d’électeurs et sur un tiers de l’avance en PV. Ce n’est pas du tout un plébiscite de Trump. Cette élection rejoint un petit groupe d’élections gagnées au plus juste avec celle de Kennedy contre Nixon en 1960 et de Bush contre Gore en 2000.
La perte des trois premiers états de cette liste doit à des erreurs d’exécution de la campagne de Clinton, qui n’a pas tenu compte des avertissements des démocrates locaux et de Michael Moore. Elle s’est focalisée sur d’autres états comme l’Arizona et l’Ohio, espérant gagner des états plus difficiles pour remporter une plus grande mise en EV. Dans le même temps, les promesses de Trump portaient particulièrement bien dans ces états en phase de désindustrialisation avancée : le retour des emplois délocalisés, la réouverture de mines de charbon, etc. Même si elles seront difficiles à réaliser dans la pratique.
A lire, quelques explications des raisons de cette défaite le circonstancié Why Hillary Clinton lost (The Atlantic), le télégraphique 101 Reasons Why Trump Won the 2016 Presidential Election, et celle-ci qui est aussi nuancée que succincte An analysis of Donald Trump’s election win and the prospects for his presidency.
2) Clinton a plus perdu dans son propre camp que Trump n’a gagné dans le sien
Les sondages de sortie des urnes permettent de connaitre la typologie des électeurs par segments de population. Ces sondages excluent les résultats maigres de Jill Stein (écologiste, 1% des suffrages, 1,2 millions de votes) et de Gary Johnson (libertarien, 3,2%, 4 millions vs 1,2 millions en 2012).
Les clivages démocrates/républicains sont multiples :
Hommes/femmes : si seuls les hommes votaient, Trump l’emportait haut la main. A contrario si seules les femmes votaient, Clinton l’emportait facilement. Voilà un clivage facilement explicable par l’attitude plus que cavalière de Trump vis à vis de la gent féminine.
Jeunes/seniors : sans surprise, les jeunes votent plus démocrate mais se mobilisent beaucoup moins que les seniors dans ces élections. Cela a été aussi le cas cette année. Mais dans cette élection, les jeunes républicains se sont détournés de Trump autant que les jeunes démocrates ont refusé Clinton. C’est l’effet dégoût.
Villes/campagne : les villes votent démocrate, même dans de nombreux états républicains. Or la population augmente plus vite dans les villes qu’ailleurs.
Minorités/blancs : si seuls les blancs votaient, là-encore, Trump l’emportait plus que largement. Mais sur cette élection, les noirs ne se sont pas autant mobilisés qu’en 2012 et 2008 et les hispaniques n’ont pas été plus attirés par Clinton que par Obama. Dans ce sondage réalisé pour Pew, on apprend que les blancs ont plus voté pour Trump que pour Romney et que le vote, à majorité démocrate, des noirs et des hispaniques a été plus faible que pour 2012.
Diplômés/non diplômés : le schisme s’est creusé, les premiers ayant plus voté démocrate qu’en 2012 et les second plus républicain. C’est la fameuse peur du déclassement, quand ce n’est pas celle du chômage.
Par ailleurs, les électeurs à faibles revenus votaient plutôt démocrate. Cette élection n’était pas véritablement une révolte des foyers les plus défavorisés !
Mais l’élection de Trump ne s’est pas vraiment jouée là. Dans la pratique, le vote républicain est resté plutôt stable sur trois élections consécutives alors qu’il a nettement baissé côté démocrates (schéma ci-dessous). Quelques % de démocrates ont voté Trump, notamment dans les swing states, et de républicains ont voté Clinton, mais probablement plutôt dans les états des côtes, à majorité républicaine.
La chute en volume du vote démocrate est énorme, 6 millions d’électeurs, alors que Trump a remporté un peu moins de suffrages que Romney et McCain. Bernie Sanders avait obtenu 13 millions de voix aux primaires démocrates. Une bonne partie d’entre eux ont refusé de voter pour Clinton et se sont simplement abstenus. Les minorités n’ont pas été aussi mobilisées qu’avec Obama. Et ce déficit d’électeurs démocrates s’est manifesté en particulier dans les états de la rust belt, là où Obama avait gagné en 2008 et 2012. Même si l’avance de Clinton augmente dans le décompte final de 1,5 millions de voix, cela fait tout de même un déficit de 4,5 millions de voix du côté démocrate.
On retrouve ces données en suivant le taux d’abstention des présidentielles depuis l’élection de JFK. Ce taux d’abstention est l’un des plus élevésdes pays démocratiques et les experts ne s’accordent pas sur ses causes. Les élections portent sur de nombreux votes simultanés d’un seul coup, ce qui les rend complexes. Les files d’attente sont longues dans les bureaux de vote. Elles ont lieu un jour travaillé et pas un jour chômé. Sur la présidentielle, ce taux d’abstention peut s’expliquer par le fait que le vote des états qui ne sont pas des swing states n’incite pas les gens à voter. Les candidats passent d’ailleurs bien plus de temps dans les swing states que dans les états qu’ils sont assurés de gagner ou de perdre. J’ai récupéré les taux d’abstention par état et les ai comparés avec les résultats. Il n’y a pas de corrélation manifeste entre le taux d’abstention et le sens du vote, ni entre les swing states et les autres états.
L’abstention a augmenté de manière continue entre 1860 et 1988, puis elle a baissé pour l’élection des deux derniers présidents démocrates : Bill Clinton (premier mandat) et Barack Obama (ses deux mandats). Hillary Clinton a ainsi payé le prix d’une division au sein des démocrates. Ce d’autant plus que le processus des super-délégués, acquis à Clinton, désavantageait Sanders, sans compter les manigances du camp de Clinton révélées par la suite par Wikileaks. En cela, nous sommes dans un scénario à la 21 avril ou un parti de gauche (relativement à son pays) perd à cause de ses divisions. Des primaires amères sont des machines à perdre surtout quand le candidat retenu a trop de casseroles ! C’est une bonne leçon pour la France.
Des signaux pas si faibles permettaient de sentir ce vent mauvais. Le début de la convention démocrate en juillet 2016 (vidéo), avec un souk généré par les partisans de Sanders. Un désordre vite oublié avec l’intervention de Michèle Obama le même jour, puis celle de Barack Obama et une clôture correcte par Tim Kaine et Hillary Clinton. Frédéric Filloux en a documenté d’autres, vu de Stanford !
Dans le même temps, les divisions chez les républicains ont été mieux gérées. Les anti-Trump ne se sont pas manifestés pendant la convention républicaine. Ce sont au contraire les partisans de Trump qui ont hué Ted Cruz quand, à l’issue de son discours, il n’a pas explicitement soutenu Trump (vidéo). Une partie de l’élite républicaine a cependant lâché Trump, en particulier au moment du “PussyGate” début octobre ainsi qu’un grand nombre de médias qui soutenaient habituellement les candidats républicains à la présidentielle.
Hillary Clinton a été accusée de ne pas se préoccuper des classes moyennes et en-dessous, ce qui est exagéré. Elle évoquait dans ses interventions et dans les débats sa vision dans l’éducation, pour rendre gratuite la formation de premier cycle universitaire (college), sur l’amélioration d’Obamacare et sur divers programmes d’infrastructure. Mais les médias se focalisaient sur l’affaire des emails plus que de son programme, autant que des débordements de Trump.
Trump de son côté prétendait faire revenir les emplois offshore aux USA en renégociant les traités économiques multi-latéraux. Les électeurs de base se sentaient délaissés par les élites de Washington (exemples). Une impression surtout alimentée par la campagne de Trump, qui oubliait évidemment de rappeler que l’inaction apparente d’Obama venait de l’obstruction systématique du congrès devenu entièrement Républicain en 2010. Tout ceci explique pourquoi Barack Obama s’est mobilisé dans les meetings électoraux comme aucun président sortant ne l’avait jamais fait par le passé (Miami, Philadelphie, etc).
Ces résultats ne sont que le reflet d’une élection opposant deux mauvais candidats, et qui l’étaient pour des raisons différentes, l’un ayant plus facilement mobilisé son camp que l’autre. Bernie Sanders aurait-il mieux fait ? C’est possible mais loin d’être évident. Il aurait mieux mobilisé l’électorat de la rust belt ou en Pennsylvanie comme le montrent les sondages ci-dessous réalisés au printemps 2016 pendant les primaires. Il n’aurait pas trimbalé de casseroles. Par contre, il était très à gauche et aurait pu rebuter de nombreux électeurs dits indépendants. C’est la raison pour laquelle l’appareil du parti démocrate a manigancé pour qu’il ne gagne pas les primaires. On ne refait pas l’histoire ! L’enjeu politique était de canaliser la colère des classes moyennes et Clinton a échoué à le faire. Trump déterminait l’agenda des discussions et débats, certes par des outrances. Clinton était inaudible avec son programme social. Les médias allumaient certes Trump, mais parlaient sans cesse de lui. C’est un peu le modèle de communication de Sarkozy.
3) Clinton a gagné le vote populaire mais le système des grands électeurs n’est pas près de changer
Le système des grands électeurs américains peut nous paraître anti-démocratique car les voix des électeurs n’ont pas le même poids selon les états. Dans un état très polarisé comme la Californie, ou New-York, une voix de plus ne sert à rien côté EV. Alors que nous avons vu que très peu de voix dans de petits états ruraux peuvent influencer l’élection. Ils sont à dominante républicaine et avec des électeurs blancs.
Ce système nous semble bizarre mais résulte du fait que les USA sont un état fédéral où les états ont de nombreuses prérogatives qu’ils souhaitent bien ne pas perdre. D’ailleurs, les résultats de ces élections ne sont publiés qu’à l’échelle de chaque état par leur Département d’Etat qui envoie ensuite ses grands électeurs au vote formel qui a lieu le 19 décembre. Ce sont les médias et autres organismes indépendants qui consolident les résultats, comme ici. Il n’y a pas de consolidation officielle des résultats par un organisme fédéral.
Dans un système à la française (avec un seul tour), Clinton aurait été élue, avec au moins 0,9% de voix d’avance par rapport à Trump. Les républicains ont d’ailleurs perdu le vote populaire dans 7 des 8 dernières élections. La seule fois où ils l’ont remporté de ce point de vue était la réélection de Bush 43 en 2004 (Bush 41 étant son père, la numérotation étant celle du nième président des USA). Le système des grand électeurs amplifie les résultats du vote populaire, et le contredit dans de rares cas comme cette année et en 2000. Dans cette élection, les états qui ont fait basculer de justesse l’élection en faveur de Trump étaient toutefois avec un ratio élevé de population par EV (ci-dessous avec les points rouges).
Le décalage de représentativité vient de ce que le poids des grands électeurs ramené à la population n’est pas identique d’un état à un autre. Le poids d’un EV est plus fort dans les états ruraux républicains et plus faibles dans les états très peuplés et démocrates. Le décalage de représentativité est lié à une tendance démographique de dépeuplement des zones rurales et à l’effet retard de la réévaluation du nombre d’EV par état qui est réalisée après chaque recensement décennal, le dernier datant de 2010. En fait, le poids d’un état en EV est égal au total de son nombre d’élus à la chambre des représentant qui est calculé proportionnellement à la population et au nombre de sénateurs qui est toujours de 2. Cela favorise donc mécaniquement les états faiblement peuplés.
L’initiative National Popular Vote Interstate Compact (NPVIC) a été lancée par une dizaine d’états et le District of Columbia (Washington) – souvent démocrates – pour permettre l’attribution de leurs 165 EV à celui des candidats qui gagne l’élection au niveau des PV dans les 50 états au cas où ce mode d’attribution permet effectivement l’élection du président choisi par le vote populaire. Cette initiative. n’a pas encore changé la donne parce que les états républicains ruraux n’ont pas intérêt à rentrer dans ce jeu, ce qui réduirait leur influence pendant les élections. Le NPVIC ne permet pas de convertir les 20 EV de la Pennsylvanie en votes pour Clinton car ils ne suffisent pas pour lui faire atteindre les 270 EV. Il suffirait que les états participant à cette démarche représentent la moitié des EV (270) pour faire disparaitre dans la pratique la notion d’EV. Pour y arriver, il faudrait que pas mal d’états républicains deviennent démocrates, notamment dans les prochaines mid-term de 2018.
Cette démarche présente des inconvénients apparents, rendant moins indispensables les innombrables déplacements et meetings des candidats dans les swing states. En lieu et place de ces déplacements, il leur serait plus rentable de se déplacer dans les grandes métropoles surtout sur les côtes est et ouest. Et comme le montre la carte ci-dessous des résultats par comté, si les mètres carrés votaient, les présidents seraient systématiquement républicains.
Si le système des grands électeurs disparaissait, il ne subsisterait le Sénat pour protéger les petits états car chacun d’entre eux est représenté de la même manière par deux sénateurs. Manque de bol, les budgets fédéraux qui influent le plus sur la vie des étas sont votés par la chambre des représentants qui est elle composée d’élus en proportion de la population des états.
Ceci étant, en France, les candidats battent campagne dans toutes les régions de France et en Outre-Mer. A ceci près que la France est plus petite géographiquement parlant.
Ironie de l’histoire, en 2012 après la réélection d’Obama, Trump s’était insurgé contre l’absurdité du système du collège électoral. Mais il va vite l’oublier !
Cette élection relance en tout cas le débat. Les milieux démocrates et progressistes sont chaud bouillants sur le sujet. Eric Holder, l’ancien Attorney General d’Obama, veut lancer un mouvement dans ce sens (vidéo) tout comme Bernie Sanders qui fait remarquer que le système des grands électeurs défavorise aussi les états ruraux qui votent systématiquement républicain.
4) Trump a aussi gagné grâce au FBI et à Wikileaks
Je vais me permettre de faire le mauvais joueur, sachant que les démocrates n’ont pas joué à ce jeu à l’issue du résultat, le respectant sans broncher, tout du moins en apparence. C’est une tradition américaine de respecter le résultat des élections une fois celui-ci acquis. Des contestations peuvent avoir cependant lieu sous le radar comme ce fut le cas après l’élection de JFK en 1960. Le patron des sondages de l’équipe de Clinton pense d’ailleurs que l’élection a été perdue la dernière semaine, après l’annonce du FBI du 28 octobre. Hillary Clinton l’a aussi affirmé lors d’un meeting privé avec ses supporters samedi 12 novembre.
Cette ferveur républicaine ne dure pas longtemps. Dès que le nouveau Président démarre son mandat en janvier, le jeu politique habituel redémarre, surtout au Congrès. Sachant qu’une campagne électorale se profile à peine un an plus tard avec la préparation des élections de mi-mandat, pour novembre 2018.
Trump affirmait que l’élection était truquée avant le jour fatidique, ce qui constituait un bon moyen de mobiliser ses troupes ayant peur de perdre «leur» Amérique. Il avait raison, sauf que dans la pratique, ces élections étaient truquées en sa faveur, et notamment du fait de l’intervention du FBI qui n’était pas due au hasard. Cf It Sure Looks Like FBI Renegades Are Trying To Swing The Presidential Election paru dans le Huffington Post trois jours avant l’élection. Je ne serais pas étonné que des journalistes enquêtent sérieusement sur la question du rôle du FBI comme celle de Wikileaks et des fuites organisées par les services de renseignement russes, d’après les services de renseignement US. Des livres paraîtront surement sur le sujet d’ici un an. On peut aussi se délecter des mails du camp démocrate révélés par Wikileaks qui dévoilent les manipulations diverses du DNC, notamment pour favoriser Hillary Clinton face à Bernie Sanders pendant les primaires.
Les décalages de 0,3% à 1,2% de voix défavorables à Clinton qui ont fait basculer en rouge les quatre swing states listés plus haut sont en effet inférieurs à la marge d’erreur des sondages qui est de l’ordre de 2,5%. Ils sont aussi largement inférieurs à l’impact négatif pour Clinton de l’annonce du FBI du 28 octobre, qui a réduit l’avance de Clinton sur Trump de plus de 3 points dans les sondages comme le montre leur évolution compilée par RealClearPolitics pendant les mois précédent l’élection.
Qui plus est, dans les swing states, plus de la moitié des électeurs se sont décidés pendant la dernière semaine avant l’élection (source). Le patron du FBI semble avoir violé le Hatch Act qui empêche les fonctionnaires d’influencer une campagne électorale pendant les 60 jours précédant le vote. Barack Obama s’en est étonné mais il n’y a pas eu de suite. Deux jours avant le scrutin, le FBI a fait marche arrière, indiquant qu’il n’avait rien trouvé de nouveau incriminant Hillary Clinton dans les mails de Anthony Weiner, l’ancien mari de Huma Abelin, la conseillère de Clinton. Mais il était trop tard. Le mal était fait, alimentant la méfiance, déjà élevée, à l’encontre de Clinton.
Le FBI ne cherchait probablement pas que des mails concernant la sécurité nationale US, mais aussi d’autres pouvant être liés aux activités de conférencier de Bill Clinton à l’époque où Hillary Clinton était Secrétaire d’Etat de Barack Obama (janvier 2009 à janvier 2013). A la clé, d’éventuelles preuves de trafic d’influence qui expliquent pourquoi Trump répétait à l’envi pendant la campagne qu’Hillary Clinton était corrompue.
Ces soupçons sont documentés dans “Clinton Cash”, un ouvrage publié en 2015 d’où Trump a puisé ses sources. Le livre a été partiellement démonté ici et là depuis sa publication mais les doutes subsistent. Ils ont aussi été alimentés par les mails révélés par Wikileaks, obtenus via des pirates russes liés au gouvernement Poutine selon les renseignements américains, ce que Trump a plusieurs fois dénié alors que ce n’était pas nécessaire.
Le jour de l’élection, un avocat de Julian Assange de Wikileaks lisait au Web Summit de Lisbonne une lettre de ce dernier affirmant qu’il ne cherchait pas à influencer l’élection américaine tout en indiquant qu’il n’avais pas d’information à publier concernant Donald Trump. Certains pourront le prendre au mot et lui en envoyer pour vérifier sa réaction !
Dans les facteurs d’influence du vote, il faut aussi évoquer les interminables files d’attente qui découragent certains électeurs, aussi bien pendant les votes avant l’élection que le jour même. Certains états républicains ont même réduit le nombre de bureaux de vote dans les zones les plus défavorisées, sans compter diverses désinformations envoyées aux électeurs noirs, leur demandant soit des papiers d’identité spécifiques pour voter, soit leur recommandant de voter le mercredi après l’élection.
Un autre élément a peut-être joué un rôle dans cette élection. Juste avant la relance de l’enquête du FBI, le 25 octobre, le gouvernement US annonçait l’augmentation des primes d’assurance de la couverture santé des programmes Obamacare fournis par les assurances privés, en moyenne de 22%. Une augmentation liée à un dumping des prix pour l’acquisition de clients et au poids plus élevé que prévu de personnes malades couvertes par ces programmes. De quoi décevoir pas mal d’électeurs démocrates, même si ces augmentations étaient explicables.
5) Les sondages ont toujours bon dos quand l’opinion est très volatile
Comme l’indiquait le New York Times, la victoire de Trump était l’équivalent de celle de Truman contre Dewey en 1948, alors que tous les sondages prévoyaient jusqu’à l’élection que le républicain Dewey gagnerait l’élection. Rien ne s’est passé comme avant. C’est par exemple la première fois que le candidat qui gagne les trois débats présidentiels perd l’élection. On se rappelle comment Kennedy avait été meilleur que Nixon en 1960 ou Reagan contre Carter en 1980 (“here you go again”).
Les sondages précédant l’élection donnaient quasiment tout le temps gagnante Hillary Clinton. Le pourcentage de chances de gagner de Trump oscillait pour FiveThirtyEight, le site du statisticien Nate Silver, entre 13% et 35% selon les périodes. Il était même monté à plus de 45% à la mi septembre alors qu’Hillary Clinton avait semble-t-il caché quelques temps sa pneumonie. Même les sondages privés commandés par les équipes de Trump n’étaient pas positifs pour lui, ce qui ne l’a pas empêché de rester un battant jusqu’à la fin de la campagne. Il a été le challenger presque tout le temps. Sa résilience a été bien mise à l’épreuve.
Le Washington Post a bien enquêté sur les instituts de sondages et les compilateurs de sondages dans “Where the polls got it wrong”. L’erreur d’appréciation moyenne sur le résultat en vote populaire dépassait 3% des votes. Quand aux grands électeurs, très peu d’instituts prévoyaient une victoire de Trump, même au couteau. Mais les marges d’erreur étaient du même ordre de grandeur pour les élections précédentes ! Avec un impact plus faible car elles étaient généralement moins gagnées au millimètre comme ici.
Il est bien facile de taper sur les doigts des instituts de sondages et leurs méthodes de calcul et de corrections. Prévoir le résultat d’une telle élection n’était pas évident. A l’échelle de chaque état, les sondages sont moins fréquents et ils portent sur un électorat plus volatile. On a vu plus haut avec l’affaire du FBI et de la pneumonie d’Hillary Clinton que l’électorat changeait d’avis très fréquemment et que la moitié des électeurs se décident au dernier moment.
Critiquer les instituts de sondage, c’est accuser le thermomètre quand la température change tout le temps, sans s’intéresser au chauffage mal réglé ou aux fenêtres mal fermées qui s’ouvrent de temps en temps au gré du vent. Qui plus est, dans les votes protestataires, les sondés ont peur d’exprimer leur opinion. C’est normalement intégré dans les modèles mais il faut les revisiter sans cesse selon les candidats et l’époque.
Le site militant démocrate DailyKos a illustré ce point dans le schéma suivant indiquant la sous ou surperformance de Clinton par état. On voit qu’elle n’a surperformé que dans trois états et sous-performé dans 19 états avec des écarts allant jusqu’à 7 points. Les autres ne sont pas dans la courbe car ils sont systématiquement démocrates ou républicains.
Au niveau de l’issue de l’élection, la palme de l’erreur statistique revenait au Huffington Post, qui prévoyait que Hillary Clinton avait 98% de chances de gagner. Trump était donc un véritable cygne noir.
Dans l’autre sens, les sondages du LA Times prévoyaient quasiment systématiquement la victoire de Trump en popular vote, avec entre 1% et 5% d’avance. Ils étaient tout autant dans l’erreur puisqu’il a perdu de 0,49% de ce point de vue-là, voire plus, le décompte n’étant pas terminé. Quand ils prévoyaient une victoire à moins de 2%, cela rentrait dans la marge d’erreur. Mais très souvent, ils étaient au-dessus de 3%.
Le site CBInsight s’est aussi moqué des prévisions des électeurs eux-mêmes en montrant que l’intelligence des foules n’était pas meilleure que celle des méthodes des instituts de sondages. Ci-dessous, le pourcentage de chances de gagner pour Trump évalué par sondage. Il a baissé de manière continue jusqu’à la fin de la campagne.
Le calcul suivant évaluait la portion des sondages où les candidats étaient en avance pendant les deux mois précédant l’élection. Et là encore, une plus grande chance de gagner pour Clinton que pour Obama à la fois en 2008 et 2012. De quoi être confiant.
Le site RealClearPolitics est le plus connu et consulté. Il compile un grand nombre de sondages et propose des prévisions à la fois en EV, en PV ainsi que sur le sénat et la chambre des représentants. Alors qu’il prévoyait une avance d’environ 3% pour Clinton les deux derniers jours avant l’élection, sa carte des grands électeurs était toutefois plutôt inquiétante, ne prévoyant que 272 EV pour Clinton. Ca pouvait laisser prévoir un scénario où Clinton l’emportait en PV mais pas en EV. Ce qui s’est passé ! Si le gap entre Clinton et Trump en PV termine à 2%, RCP n’aura finalement pas été loin du compte avec des résultats compris dans la marge d’erreur habituelle des sondages.
Le statisticien Nate Silver prévoyait aussi la victoire de Clinton, mais de manière moins assurée. Il avait tendance à appliquer sa propre bidouille dans les sondages, qui favorisait d’ailleurs Trump par rapport aux autres consolidateurs de sondages. Il s’était fait connaitre en prévoyant avec justesse le résultat de l’élection de 2012 dans tous les états. Cette fois-ci, il s’est planté sur la Floride, la Caroline du Nord et la Pennsylvanie. C’est ce qui permettait dès 3h du matin de voir que c’était foutu pour Clinton alors qu’elle avait perdu la Floride et la Caroline du Nord. Et il prévoyait 302 EV pour Clinton et 3,6% points d’écarts en PV.
Aux instituts de sondages s’ajoutent des prévisions qui exploitent diverses sources de données : celles des sondages, des données macro-économiques et circonstancielles. Les élections américaines dépendent de très nombreux paramètres et certaines corrélations sont bien connues comme le fait que les présidents élus ont tous gagné l’Ohio depuis longtemps. Mais corrélation n’est pas causalité !
Par exemple, le Bread and Peace Model combine le taux de croissance du parti sortant et les victimes américaines de conflits militaires. Il prévoyait là encore une victoire de Clinton. Une histoire qui montre que le problème n’était pas Obama mais Clinton, surtout dans la mesure où le président sortant bénéficiait d’un très bon taux d’approvals, de 54% la veille de l’élection.
Le professeur d’histoire de l’American University de Washington Allan Lichtman avait prévu de son côté l’élection de Trump en se basant sur un modèle qualitatif utilisant 13 critères. Il prévoit maintenant que Trump sera impeached et destitué pour être remplacé par Mike Pence, qui est plus facile à contrôler, vu du parti républicain.
Un certain Sanjiv Rai a de son côté prévu avec justesse le résultat de l’élection via une technique utilisant de l’intelligence artificielle baptisée MoIA, exploitant les données issues des réseaux sociaux. Mais rien ne dit que la méthode soit reproductible puisqu’elle n’a été testée qu’une seule fois pour une élection à venir. Et qui plus est, une partie du bruit dans les réseaux sociaux avait été générée par des bots côté républicain ! (voir aussi ici dans
Une autre corrélation un peu rapide montre que les états républicains sont ceux où le métier le plus fréquent est celui de camionneur, menacé à terme par les véhicules à conduite automatique. C’est évidemment un peu court. Tout comme cette tenancière d’un magasin de souvenirs de New York qui prévoyait l’élection d’Hillary Clinton car les mugs à son effigie se vendaient mieux que ceux arborant celle de Trump !
Du point de vue qualitatif, Michael Moore avait vu juste en en juillet 2016 en prévoyant que Trump allait gagner grâce aux états de la rust belt, autour des lacs, les zones les plus touchées par la désindustrialisation de l’économie américaine (raison 1), au passé de Clinton (raison 3) et aux électeurs déprimés de Sanders (raison 4). Il avait ensuite expliqué comment battre Trump et réalisé le film Trumpland, sorti en septembre 2016. C’est une conférence filmée de lui même expliquant avec pédagogie à une audience mixte d’un état de la rust belt pourquoi il fallait voter pour Hillary Clinton. Il exposait notamment ses efforts démarrés en 1993 pour améliorer le système de santé américain, s’appuyant sur des visites en Europe et notamment en Estonie.
Pour ce qui est des prévisions sur le Sénat et la Chambre des Représentants, elles ont fait chou blanc sur le Sénat, qui n’a pas été remporté par les démocrates. Cela se jouait à un ou deux sièges près. Sinon, le site RealClearPolitics prévoyait 190 représentants démocrates et 224 républicains plus 21 en toss-up (sondages trop imprécis pour les départager). Au final, les démocrates ont remporté 193 états (+6) et les républicains 238 (-6). Donc ils n’ont gagné que 3 des 21 sièges “toss-ups”, un résultat probablement aussi influencé par l’affaire du FBI.
6) Les institutions américaines sont plutôt solides
Ceux qui ont le plus peur de Trump le voient devenir un dictateur. Dans Trumpland, Michael Moore évoque une élection possible de Trump et indique que ce serait la dernière élection d’un Président des USA. D’autres auteurs jugent que Trump a déjà violé la Constitution et son esprit par ses propositions. Qui plus est, Trump se préparait à être un très mauvais perdant en ne confirmant pas accepter le résultat au cas où il perdrait. Clinton a été une meilleure perdante.
Mais la Constitution des USA est vieille de 240 ans. Elle a été amendée 27 fois, la dernière en 1992. Elle présente des caractéristiques qui protègent le pays du fait des règles de “checks and balances” qui répartissent de manière équitable le pouvoir entre l’exécutif, les deux chambres et le système législatif. Ils sont élus sur des termes différents : 2 ans pour les représentants, 4 ans pour le président, 6 pour les sénateurs et à vie pour les juges de la Cour Suprême. Cela génère d’ailleurs de fréquentes périodes de cohabitation entre présidents et chambres entièrement du bord opposé, comme illustré dans le schéma suivant, une situation qui a surtout pénalisé Bill Clinton et Barack Obama, le précédent cas étant celui de Richard Nixon et de Gerald Ford, pendant l’intégralité de leur présidence.
Qui plus est, les grandes décisions ne sont pas toujours prises à la majorité simple des assemblées. Un amendement à la Constitution tout comme la signature d’un Traité demande les deux tiers des deux assemblées.
Si Trump dépasse les bornes et se met à dos la population des USA, il en subira les effets dans les mid-terms de 2018 qui renouvelleront à nouveau un tiers du Sénat et l’intégralité de la Chambre des Représentants.
Le camp républicain évoquait pendant l’élection la possibilité de déclencher une procédure d’impeachment dès l’élection d’Hillary Clinton. Trump avait même déclaré qu’il l’enverrait en prison si elle perdait, pendant le troisième débat présidentiel. Du jamais vu. Cette éventualité est aussi déjà imaginée pour Donald Trump, soit pour des faits antérieurs à son élection soit pendant son mandat. La procédure d’impeachment est cependant complexe. Elle n’a été lancée que deux fois au 20e siècle : pour Richard Nixon et pour Bill Clinton. Nixon a démissionné avant qu’elle n’arrive à son terme, prévenu par les sénateurs républicains qu’il la perdrait dans les deux chambres. Quant à Bill Clinton, la procédure a abouti à un vote de l’impeachment par la Chambre des représentants. Oui, Clinton a été “impeached”. Mais “impeached” ne veut pas dire “viré”. Il faut un vote du Sénat aux deux tiers pour que le président soit destitué et c’est là qu’il a été sauvé, fin 1999. A cette époque, les deux chambres étaient républicaines. Aujourd’hui, nous avons deux chambres toujours républicaines, donc du même camp que le Président. Reste à imaginer pour Trump un scénario à la Nixon, que nous évoquerons plus loin.
The New Yorker imaginait en septembre 2016 à quoi ressemblerait une présidence Trump. Il explique notamment ce que Trump pourrait faire ou ne pas faire. Les débuts sont déjà inquiétants lorsque l’on observe la composition de l’équipe de transition qui comprend déjà des individus peu recommandables. Des lobbyistes de Washington ainsi que des représentants du monde de la finance, et le top, l’ancien rédacteur en chef du site conspirationniste Breitbart. Bref, du “Washington all over again” et en pire. L’état de grâce ne risque pas de durer bien longtemps et la prudence doit être de mise.
7) Le self-bashing des élites alimente le populisme 2.0
Avec cette victoire de Trump gagnée de justesse, les élites en ont pris plein la gueule. Que ce soit l’establishment, les patrons, les artistes (Pharell Williams, Jay Z, Beyoncé, Lady Gaga, Julia Louis Dreyfus, Robert Downey Jr, Robert de Niro, Robert Redford) et surtout les médias qui avaient soutenu Hillary Clinton et dénoncé les dérives de Trump et ne se seraient pas intéressés aux petites-gens. La punition est là : les classes moyennes et une partie des classes les moins favorisées ont dit merde aux élites et voté majoritairement pour Trump. Comme s’il fallait effacer le fait qu’ils avaient raison de dénoncer les dangers de Trump. Une enquête d’opinion aurait même démontré avant l’élection que l’appel à des stars avait une influence négative !
Les commentateurs se font fort d’expliquer que le Trump bashing n’était pas la meilleure méthode pour le vaincre. Il aurait fallu plus couvrir les éléments des programmes, les différences d’approche des candidats sur la politique économique, la fiscalité, la santé et l’éducation. Seulement voilà, Trump faisait des propositions très vagues. Il annonçait qu’il voulait supprimer Obamacare mais sans trop préciser comment à part de dire que ce serait par un truc vachement bien. Dans le détail, il proposait seulement d’appliquer des déductions fiscales aux dépenses d’assurance santé des américains. Cela ne donnait pas beaucoup de grain à moudre aux médias.
L’équipe de Clinton était plus précise dans ses propositions de corrections des défauts d’Obamacare. Idem pour l’éducation. Quant à la politique isolationniste ou de renégociation des contrats de libre échange, il fallait se cogner des revues spécialisées comme Foreign Affairs pour comprendre pourquoi les propositions de Trump ne tenaient pas la route et aussi apprendre que les emplois industriels disparaissaient plus du fait de l’automatisation que des délocalisations. Ces sujets économiques sont complexes et les grands médias ont du mal à les vulgariser. Les blancs non éduqués lisent peu, les noirs aussi d’ailleurs. Les outils numériques, smartphones en tête, ne sont pas majoritairement utilisés pour développer la culture économique des électeurs. Donc, on a eu droit à l’élection présidentielle la plus trash depuis plus d’un siècle, focalisée sur les travers des candidats. Pour Trump, ils étaient multiples et répétés. Pour Clinton, ils tournaient essentiellement autour de la boite de Pandore des emails. Un pot de colle politique difficile à éviter qui faisait de Clinton une “mauvaise candidate” en plus de son manque de charisme. Le Parti Démocrate est en pleine remise en cause et recomposition après cet échec, le sort habituel des perdants.
L’establishment contre Trump était aussi en partie républicain. Avec les 50 anciens conseillers à la sécurité nationale républicains, Michael Bloomberg, intervenu à la convention démocrate, John Chambers de Cisco qui déclarait le jour même de l’élection au Web Summit de Lisbonne qu’il était républicain mais avait voté pour Clinton. Et puis la majorité des journaux qui soutenaient habituellement des candidats républicains, ou qui s’abstenaient de prendre position, et qui ont recommandé de ne pas voter pour Trump et/ou de voter pour Clinton, malgré tous ses défauts qu’ils ne se manquaient pas de rappeler. Il y avait même Ari Fleisher, ancien PR manager de Georges W Bush, qui indiquait s’abstenir pour la présidentielle et voter républicain pour les élections locales. Dans leur grande majorité, les élites républicaines jugeaient que Trump n’avait pas l’étoffe d’un président. Avaient-ils tort de l’affirmer ! Non. C’était leur devoir de prévenir le public même s’ils risquaient de ne pas être écoutés. D’ici quelques années, on pourra juger sur pièces. Quand on pense que certains républicains souhaitaient même explicitement perdre pour éviter la honte !
Il est saisissant d’observer que ce populisme anti-élites provient d’autres élites. Il est alimenté par des gens qui, même s’ils ne s’en réclament pas, font partie des mêmes élites. Ne serait-ce que celle qui peut s’exprimer convenablement par écrit. Julia Cagé, professeure d’économie à Sciences Po, explique cette responsabilité des élites dans “La responsabilité de l’entre-soi médiatique est immense dans l’avènement du populisme”. Mais l’entre-soi a toujours existé, que ce soit au sein des élites et au-delà. Ce sont des affirmations de ce genre qui alimentent le populisme. Surtout quand il est écrit que “Les médias nous donnent à lire chaque jour la vision du monde qui est la leur“. Mais quel média peut se revendiquer de présenter la réalité sans subjectivité ? Qui donne l’exemple ? Le quotidien “L’Humanité” ? C’est encore plus agaçant de lire ceci : “Les journalistes voient le monde de là où ils se trouvent, c’est-à-dire beaucoup plus haut socialement et économiquement que l’électeur américain blanc médian qui a voté pour Trump”. Faut-il donc allouer un quota d’illettrés ou d’ignares dans la presse américaine ? Et d’enchainer avec une vision marxisante : “Il est loin le temps – les années 1960 aux Etats-Unis – où les journalistes ne décrivaient pas la vie des « vraies gens » mais la vivaient ; où ils se considéraient partie prenante de la classe ouvrière. Où ils ne se seraient jamais félicités en France qu’un Emmanuel Macron aille à la rencontre du « peuple » pour comprendre la réalité… “. L’auteur oublie les difficultés économiques des grands médias qui n’ont plus les mêmes moyens d’investigation que pendant les années 1960 du fait de leur appauvrissement continu depuis 20 ans au profit des GAFA. Et parle-t-on des journalistes américains ou français ? Comme si les journalistes s’exprimaient tous dans le même sens aux USA. Il n’y a rien à voir entre un Bill Oreilly sur Fox News et un Bill Maher sur HBO, même si ce sont en fait des éditorialistes plus que des journalistes.
On a aussi ce genre d’affirmations à l’emporte pièce : “Le séisme Trump est le dernier avatar d’un monde qui s’effondre, le monde des alternances tranquilles sur lesquelles étaient basées nos sociétés, le monde des partis de gouvernement, droite et gauche mêlées.“, toujours dans Le Monde. C’est surtout un monde où le rationnel et la raison ne fonctionnent plus du tout, ou le mensonge devient vérité et où l’émotion et la colère priment sur tout.
Alors, oui, il faut que les médias s’intéressent plus aux difficultés des classes sociales défavorisées sans pour donner dans le misérabilisme. Il faut aussi qu’ils apprennent à mieux vulgariser l’économie et les affaires du monde pour faire comprendre le délicat équilibre entre le rôle des entreprises et celui des salariés. En tout cas, les politiques sont tellement déconsidérés que les électeurs sont prêts à choisir quelqu’un de pire qu’un politique traditionnel !
En tout cas, aucune solution sérieuse n’a été mise en avant sur la question du traitement du mensonge en politique, notamment dans le cas de Trump, ni de véritable recette contre le populisme 2.0. Pour combattre un candidat de type Trump, il faut à la fois être irréprochable, ce qu’Hillary Clinton n’était pas, canaliser la colère, être fort et raisonnable, et mobiliser ses électeurs traditionnels. C’est un début de cahier des charges pour le candidat démocrate de 2020.
Au passage, je constate qu’aux USA comme ailleurs, les startups et leur écosystème pourraient être les prochains sur la liste des élites mises au pilori. Pour l’instant, elles font rêver les jeunes, très bien. Mais n’oublions pas la dure réalité économique des startups : elles sont conçues structurellement pour créer des oligopoles dominants dans leurs marchés, les économies d’échelle des plateformes les transforment en régulateurs privés de nos vies, et le taux d’échec est très élevé. Ce n’est pas la panacée ! Et pourtant, l’innovation dans son ensemble est nécessaire. Notamment dans sa dimension scientifique, ne serait-ce que dans les domaines critiques de la santé et de l’environnement. L’entrepreneuriat va peut-être devoir se réorienter vers des sujets plus utiles et moins futiles.
Attention, en tout cas : quand on agglomère les élites dans un même sac, sans discernement ni discrimination, on fait le jeu du populisme et de l’obscurantisme. Alors qu’il faut, plus simplement, s’assurer que les politiques soient respectables et ne trimbalent pas une collection de casseroles comme Hillary Clinton.
8) La dimension numérique de la présidentielle aura un effet retard
Cette élection a été marquée beaucoup plus que les précédentes par l’irruption d’Internet dans l’actualité :
- L’usage immodéré de Twitter par Donald J. Trump, à tel point que son équipe lui a coupé l’accès à son compte quelques jours avant l’élection, et aussi juste après un reportage parodique d’un community manager de Trump diffusée dans The Daily Show. De faux tweets ont aussi influencé l’élection. Le populisme a été le plus efficace dans son utilisation des outils d’Internet, comme le dénonçait avec force Dave McLuredans son intervention mouvementée au Web Summit de Lisbonne.
- La vulnérabilité numérique du camp Clinton avec la première élection perdue à cause des failles de sécurité d’Internet, révélée dans l’affaire des emails piratés par des russes et transmis à Wikileaks. Et, tandis que les Clintons publiaient leurs déclarations de revenus, Donald Trump ne l’a toujours pas fait, prétextant un audit en cours qui va durer encore au moins quatre ans. Et rien n’a fuité ! La publication de ses déclarations pourrait être l’affaire du siècle des médias dans les mois qui viennent ! Un Graal politique symbolique !
- Les affirmations de Donald J. Trump selon lesquelles on trouvait des informations plus fiables sur Internet tandis que les grands médias mentaient. Il faisait allusion non pas aux versions en ligne des médias traditionnels mais aux sites conspirationnistes dans lesquels il puisait de nombreuses informations. Le travail de fact-checking a été très difficile car la campagne donnait lieu à la diffusion d’une grande quantité de désinformation de la part des deux camps. Le fact-checking était plus facile à réaliser sur les affirmations politiques et économiques des candidats mais difficile à vulgariser. Il était complexe dans les “affaires” concernant les deux candidats. Livres et contre-livres, propagande de l’ultra-droite républicaine (Breitbart, …) contre fact-checking démocrate, absence de transparence de Donald Trump sur ses impôts, nombreux différents avec ses clients et fournisseurs sur plusieurs décennies et nombreuses accusations d’abus sexuels de la part de femmes.
- L’intervention de Mélania Trump juste avant l’élection, qui affirmait que l’Internet nous rendait méchants, ce qui n’est pas entièrement faux.
- L’opposition presque unanime de la Silicon Valley à Donald Trump, à l’exception de Peter Thiel, qui vient d’intégrer l’équipe de transition de Trump et de Palmer Luckey, le co-fondateur d’Oculus Rift.
- L’échec du big data et des sondages pour prédire ou influencer le résultat de l’élection. Les méthodes de l’équipe Trump étaient très empiriques de ce point de vue-là.
- Les algorithmes des médias sociaux et notamment de Facebook qui nous enferment dans le vase clos de nos propres convictions, en nous alimentant avec des contenus qui vont dans le sens de nos opinions et de celles de notre entourage, y compris en relayant des hoaxes. Pour changer cela, il faudrait revoir les algorithmes et favoriser une plus grande diversité de sources d’informations [voir l’analyse plus détaillée de Jean-Baptiste Souffron sur cette question ainsi que How social media creates angry, poorly informed partisans publiée sur Vox avant l’élection].
La Présidence Trump sera probablement bien plus lourde de conséquences sur le numérique que ces péripéties de la campagne. Voici quelques scénarios qui se dessinent.
Maintenant qu’Hillary Clinton est écartée du jeu, les vulnérabilités numériques vont se tourner du côté de Trump. Il va être épié. Des documents fuiteront. Comme Trump est un menteur invétéré, il va probablement continuer à mentir et cela va se savoir. Il va utiliser l’appareil sécuritaire pour se protéger, notamment contre les médias trop curieux. Les conflits d’intérêt avec son entreprise qui sera gérée par ses enfants seront difficiles à éviter, surtout dans la mesure où il a des intérêts à l’étranger et notamment en Russie. Donald Trump vient d’ailleurs de nommer ses trois enfants dans son équipe de transition, du jamais vu.
Cela pourrait être le déclencheur du premier Watergate numérique ! Des Wikileaks ou équivalents se retourneront contre lui. Il mentira. Il espionnera de manière illégale les médias. Il y aura parjure. Les enquêtes sur ses activités d’entrepreneur vont continuer, notamment autour de la Trump University. Et il pourra passer par une procédure d’impeachment ou bien ne pas être réélu en 2020. Le pattern historique est lié au fait que Nixon et Trump partagent le fait d’avoir été les candidats les plus enclins aux mensonges de tous les présidents américains des 100 dernières années. Reagan et Bush 43 n’en étaient pas exempts, l’un pour l’affaire des Iran-Contras-armes contre otages et l’autre dans le déclenchement de la guerre en Irak en 2003. A ceci près que dans le cas de Trump, le mensonge est une arme plus systématiquement utilisée.
Ou alors, il y aura une alternance classique en 2024. A contrario, dans le pire des scénarios, il musèlera les médias et s’en sortira, plongeant les USA dans une démocrature. Les médias américains ne sont pas encore préparés à s’adapter à l’ère Trump, à développer leurs capacités d’investigation et à se protéger des dérives sécuritaires de la présidence Trump. Ce, d’autant plus, que les grands médias subissent une crise économique majeure, elle-même déclenchée par la migration en ligne du lectorat.
L’impact de l’élection sur les industries numériques sera à terme très délétère. Il l’était déjà pendant la campagne dans la mesure où Trump n’a jamais fait appel aux progrès technologiques dans ses discours. Plutôt que de moderniser par les nouvelles technologies les fameux territoires abandonnés de la rust belt, il promettait de faire revenir des emplois disparus, dont ceux liés aux déclinantes industries du charbon. Cf à ce sujet une bonne analyse dans How Trump won an election helped by America’s anti-tech luddites qui fait aussi un lien avec l’équipement très haut débit des territoires.
Tout d’abord, sa présidence pourrait restreindre la capacité d’attirer des talents de l’étranger en limitant le nombre de visas de travail (H1B1). La conséquence pourrait-être une accélération de la délocalisation de métiers qualifiés du numérique, déjà bien entamée par les GAFAM. Donc, une mesure qui va aller à l’encontre de son objectif.
Trump a aussi trompé son monde et ses électeurs en leur affirmant que la désindustrialisation venait surtout des délocalisations et des accords de libre échange. Dont il profitait d’ailleurs lui-même. Mais c’est un trompe-l’œil, une bonne part de la perte d’emploi provenant de l’automatisation. La vague de robotisation et celle de l’intelligence artificielle qui s’amplifie va probablement accentuer ce mouvement. Si Trump échoue dans sa politique économique, ce qui se verra au bout de quelques années, il se retournera contre les industries numériques et la Silicon Valley. Les discussions vont continuer d’aller bon train sur l’évolution du travail et sur le revenu de base qui n’est pas porté par Trump mais pourrait le devenir chez les démocrates. Le sujet de l’automatisation de nombreux métiers va rentrer progressivement dans les débats politiques. C’était aussi l’un des sujets abordés au Web Summit, une étude venant d’être publiée indiquant que 93% des investisseurs sur place considéraient que les gouvernements n’étaient pas préparés à la destruction des emplois par l’IA… qu’ils financent eux-mêmes !
Un entrepreneur de la Silicon Valley cofondateur d’Hyperloop, Shervin Pishevar, veut même déclencher une sécession de la Californie des USA ! Ce n’est évidemment pas très sérieux mais traduit ce décalage entre la Silicon Valley et le reste du pays. Pas très sérieux car contrairement au Brexit ou à l’élection de Trump, ce mouvement n’est pas alimenté par le populisme rampant, mais par des élites.
Enfin, le camp de Trump se prépare à céder aux sirènes des grands opérateurs télécoms et du câble US pour remettre en question la neutralité des réseaux. Le lobbying a déjà commencé pendant l’élection. C’est très lourd de conséquences, notamment pour les GAFA tout comme pour les startups.
9) Best and worst case scenarios
Au vu de son programme et des déclarations de sa campagne, les dangers générés par l’élection de Trump sont immenses. L’élection d’Hillary Clinton n’en était pas exempte, mais dans une moindre mesure. A contrario, l’histoire a monté que Trump pouvait jouer le rôle de la girouette et changer d’avis selon les circonstances. C’est un tacticien. Voici quelques scénarios pas forcément tirés par les cheveux.
ISIS sera peut-être territorialement défait par l’actuelle coalition intégrant l’intervention russe avant que Trump n’arrive à la Maison Blanche. Son siège se déplacera de sa zone en Iraq et en Syrie vers la Libye ou ailleurs en Afrique. La conséquence sera que les dirigeants d’ISIS redoubleront d’efforts pour planifier des attentats en Europe et aux USA. Comme Ben Laden, ils réussiront peut-être un gros attentat aux USA, histoire de générer une sur-réaction de Trump. Cela peut-être Bush-Irak le retour, et en pire (PS: c’est l’avis de Henri Kissinger).
Dans une note plus positive, Trump pacifiera les relations avec la Russie de Poutine. Cela permettra une collaboration pour sortir la Syrie de son bourbier et de remplacer Assad par un dirigeant compatible avec les deux pays et une fin du conflit dans la région. On peut toujours rêver !
Economiquement parlant, Donald Trump n’a pas une vision très win win de l’économie comme on l’a vu lorsqu’il évoquait les traités de libre échange. Son objectif est de gagner ! Supposons qu’il gagne et qu’il arrive à pénaliser la Chine, le Mexique et d’autres pays liés économiquement aux USA. Cela aura pour conséquence de les déstabiliser avec un effet boomerang. Exemple simple : une forte récession en Chine déclenche une baisse de consommation des matières premières qui réduit les exportations d’Amérique du Sud et d’investissements en Afrique, conduisant à une instabilité politique sur ces deux continents. Et une instabilité en Amérique du Sud aurait des conséquences sur l’économie américaine. Qui plus est, ce foutu mur que Trump veut construire entre les USA et le Mexique n’empêchera pas l’immigration illégale de passer par le Canada. Voudra-t-il aussi construire un mur dans la frontière Nord ? Sinon, Trump ne fera probablement pas grand chose pour réguler la grande finance et nous ne sommes donc pas à l’abri d’une nouvelle méga-crise financière. Il prépare notamment l’abrogation de la loi Dodd-Frank qui régulait la finance depuis la crise de 2008.
Trump va aussi faire comme Bush 43, réduire les impôts des plus riches, ce qui sera bien loin d’améliorer la vie des classes moyennes. Il réduira certaines dépenses fédérales les concernant ou augmentera la dette. Dette détenue notamment par la Chine. Cela va générer d’autres déçus. Heureusement, il n’y a pas plus à droite aux USA. Il prétendait aussi faire le ménage à Washington et son équipe de transition est déjà remplie de représentants de cette élite de Washington. Le seul changement est qu’ils sont républicains au lieu d’être démocrates. Et cette déception ne fera, si la démocratie n’a pas été détruite entre temps, que générer une nouvelle alternance politique favorable aux démocrates. Alors qu’en France, les échecs de la droite et de la gauche de gouvernement créent un boulevard pour l’option du Front National.
D’un point de vue sociétal, la place des femmes pourrait en pâtir. A la fois du fait de l’attitude connue de Trump à leur égard et aussi du fait qu’il va faire basculer durablement la Cour Suprême du côté ultra-conservateur. Les droits des femmes sont menacés, à commencer par celui de l’avortement. Le fait qu’un candidat aussi misogyne gagne envoie un très mauvais signal aux hommes. De manière générale, Trump a fait changer la peur de camp. Elle est maintenant chez les LGBT, les musulmans, les immigrés, et toutes les minorités qui vont certainement faire les frais de l’arrivée de Trump et d’une équipe très réactionnaire à la Maison Blanche. Les médias commencent même à avoir peur et à se demander comment se protéger.
Et puis, un léger détail. Trump risque bien de nommer un négationniste du réchauffement climatique à la direction de l’EPA, l’agence de protection de l’environnement. C’est comme si le patron de la mafia de Chicago devenait patron du FBI ! L’impact sur le réchauffement climatique de la politique de Trump sera peut-être son pire legacy. Il veut alléger les règlementations environnementales, relancer la production et la consommation de charbon et annuler la ratification US des accords de Paris de la COP21. Cette politique désastreuse n’affectera pas que les américains mais la terre entière ! Tout cela par un basculement de l’élection causé par moins de 200 000 électeurs dans un système antique d’élections via de grands électeurs. 200 000 ou 60 millions d’électeurs selon que l’on mesure l’ensemble des votants pour Trump ou la différence avec Clinton, ont donc décidé du sort de 7 milliards d’habitants sur les siècles à venir. Ce seront 4 ou 8 ans de perdus sur ce sujet et peut-être la pire des conséquences de cette élection.
A contrario, on peut imaginer un Trump à qui les spécialistes expliquent que ce qu’ils voulaient faire n’est pas possible en l’état. Cela aboutira à des demi-mesures d’impact modéré. On en a l’exemple avec la suppression d’Obamacare. Trump aurait indiqué qu’il n’allait finalement pas le supprimer mais plutôt l’aménager. Mais ce qui s’annonce n’est pour l’instant pas du tout rassurant.
Pour ce qui est du camp démocrate, il va panser ses plaies et se reconstruire. De nombreux noms circulent, tels que celui d’Elisabeth Warren, de Michelle Obama ou de Gavin Newsom (46 ans, Maire de San Francisco). Il serait bon que le renouveau vienne de dirigeants jeunes, comme ce dernier, quadras ou quinquas, plutôt qu’âgés comme Bernie Sanders ou Elisabeth Warren. Je ne serais pas étonné que Barack Obama joue aussi un rôle très actif une fois qu’il aura quitté la présidence. C’était un bon candidat en 2008. Il sera probablement un opposant féroce à la politique de Trump.
Sinon, d’un point de vue psychologique, il est difficile d’anticiper le personnage Trump. La présidentielle était son dernier prix à obtenir dans sa longue carrière. Quand on arrive à un tel sommet, que peut-on chercher ? Normalement, à laisser une trace positive et marquante dans l’histoire. Certains comme Blake Fleetwood espèrent qu’il va se bonifier avec le temps.
Les gens qui l’ont approché ont décrit un personnage narcissique qui n’est pas doté d’une grande capacité de concentration. C’est notamment le cas du véritable auteur du livre “The Art of the Deal” publié dans les années 1980 tout comme Michael D’Antonio dans son étude psychologique de Trump “The Truth About Trump” parue en mai 2016 et décrite dans l’excellent “The mind of Donald Trump” publié par The Atlantic ! Bref, on est dans l’inconnue la plus totale.
10) Quelques leçons pour la France
Le premier parti politique à se féliciter de l’élection de Donald Trump en France était évidemment le Front National et Marine Le Pen. Ce n’est pas une grande surprise. Le Brexit, Trump et, ensuite, le Franxit ? C’est le scénario rêvé des extrêmes.
Quelles sont les recettes pour se battre contre le populisme 2.0 ? Faut-il lutter avec les armes du populisme : les émotions et l’exagération ? Comment canaliser la peur ?
A court terme, on a besoin d’exemplarité des politiques. Il faut qu’ils comprennent qu’il faut qu’ils changent eux-mêmes les règles du jeu pour les rendre plus légitimes. Si François Hollande voulait terminer convenablement son mandat, il ferait voter par sa majorité des lois d’assainissement comme la fin du cumul des mandats, l’interdiction de se présenter à des élections après avoir été condamné dans le cadre de ses fonctions, limiter le nombre de mandats électifs à un ou deux consécutifs pour tous les élus, etc. Cela relève bien évidemment du fantasme mais, pourtant, il faudrait le faire.
L’exemplarité devrait éviter d’enfermer les électeurs dans des choix impossibles comme pour Trump vs Clinton. L’équivalent en France serait d’avoir Nicolas Sarkozy en face de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Cela explique peut-être la remontée récente de François Fillon dans les sondages de la primaire de droite. C’est un candidat qui ne traîne pas de casseroles contrairement à Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé.
Est-ce que la démocratie participative se développera pour changer la donne ? Comme je l’indiquais dans ma précédente série d’articles sur la démocratie et le numérique, je n’y crois pas trop. Ce, d’autant plus qu’elle a tendance à reproduire naturellement des mécanismes de sélection et de création de nouvelles élites et hiérarchies. Ou alors, elle n’est pas assez clivante comme le mouvement En Marche ! d’Emmanuel Macron. Celui-ci est d’ailleurs en train de reproduire les travers des mouvements politiques habituels, allant bien trop directement d’une évaluation des problèmes à des solutions, sans passer par un diagnostic sérieux.
Les USA ont élu un président qui ne lit jamais de livre ni n’a écrit ceux qui portent son nom sur la couverture. On peut dire ce que l’on veut des nôtres, mais ils lisent et écrivent ! C’est déjà ça de gagné ! Sur le long terme, le populisme 2.0 rappelle aussi à quel point l’éducation est un impératif à plusieurs titres, dont celui de préparer des citoyens à jouer leur rôle et à s’adapter à un monde d’automatisation croissante de nombreux métiers. Le niveau d’éducation baisse en occident. Les usages dominants des outils numériques y contribuent malheureusement. Ils relèvent plus des selfies et de tweets que d’écriture, de lecture, de réflexion et de prise de recul. Toute démocratie fonctionne avec un assemblage d’institutions solides conjugué à un effort continu dans l’éducation des citoyens.
Pour paraphraser Barack Obama dans son dernier discours à Miami avant l’élection : “don’t boo, vote!”. Et j’ajouterai entre les deux “learn and do something”. Stay tuned, l’histoire va continuer d’être rock-n-roll !
Lire aussi: L’algorithme a parlé, Trump a gagné!
Trump Président: un vent libéral peut souffler dans la Silicon Valley
Olivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023
– » C’est parti pour un cauchemar pour les USA et le monde pendant 1399 jours … »
Lu dans une boule de cristal ou élucubrations de prophète de malheur ? Ce top dans l’absence de crédibilité !
Par conséquent, ce qui s’ensuit dans l’article ne peut relever que de techniques de manipulation et ne mérite pas même d’être lu. La caution analytique y relève alors d’une fumisterie. Ceci est une réponse forte à ces outrances partisanes.
méfions nous des prétendus zexperts
« et des fuites organisées par les services de renseignement russes, »
Assertions maintes fois déclamées par les démocrates sans l’ombre d’un preuve.
Ravi de voir que la propagande US se répand y compris chez nos tetes plates.
Etonnant pour un ingénieur de répandre des rumeurs sans preuve.
Pour le reste, l’auteur omet le role des merdias, qui se sont vautrés magnifiquement.
Comme pour le Brexit et la primaire de droite (mon dieu, que cela va t il donner pour la présidentielle de 2017?).
Il y a du grain à moudre et visiblement quelque chose que l’auteur ne veut ou ne peut pas aborder avec sa grille de lecture si stéréotypée.
‘Toute démocratie fonctionne avec un assemblage d’institutions solides
conjugué à un effort continu dans l’éducation des citoyens.’
Si l’effort continu des citoyens s’entend comme étant l’effort individuel de chacun de s’améliorer, j’adhère.
Hélas l’auteur doit pense que seul ceux de sa caste d’élu peuvent propager la divine parole de la connaissance vraie au troupeau d’abrutis que nous sommes.
Dommage de voir tant d’intelligence se commettre dans un genre qu’elle ne maitrise pas.