[Made in Switzerland] Qui sont les opérateurs-fund managers, ce nouveau genre d’investisseur?
Par Raphaël Grieco, correspondant FrenchWeb
D’un point de vue financement, la maturité d’un écosystème Tech ne se mesure pas seulement à la profondeur de ses solutions d’investissement -en nombre et en capacité à suivre sur des tours importants- mais aussi dans le fait qu’une première génération d’entrepreneurs redéploie en tant que Business Angel une partie de son capital issu d’exits ou réussissant à fédérer dans des véhicules d’investissements plus stratégiques des LPs sur une thèse d’investissement souvent bâtie sur un modèle d’opérateurs-investisseurs.
Quelles sont les particularités de ce modèle? Existe-t-il en Suisse?
Aux États-Unis, la première vague de ce phénomène d’opérateurs-investisseurs, s’est manifestée par des fonds dorénavant établis comme a16z, Greylock et Sequoia qui ont recruté des anciens opérateurs spécifiques à une verticale, apportant track record entrepreneuriaux, relations dans le secteur et expérience dans les défis auxquels les fondateurs sont confrontés.
La deuxième et plus récente vague est celle des opérateurs-angels, réseaux apparaissant dans chaque sous-catégorie et région, permettant aux opérateurs de startups toujours en poste d’aider à modeler les tables de capitalisation en amorçage en apportant du «smart money». La montée en puissance d’AngelList ou d’On Deck’s Angel Fellowship a en outre permis aux entrepreneur.e.s de jouer un rôle plus actif dans l’écosystème des startups, alors même qu’ils ou elles développent encore leurs propres startups.
C’est aujourd’hui une troisième vague, celle des « (ex-)opérateurs-fund managers » qui vient bouleverser le paysage, apportant empathie dans la cap-table. Les investisseurs qui ont fondé des startups et levé des fonds apporteraient une empathie qu’un investisseur issu du consulting ne pourrait tout simplement pas. Les fondateurs sont de plus en plus conscients de l’importance stratégique de l’equity story dès le early stage et attentifs aux profils des tout premiers investisseurs auprès desquels ils lèvent des fonds.
Ce lien plus étroit entre entrepreneur.e.s early stage et opérateurs-fund managers s’illustre également dans le fait que ces derniers verraient des deals selon Pathway Ventures plus de 9 mois avant les investisseurs plus traditionnels. Lorsqu’un fondateur élabore son MVP, recherche des segments de marché et se prépare au lancement, il ne prendrait pas contact avec les VC pour obtenir des conseils mais plutôt avec des opérateurs qui ont vécu des expériences similaires.
En Suisse, le financement en seed et early stage est pleine en croissance, représentant en 2020 près du tiers du financement en startup helvète, selon Startupticker. Par ailleurs selon ce- dit rapport de Startupticker, en 2020 et pour la deuxième année consécutive, plus de 2 milliards de francs suisses -1,8 milliard d’euro- ont été levés par des startups du pays. Plus de 44 fonds de venture ont d’ailleurs l’intention de lever des fonds prochainement dont 20 ayant déclaré débuter l’exercice en 2021.
Révélant l’activité entrepreneuriale en pleine accélération et changeant de braquet dans le pays, Swisspreneur a en outre identifié 6 Swiss startup mafias dont la plus importante étant celle issue de DeinDeal.ch, dont les fondateurs de Wefox et Numbrs sont issus – scaleups ayant respectivement levé plus de 260 millions de dollars et plus de 100 millions de dollars selon Crunchbase.
Mais qu’en est-il du modèle opérateurs-fund managers en Suisse que nous évoquions précédemment?
Wingman Ventures fait figure de pionnier dans cette compréhension de l’importance stratégique que revêt le fait que des (ex-)operators-investors en levant un fonds peuvent apporter bien plus que du capital d’amorçage: leur expérience pour franchir les premières étapes. Co-fondé en 2018 par Pascal Mathis (co-fondateur de GetYourGuide, plus de 880 millions de dollars levés selon Crunchbase), Lukas Weder (co-fondateur de Eat.ch, vendu en 2015 à Just Eat) et Alex Stöckl (ex-COO de Gartnerei passé depuis chez Creathor Ventures),
Wingman a levé en 2020 le fonds de pre-seed et seed le plus important d’Europe pour un maiden fund (premier fonds d’une équipe) avec plus de 78.5 millions de francs suisses -70,83 millions d’euro. Wingman ayant pour ambition de financer dès leurs premiers uniquement des entrepreneur.e.s suisses avec des ambitions internationales, nous avons voulu en savoir davantage sur la thèse d’investissement de l’équipe, sur ses valeurs et sur sa compréhension de la dynamique entrepreneuriale entre entre la Suisse Romande francophone et la Suisse Alémanique germanophone.
Wingman Ventures se distingue également par sa compréhension de la nécessité de faire émerger le plus tôt possible les compétences d’investissement en venture capital avec le lancement jeudi 18 mars de Wingman Campus Fund, le tout premier fonds de VC gérés par des étudiants sur les campus de l’EPFL, l’ETHZ et HSG.
Voici un bref extrait traduit en français du podcast de La French Tech Suisse Romande que nous avons enregistré en anglais avec Alex Stöckl, Founding Partner de Wingman et Edouard Treccani, Head of Partnership.
Interview
Raphael Grieco: Pouvez-vous nous expliquer votre thèse chez Wingman, qui est d’être le premier investisseur dans des startups suisses aux ambitions internationales?
Alex Stöckl: Nous faisons le pari de l’écosystème suisse. Nous croyons dans les fondateurs suisses, dans les universités suisses et dans la motivation et l’élan entrepreneuriaux qui n’ont pas selon nous reçu les investissements suffisants. C’est pourquoi nous nous sommes associés avec Pascal et Matthis qui ont fondé deux scaleups qui ont rencontré le succès, pour aider les entrepreneurs suisses à avoir leurs tout premiers sparring partners.
RG: Quelle étape fondamentale est la plus critique pour bâtir une entreprise durable?
Edouard Treccani: Les intangibles sont super importants. Je viens de l’école de pensée où je crois que les fondateurs les ont ou ne les ont pas. Les fondateurs ont un certain potentiel ou un certain plafond et vous pouvez en tant que VC ou en tant que mentor les aider à atteindre ce plafond, mais certains fondateurs n’ont tout simplement pas ces intangibles. Nous pouvons débattre de ce que sont ces actifs incorporels, ces intangibles, du moins pour moi, il est difficile d’exprimer exactement ce que c’est, mais c’est quelque chose que vous pouvez ressentir dans les 5 minutes suivant un premier appel. L’école de pensée dont je viens est très cynique: de nombreux fondateurs n’y arriveront pas parce qu’ils n’ont pas ces intangibles, alors que d’autres fondateurs les ont, et nous, en tant que VC ou en tant que mentors, pouvons essayer de les aider à y arriver plus rapidement et à grandir avec eux avec le cycle de l’entreprise. Un sens d’intelligence, d’exécution et probablement une corrélation avec cela serait une passion pour le point douloureux qu’ils veulent résoudre.
AS: Il est essentiel que les fondateurs le fassent pour la bonne raison avec la conviction que ce qu’ils font est pertinent, nécessaire et que cela a un droit d’exister, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour bâtir une entreprise qui réussit durablement, vous avez besoin de cette volonté de travailler dur, d’exécuter et de prendre quelques coups, de se relever, et je pense que ce sont les éléments clés. Mais aussi que vous ne vous perdiez pas dans certaines des incitations étranges de l’industrie du venture, telles que le montant du financement reçu ou le nombre de personnes travaillant dans l’entreprise, qui pourraient être des signes d’inefficacité. Nous voulons changer l’attitude des fondateurs suisses, nous voulons les aider à croire qu’il est possible de créer des entreprises internationales de premier plan à partir d’ici, et nous pensons que le KPI numéro un est le nombre de clients.
RG: Edouard, tu couvres en particulier la Suisse Romande francophone. Qu’observes-tu et comment vois-tu dans les 5 à 10 prochaines années les expertises sectorielles se développer?
ET: Au stade actuel de développement de l’écosystème tech en Suisse Romande, il m’est difficile d’affirmer que tel ou tel cluster sera le plus important dans les prochaines années. En revanche, en observant la scène tech suisse dans son ensemble, j’observe de plus en plus d’employés-clés quittant des startups suisses établies (de 50 à 200 employés) et fondant à leur tour leur startup. C’est selon moi un phénomène qui n’existe que lorsqu’on atteint une masse critique de scaleups. Cette tendance toutefois ne prend de l’ampleur pour l’instant qu’en Suisse germanophone bien qu’il y ait dans la Suisse francophone des scaleups comme Nexthink (plus de 500 employés). D’autre part, j’observe une qualité des startups deep tech et hard tech issues des laboratoires d’universités comme l’EPFL à Lausanne ou l’ETHZ à Zurich qui développent des techno vraiment innovantes qui ne sont pas le SaaS / Enterprise SaaS typique.
Ecoutez l’ensemble de l’échange dans le podcast de La French Tech Suisse Romande.
Le correspondant
Raphaël Grieco a commencé en conseiller en investissement en Suisse. Installé à Genève depuis plus de 10 ans, il est aussi le fondateur de l’évènement UPComingVC, un «Venture Capital Investment Challenge» dédié aux VC, start-up et à des challengers souhaitant devenir VC.
Il organise également de nombreux meet-up à Genève, notamment ceux de Product Hunt et contribue à différents projets liés à l’innovation digitale (labélisation de la French Tech Suisse, création d’un fonds de venture capital). Raphaël est diplômé de SKEMA Business School.