Mais qu’est-ce qui fait courir Alexandre Malsch?
A trente ans, le fondateur de Melty, le média des jeunes qu’il avait créé dans sa chambre à l’âge de 15 ans, a décidé de quitter la présidence du groupe pour vivre de nouvelles aventures. Retour sur les moteurs et les secrets de l’une des épopées média les plus inspirantes de ces dernières années.
La première fois que j’ai rencontré Alexandre, c’était en octobre 2011. Il avait 25 ans. Je crois que c’était dans un restaurant à sushis bon marché. Il était venu me parler du média qu’il avait monté. Et je me suis pris une grosse claque dans la figure.
Melty faisait partie des premiers médias pensés par cette génération née avec Internet. Moi j’avais débarqué sur le Web comme un pionnier envoyé par Elon Musk pour coloniser Mars. Pour m’adapter à ce nouvel environnement à la fois sauvage et magique, il me fallait tout le temps me réinventer et prendre des risques. Alexandre, lui, était né sur Mars. Sa posture n’était pas celle d’un visionnaire, mais celle d’un autochtone. Il n’avait pas besoin de penser Internet, il le vivait depuis qu’il était gamin.
Le site qu’il avait créé à l’âge de 15 ans dans sa chambre d’ado, était un média pensé par un développeur. Son site ne ressemblait à rien d’autre de ce que j’avais vu. Alexandre avait conçu Melty comme un logiciel.
J’avais écrit ça à l’époque: Melty, le média dont le rédacteur en chef est un robot. Le choix des sujets, des mots utilisés, ainsi que l’heure de publication, étaient déterminés par un algorithme mis au point par Alexandre et sa petite équipe sortie de l’école Epitech: Jeremy Nicolas, Julien Palard, Bruno Maugery et Jonathan Surpin.
En un an, Melty avait augmenté son audience de 114% et affichait 4,7 millions de visiteurs uniques. Aujourd’hui, c’est 27 millions.
Ce jour d’octobre 2011, tandis que j’observais Alexandre manger tranquillement ses sushis en me décrivant ce qu’il avait développé depuis dix ans, j’étais en train de réaliser que le monde des médias, encore très rigide à l’époque, allait être détrôné à une vitesse vertigineuse par cette nouvelle génération de médias «barbares» qui allait casser tous les codes.
A l’époque, Melty comprenait presqu’autant de développeurs que de journalistes. L’entreprise était rentable. Presque une anomalie. Tandis que les médias traditionnels passaient encore leurs fins d’années à pleurer leurs paradis perdus en se demandant, comme si ça avait vraiment de l’importance, «est-ce que je mets le papier sur le Web ou pas?».
Aujourd’hui, après deux levées de fonds, Alexandre fait partie de ces entrepreneurs iconiques que l’on cite désormais systématiquement quand on parle d’innovation dans les médias. Entre le petit site perso créé en 2001 chez iFrance (le portail de Marc Simoncini) qui ambitionnait d’être le «nouveau NRJ», et Melty Group, première marque média chez les jeunes, il y a une épopée.
Faite d’audaces, de bonnes intuitions, mais aussi de faux pas et de remises en question permanentes.
Il y a quelque chose à apprendre du parcours d’Alexandre. Mais pas forcément ce que l’on croit.
On aurait tort de résumer le succès d’Alexandre à sa seule qualité de «jeune». Un jeune dans un monde de vieux dépassés par la bourrasque Internet. Alexandre n’a pas réussi parce qu’il était jeune. Il n’a pas non plus réussi parce qu’il était développeur. Il n’a pas seulement réussi parce qu’il rassemblait toutes les clichés qui semblent définir les nouveaux maîtres du monde. Il a réussi parce qu’il était Alexandre. Comme d’autres ont réussi avant lui. Parce qu’ils avaient un univers intérieur. Et la force nécessaire pour le faire exister.
On a souvent dit d’Alexandre Malsch qu’il était le «Mark Zuckerberg» des médias. On l’a dit par ignorance et par fascination. Presque par dépit. Parce qu’il maitrisait ce mystérieux alphabet des temps modernes qu’on appelle le «code». Parce que, lui aussi, avait monté son projet dans sa chambre d’adolescent. Et parce qu’il avait un sweat à capuche.
Il devait forcément comprendre des trucs qu’on ne comprenait pas. C’était normal. C’était un «digital native». Et tous les experts de l’innovation nous disaient que le nouveau monde allait tellement vite qu’il fallait virer tous nos vieux pour les remplacer par des «digital natives» qui avaient pris javascript en deuxième langue plutôt qu’espagnol.
L’histoire de Melty, c’est d’abord celle de tous les grands entrepreneurs. Un introverti, mais qui aurait rapidement compris qu’il devait s’entourer de personnalités plus expérimentées pour construire son rêve.
L’histoire de Melty, c’est celle d’Alexandre qui rencontre Manuel Diaz, le fondateur d’eMakina, le premier à lui faire confiance et à lui ouvrir son réseau en 2007.
C’est celle d’Alexandre qui rencontre Martin Bouygues, qui lui donne son premier «coup de pied au cul» («parce que j’étais jeune et que j’avais tendance à papillonner») et un peu de financement.
C’est celle d’Alexandre qui rencontre Pierre Chappaz, qui lui donne ses premières armes d’entrepreneur. Qui l’incite à «pivoter» pour ne pas s’engouffrer dans le modèle, voué à l’échec, du média à clics.
C’est celle d’Alexandre qui rencontre Rodolphe Pelosse, ex TF1 et Lagardère, qui lui transmettra sa vision business. Et Anthony Lamond, avec qui il développera les Melty Entertainment, véritable boîte de production nouvelle génération.
C’est celle d’Alexandre qui rencontre Roxane Plannas et Sylvie Ruggieri d’Image 7, qui l’aideront à structurer son image et son discours pour installer la marque Melty. Il se glissera dans le rôle avec une aisance déconcertante. «Je fais partie d’une génération qui a toujours eu une capacité naturelle à se raconter». Alexandre sort même une biographie, écrite par le blogueur-écrivain William Réjault, alors qu’il n’a pas encore réussi son pari. «Tout pouvait s’arrêter ou exploser à ce moment.» Mais il voulait raconter l’histoire au milieu du guet. Une vie en work-in-progress. Un livre, comme un post de blog.
L’épopée magique d’Alexandre et de Melty, c’est l’histoire d’un jeune qui a compris que pour réussir dans ce monde en perpétuelle mutation, il ne fallait pas opposer les générations, mais les hybrider.
«Mon parcours a été marqué par des rencontres avec des gens plus expérimentés, mais aujourd’hui de plus en plus par des plus jeunes que moi.» Comme Lancelot et Alex, dont il n’est pas sûr de l’âge «mais qui ont plus de 18 ans, ça j’en suis sûr», et à qui il a donné carte blanche pour créer le pilier social média de Melty, qui a sauvé le média du piège du tout référencement dans lequel il risquait de s’enliser.
Enfin, ultime rencontre qui sera décisive. Jérémie Clévy, un ancien de Lycos passé par Lagardère et Mondadori. Qui a structuré et affuté le groupe. Un «vieux» dont Alexandre Malsch a fait son héritier, lui le «jeune». A qui il vient de confier la présidence de Melty. En général, c’est le contraire qu’on observe. Mais Melty n’est pas un média comme les autres.
En fait, si vous voulez comprendre l’histoire hors-normes d’Alexandre Malsch et de Melty, il faut oublier le sweat à capuche. Il faut effacer quelques instants le cliché du jeune développeur qui voulait monter un média machine dopé à la data et à la culture «Silicon Valley», avec tout ce que ça laisse supposer de cynisme et d‘efficacité froide.
Mardi dernier, je suis allé voir Alexandre chez lui, dans le 13ème. On a beaucoup parlé. Il m’a raconté ses plus grands kiffs chez Melty, ses plus grands regrets aussi. Il m’a montré ses autres oeuvres de précision: ses vaisseaux Star Wars en légo, et ceux qu’il inventait quand Lego Star Wars n’existait pas.
En haut, le destroyer impérial qui fait plus d’1m de long. En bas, un vaisseau issu de «Star Wars rebel» (que «si tu ne le reconnais pas c’est que tu n’es pas de la même génération») (hum) et sa première création aérospatiale qu’il a conservée précieusement…
Et puis il m’a fait découvrir le jeu auquel il jouait en ce moment. On est resté super longtemps sur ce jeu. Et en ce mardi d’avril 2017, six ans après notre rencontre sushis, j’ai enfin compris ce qui faisait d’Alexandre ce personnage hors du commun.
Son plus grand kiff? L’écriture du scénario de Snap Horror Story en 2016. Sans doute l’un des formats d’écriture les plus innovants que j’ai vus en France ces derniers mois. Mais dont les experts ont peu parlé parce que ça se passait sur Snapchat et qu’ils n’ont pas bien compris comment ça se regardait.
Snap Horror Story est un véritable ovni digital. Une histoire mêlant réalité et fiction, diffusée sur plusieurs comptes Snapchat, en live, en différé. Une expérience complètement barrée, non linéaire, jamais vue ailleurs, pas même au pays de Snapchat. Une sorte de série tv qui épouserait les règles mutantes du réseau, jonglant dangereusement entre improvisation et scénarisation. Alexandre a piloté l’histoire du début jusqu’à la fin. Il a vibré, rigolé, flippé dans la maison hantée («je ne crois pas aux fantômes mais on a tous eu peur!»), écrit, inventé…
Son autre kiff? Les Melty Future Awards. Un événement qui, en quatre ans, est devenu un véritable phénomène chez les jeunes. Et qui surtout résume à lui seul l’ambition d’Alexandre pour Melty.
Parce que Melty n’est pas un média. Melty, c’est un univers.
En 2014, Alexandre a dû faire un choix: soit il poursuivait sa stratégie de puissance auprès des jeunes en misant sur les contenus viraux et faciles, pour capter un maximum de pub ou de contenus de marques. Soit il se détachait des Cerise Media, Webedia, Brut et autres Minute Buzz, pour devenir autre chose. Une marque premium. Une marque globale.
Alexandre s’est dit: et si on produisait nos propres références culturelles, nos propres stars, nos propres univers? Du coup, nos productions deviendraient aussi des sujets pour le média. La boucle serait bouclée.
C’était risqué. Ça demandait de la passion, de la créativité. Un peu de folie. Pas vraiment un truc à la Mark Zuckerberg. Plutôt un truc à la Disney.
«On est passé d’un modèle pur techno à un média hyper créatif.»
En fait, Melty est toujours très techno et data, mais dans un objectif de connaissance de sa cible et de gain de temps «pour permettre aux équipes de se concentrer sur la qualité du contenu».
Tonio Life, l'un des «talents Melty», fait sa demande en mariage aux Melty Future Awards
Melty s’est mis à détecter et recruter des talents sur YouTube et Snapchat, pas par opportunisme, mais pour en faire des personnages de son nouvel univers.
Aujourd’hui, les productions Melty font les succès d’audience du média. Lors des Melty Future Awards 2017, qui affiche 33 millions de portée sur les réseaux sociaux, le pic a été atteint quand un talent Melty, «Tonio», a fait sa demande en mariage. Ce qui a alimenté le média pendant plusieurs jours et a inspiré une prochaine production.
Pour comprendre ce qu’est Melty, il faut revenir à l’origine. La chambre d’ado. Là où l’aventure a commencé. La chambre d’Alexandre aujourd’hui, n’a sans doute pas tellement changé.
«On veut juste construire quelque chose de beau»
Entre sa planche de surf, ses maquettes légo Star Wars et son ordinateur customisé, il y a deux peluches. Tigrou, son personnage Disney favori quand il était enfant. Mais aussi Tam-Tam, le lapin (toujours Disney), sa première peluche.
Tam-Tam, c’est la mascotte de Melty. Qui n’était au début qu’une blague entre développeurs. Et qui est devenue la pierre angulaire de l’univers Melty.
Lors des événements, un type déguisé en Tam-Tam façon Disneyland mais en mode cool, fait hurler les filles qui veulent toutes se prendre en selfie avec lui.
Le «Melty Global Universe», comme l’appelle Alexandre.
Son modèle, c’est Walt Disney. La rigueur technique, oui, mais aussi la puissance du rêve.
Le rêve originel du créateur de Mickey? Créer un monde dans le monde, un monde cohérent. Le rêve de Disney n’a pas été compris en son temps. Mais son empire est aujourd’hui la plus grande industrie de divertissement du monde avec Star Wars, Marvel, Winny l’ourson et la Reine des neiges réunis. Et puis les parcs Disney.
Les parcs, Alexandre en est fan. Pas tant pour l’univers enfantin que pour la perfection et la cohérence du monde. «C’est une énorme machine, hyper-rigoureuse, et il n’y a pas une seule ampoule pêtée!»
Alexandre est un perfectionniste. Il avoue même avoir été un peu tyrannique avec ses équipes. Mais cette rigueur de bâtisseur, c’est aussi ce qui a donné à Melty sa force au fil des années.
Son jeu fétiche a longtemps été Civilization. Construire un monde. Lui donner sa cohérence et sa place dans un monde complexe. Technologie et créativité.
«Civilization, c’est Melty.»
Avant de partir, Alexandre me montre le dernier jeu auquel il joue à ses heures perdues. Le jeu s’appelle «Ark». Une sorte de Minecraft hyper-réaliste dans un univers préhistorique, où tu dois d’abord te mettre à l’abri pour survivre. Ensuite, tu dois récolter des matières premières pour construire ton refuge, puis ta base sur plusieurs étages, puis ta ville. Mais aussi rassembler des armées de dinosaures, aménager un port de plaisance, construire des maisons un peu folles sur des oiseaux géants. Ton propre monde. Mais pas tout seul. Avec les autres. Les membres de ton équipe, mais aussi les concurrents.
«On ne joue pas contre eux.»
Règle N°1.
Alexandre tient ça du surf.
«Tu ne surfes pas contre les autres, mais avec. Tu ne surfes pas contre les gens, ni contre la vague. On n’est pas rouge ou bleu, on veut juste construire quelque chose de beau.»
C’est l’histoire d’un jeune qui avait un rêve, le rêve de créer un monde, c’est juste cette histoire là. Mais un jeune qui a eu la force et l’intelligence de le construire brique après brique, avec méthode, avec concertation, sans craindre de déconstruire, ni d’encaisser une catastrophe. Tant qu’il y a des briques, et tant qu’il y a du rêve, il y a toujours quelque chose à construire.
Melty est un rêve presque achevé. Il y a une semaine, Alexandre a appuyé sur le bouton «quitter le jeu». Il a quand même pensé à «sauvegarder», au cas où, un jour, après avoir vu autre chose, il aurait envie de revenir terminer la construction de son multivers.
Benoît Raphaël est expert en innovation digitale et média, blogueur et entrepreneur.
Il est à l'origine de nombreux médias à succès sur Internet: Le Post.fr (groupe Le Monde), Le Plus de l'Obs, Le Lab d'Europe 1.
Benoît est également cofondateur de Trendsboard et du média robot Flint.
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