Marion Siéfert, pas de deux entre numérique et théâtre
Par Rana MOUSSAOUI / AFP
Elle a monté une pièce jouée en temps réel sur scène et sur Instagram et va en présenter une autre sur l’emprise des jeux vidéo: grâce au théâtre, Marion Siéfert veut rendre « visible ce qui est tacite » dans l’univers numérique.
Il serait toutefois erroné de penser que l’autrice et metteuse en scène française est une fan du monde virtuel et des réseaux sociaux.
« Je ne suis pas du tout +geek+, je n’ai jamais joué aux jeux vidéo. Ce ne sont pas des espaces que j’aime », affirme-t-elle dans un entretien avec l’AFP.
Ce qui l’intéresse, en revanche, c’est de « rendre visible ce qui est tacite dans l’univers numérique », notamment ses effets pervers lorsqu’il permet « l’abus et l’exploitation des corps ».
Dans « Daddy », sa nouvelle création présentée au Théâtre de l’Odéon à Paris à partir du 9 mai, l’héroïne a 13 ans et tombe dans les filets de Julien, qui a le double de son âge, à travers « Daddy », un jeu vidéo dans lequel elle peut « réaliser » son rêve de devenir actrice.
« Il va lui acheter des scènes de films à jouer, des tenues, du maquillage pour la mettre en valeur. Elle va le suivre dans son jeu mais son rêve va virer au cauchemar », explique-t-elle. « Il a l’air d’un prince charmant, le type de personne dont on peut tomber amoureuse quand on a 13 ans, mais il va en profiter et un abus va s’instaurer ».
– Le virtuel rendu concret
La metteuse en scène trentenaire a déjà abordé des personnages d’adolescent et d’enfant dans ses pièces (« Le Grand Sommeil », « _jeanne_dark_ ») mais jamais aussi directement la question de l’emprise à travers le virtuel.
« Avant d’écrire cette pièce avec Matthieu Bareyre, j’ai parlé énormément avec de jeunes personnes qui avaient connu l’abus, parfois uniquement de manière numérique, à travers FaceTime ou des plateformes. La pièce est gorgée de réel », raconte-t-elle.
Elle dit avoir lu également à propos d’une femme qui, dans le métavers, « a vécu l’agression de son avatar comme du viol ».
« L’intensité de ces expériences immersives laisse des traces sur le corps, sur le psychisme, et c’est tout l’intérêt de représenter ça au théâtre, où on a de vrais corps », précise encore la metteuse en scène.
« Ca rend concret ce que ce nouveau capitalisme numérique fait aux corps et aux vies (…), que ce soit sur les réseaux sociaux, où on a tendance à mettre en vente la personne qu’on est, ou dans le virtuel, où on peut acheter des avatars », ajoute-t-elle.
Dans « _jeanne_dark_ », présenté comme « le premier spectacle en live sur Instagram et au théâtre », elle avait montré, à travers la comédienne Helena de Laurens, le personnage d’une adolescente complexée qui s’expose à la fois devant des spectateurs dans la salle et en ligne à travers des écrans des deux côtés de la scène.
L’image projetée faisait fortement concurrence à la présence physique de l’actrice.
Dans « Daddy », « c’est l’inverse: je montre qu’on peut représenter le virtuel avec des moyens purement théâtraux », affirme Marion Siéfert. « On voit l’adolescente en famille, avec les écrans et le jeu qu’elle joue ».
« A une époque où on est plongé dans nos écrans, c’est important de voir au théâtre ce que cela fait à nos sociétés et comment cela modifie la manière dont on se construit », développe l’autrice.
Elle-même a eu maille à partir avec le numérique, puisque sa diffusion en direct de « _jeanne_dark_ » a été coupée à plusieurs reprises, l’algorithme identifiant de « la nudité », alors qu’il s’agissait d’un geste mimé.
« Le fait qu’ils ne puissent pas distinguer une fiction du réel, c’est assez effrayant », dit-elle.
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