Marketing de l’extrême: jusqu’où peut-on aller pour promouvoir sa marque?
Nicolas Halftermeyer, contributeur FrenchWeb
Cet article est dédié à la mémoire de Tancrède Melet, merveilleux acrobate du ciel du collectif Flying Frenchies avec lequel j’ai eu le bonheur de collaborer.
Redbull Stratos, l’exploit au cœur de la marque
Chacun a encore en tête l’incroyable exploit de Felix Baumgartner qui sauta dans le vide à plus de 38 000 mètres d’altitude. L’autrichien – quasi-cosmonaute – s’élança ce 14 octobre 2012, truffé de caméras Gopro, suivi par 9,5 millions d’internautes sur YouTube et beaucoup plus via les télévisions. La mission Red Bull Stratos, d’un coût supérieur à 30 millions de dollars faisait jeu égal avec la NASA.
Franchir le mur du son pour promouvoir une marque, voilà qui a de l’allure ! Le saut depuis la stratosphère a généré plus de 2 300 retombées presse en France, selon Havas Media. Le coup de génie de Red Bull, boisson gazeuse énergisante, qui semble rendre invincible et surhumain l’homme contemporain. Ce record n’a tenu que deux ans mais avec bien moins de médiatisation. Ce type de record extraordinaire, qu’il soit dans la lointaine atmosphère ou en falaise, Red Bull a su l’inventer, le soutenir, l’exploiter – jusqu’à créer son propre magazine.
Cette soif d’épique, de défi humain, est-elle vraiment payante, faut-il la tenter ? Que risque t-on à colorer sa marque avec un parfum d’aventures pour lui donner une tonalité plus audacieuse ? Une marque peut-elle mettre en danger la vie de sportifs extrêmes, dont c’est, convenons-en, le métier ? Ce fut le mien de sponsoriser des personnes d’exception en échange de vues originales.
Le véritable pionnier de l’extrême, André Citroën
Il faut se remémorer ce qu’ont réussi les marques qui osent : en premier lieu, l’exceptionnel André Citroën et ses raids, à base de voitures chenillées, qui traversèrent l’Afrique et l’empire colonial français en 1924 puis l’Asie en 1931. Des croisières automobiles sans pareille, embarquant des ethnologues et des géographes, qui firent longtemps la renommée de la marque Citroën.
Quelle marque aujourd’hui, oserait renouveler ce type d’exploit audacieux avec les difficultés, les risques humains et pour l’image de marque ? Prêts à affronter les tempêtes de sable, quarante-deux hommes s’élancent sur les traces de la route de la soie, reliant Beyrouth-Pékin, soit 11 000 kilomètres, en bravant les cols de l’Himalaya suivi du désert de Gobi. On imagine la tête d’un DRH ou d’un directeur juridique si on leur soumettait aujourd’hui un projet similaire !
De Rolex à Volvo, une tradition de performances
Ensuite, après la deuxième guerre mondiale, les industriels du tabac et de l’alcool se sont mis à sponsoriser rallyes et Formule 1, montrant alors le « mâle » en contrôle de lui-même, à la fois dandy et Hercule, avant une pause bien méritée. Il faut admettre que ce fut à l’époque, avant les lois interdisant ces sponsorings nocifs pour la santé, fort efficace. A chaque fois, le risque était présent, sur des parcours sinueux, dans le désert, ou des circuits dangereux.
Plus agréablement, on se souvient aussi des publicités de Rolex illustrant dans les magazines à quelle profondeur ses montres peuvent être portées par des plongeurs émérites. Le grand bleu n’est est pas moins dangereux à ces profondeurs. Rolex vante une étanchéité allant à plus de 12 000 mètres pour son modèle Deepsea.
A voir absolument sur YouTube, la marque Suédoise Volvo qui a craqué pour l’extrême : quid d’un de vos collaborateurs qui se ferait rouler dessus par un camion de plusieurs tonnes ? Quid d’un camion piloté à distance? Quid d’un acteur cascadeur hors du commun – le Belge Jean-Claude Van Damme – qui fait un grand écart entre 2 camions en route et récolte ainsi 93 millions de vues ? Ou laisser un poids lourd Volvo piloté par un enfant de quatre ans ? Pour Volvo Trucks, le risque permet de souligner la qualité de conduite de ses véhicules professionnels.
Enfin, et c’est une évidence pour toutes celles et ceux qui travaillent dans le « Big data », que se passerait-il en cas de choc sur un disque dur ? Depuis longtemps les fabricants comme Western Digital et Sandisk soumettent leurs disques durs et cartes mémoires à des tests extrêmes, allant des rayons X à des températures de -25 à +85C° et en font des vidéos convaincantes. Nos données sont entre de bonnes mains !
Les drones Parrot filment l’impossible
Alors que j’étais directeur marketing et communication de Parrot, j’eu souvent le feu vert de son fondateur, Henri Seydoux, pour mener des missions extrêmes avec pour objectif de saisir des instants incroyables et uniques avec nos drones.
Ainsi nous avons sponsorisé Antony Jinman, ancien des forces spéciales du Royaume-Uni, qui proposa le défi de rejoindre le Pôle Sud en moins de 50 jours- en solo ! L’idée était simple : puisqu’il était seul à ski, il lui manquait un caméraman pour filmer sa tentative. Le drone Parrot fut alors son compagnon et son caméraman volant. La partie technique fut complexe car en plus des recharges avec panneau solaire, cela impliquait de devoir piloter le drone avec un iPad et des gants à des températures de -40° et des vents très violents, parfois supérieurs à 100 km/h. Et les champs magnétiques intenses nous faisaient redouter des perturbations imprévues.
Des conditions extrêmes qui ne reflétaient cependant pas l’essentiel du défi. Car pour emporter le drone pourtant ultra-léger- de moins de 400 grammes-, ses batteries, à conserver près du corps, et quelques pièces derechange il faudrait à Antony, nous expliqua-t-il clairement, se séparer de deux boites de conserve. C’est-à-dire diminuer sa durabilité corporelle face au froid intense de deux jours. Me sont alors revenues en tête les expéditions de Sir Ernest Henry Shackleton, qui mourut en antarctique ou de Jean-Baptiste Charcot. Un directeur marketing peut-il assumer et faire prendre un tel risque ? Avec Antony et plusieurs ingénieurs de Parrot, ce projet nous enivrait, nous avons accepté le risque mortel.
Nous avons alors financé les billets d’avion d’Antony pour l’Antarctique. Heureusement, après 46 jours angoissants où les communications ont été très rares – malgré son téléphone satellitaires Iridium – le pari est réussi avec une première mondiale : après un parcours de 730 miles à ski, un drone a volé au pôle Sud le 17 janvier 2014 ! Depuis, il fait le tour des écoles pour éduquer sur les changements climatiques et le dépassement de soi. Les bénéfices pour Parrot ? Une aventure unique qui nous a permis de tester notre engin dans des conditions exceptionnelles. Nous en avons tiré des leçons afin d’améliorer la caméra notamment.
En 2018, c’est au tour de l’explorateur Mike Horn d’emporter un drone Parrot avec lui. Aujourd’hui, le voyagiste Evaneos sponsorise l’aventurier polaire Matthieu Tordeur qui revient lui aussi de l’Antarctique et je présage que bien des marques approcheront Stéphanie Gicquel, la première marathonienne autour du Pôle Nord, pour de nouvelles expéditions afin de montrer ce qu’il s’y passe aux pôles.
Flying Frenchies, un collectif au service du rêve et de l’extrême
L’un de mes plus beaux souvenirs aura été par la suite une collaboration réussie avec les « Flying Frenchies » rencontrés grâce à l’agence Hello Emotion. Imaginez-vous un collectif de clowns, d’ingénieurs, de professionnels du saut en parachute et en Wingsuit à l’esprit vif et subtil. Avec eux, nous avons voulu filmer l’impossible, l’homme face à la gravité entouré par un drone qui la défie. Nous avons tourné avec Tancrède Melet et Anicet Leone deux vidéos qui ont su incarner les valeurs de la marque.
Ce faisant nous avons aussi entrainé toute l’entreprise, à l’image de ce que réussissent les marques qui sponsorisent des équipes sportives de renom. Diffusées sur YouTube, ces vidéos de saut extrême des « Flying Frenchies » étaient bien entendu une manière de démontrer l’incroyable stabilité de nos produits, en situation difficile en montagne ou l’homme et la machine sont peu de choses. Ce fut avec une tristesse infinie que j’appris la nouvelle du dernier voyage dans le ciel de Tancrède lié à un entrainement sur montgolfière pour un spectacle, cette fois-ci non sponsorisé par une marque. Ses équipiers continuent l’aventure et ont notamment réussi à «surfer» sur une planche suspendue entre deux falaises, avec le concours financier de .. Redbull.
Et si les patrons eux-mêmes prenaient des risques ?
En définitive, déléguer le risque est une option, mais que dire de ces fondateurs qui se mettent eux-mêmes en péril ? Pour Richard Branson, traverser l’Atlantique et le Pacifique en ballon ou plus rapidement descendre la façade de son magasin sur les Champs-Elysées, cela fait partie de l’aventure entrepreneuriale. Impossible aussi de ne pas mentionner Ken Block : le pilote de rallye extrême est co-fondateur de la marque californienne DC Shoes, et il ne laisserait pour rien au monde un autre pilote conduire plus vite que lui…
Se dépasser est un objectif important et salutaire pour une marque, savoir se confronter à des situations, imaginer des scénarios de l’impossible, vivre avec des sportifs extrêmes et ses collaborateurs une aventure commune inoubliable et probablement indépassable. En organisant rigoureusement les choses, en acceptant l’aléas des conditions physiques et climatiques et en croisant les doigts pour que tout se passe bien le jour J !
Le contributeur :
Nicolas Halftermeyer est l’ancien directeur marketing et communication de Parrot, le spécialiste français des drones. Il a aussi exercé des fonctions marketing chez Business Objects, Lastminute, Netgem et Xilam.