Cyrille FrankEtudesLes ExpertsMARTECHMEDIA

Médias, épargnez-nous – s’il vous plaît – la vacuité des professionnels de «la com»

En relayant des polémiques futiles, ou des annonces absurdes, les médias tombent désormais de manière systématique dans le panneau de la communication. 

Le retour prétendu de Bernard Tapie, les éructations de Robert Ménard, les vitupérations du colérique Jean-Luc Mélenchon… le plus sûr moyen d’intéresser les médias aujourd’hui, est de dire une énormité et d’attendre les cris d’orfraie des uns et des autres.

Une stratégie qui porte ses fruits aussi outre-Atlantique, avec les élucubrations de Donald Trump, apparemment en tête de la primaire républicaine pour la présidentielle américaine.

Pourquoi tendre des micros, accorder des tribunes à ceux qui ne cherchent qu’à faire du bruit et à occuper l’espace médiatique, au détriment de sujets plus importants?

Et bien pour faire du buzz, de l’audience, des ventes évidemment! Les patrons des médias sont conscients de faire le jeu des communicants, mais ils s’en fichent. Nécessité économique fait loi  la presse est tellement aux abois qu’elle fait feu de tout bois. Ce qui fait dire à notre ancien ministre-philosophe :

©Twitter – Luc Ferry le 20 décembre 2015

©Twitter – Luc Ferry le 20 décembre 2015

Twitter, nouvel espace d'expression du vide

Nadine Morano, Christine Boutin, Laurent Wauquiez et autres cruches politiques ont trouvé avec Twitter un canal de communication parfait qui relaie leurs idioties démagogues à loisir. Les indignés 2.0 qui s’offusquent de leurs inepties, leur donnent une visibilité inespérée, et sont de fait, leurs premiers assistants de communication.

Christine Boutin - tweet droit du sol - mediaculture.fr

©Twitter – Christine Boutin le 26 décembre 2015

Quant aux médias, ils puisent là une source de sujets faciles: la revue de tweets qui raconte la polémique en carton du moment. Une façon de traiter les sujets légers, l’air de rien. Cachez ce sein que je ne saurais voir… «Ce n’est pas nous qu’on le dit : c’est Twitter».

Une tendance délétère pour les médias

Ceci représente l’abandon de toute hiérarchie de l’information. On occupe notre temps de cerveau disponible avec des broutilles. Pour mieux nous détourner des sujets qui fâchent? Je ne crois pas vraiment à la théorie politique du rideau de fumée, de l’anesthésie calculée des peuples par le divertissement et le leurre. Encore qu’avec les rachats des médias par les grands groupes industriels, à la veille de l’élection présidentielle, il est légitime de se poser la question.

Je crois davantage à la motivation économique.

La polémique sur des propos excessifs – et si possible idiots – est bien pratique quand il ne s’est pas passé grand chose. Cela noircit les colonnes du papier, qu’il faut bien remplir en effet. Plus facile à mettre en place qu’un agenda éditorial anticipé pour disposer de sujets magazine plus froids, en cas d’actualité molle.

Mais sur Internet, pourquoi reproduire cette habitude du remplissage ou de la publication régulière de nouvelles, y compris quand il ne se passe rien, ou qu’on n’a rien à dire? Occuper le terrain, remplir le vide n’a pas de sens à l’heure de la surabondance d’informations. Et si on en profitait pour travailler les sujets plus longs et exigeants?

Ce jour là, il y aura moins d’articles publiés. Quelle importance puisque de toute façon, les gens n’ont pas le temps de les lire? C’est vrai aussi qu’on se prive aussi de la dernière polémique qui représente souvent une belle audience à peu de frais et d’efforts. Mais, une audience obtenue au prix d’une terrible caisse de résonance médiatique, bien creuse.

Reprendre la main sur l'agenda médiatique est une nécéssité! 

Il faut absolument éviter la caisse de résonance médiatique, la réplication des mêmes articles, parfois à peine édités, comme le montre cet exemple assez édifiant :

La redondance des informations en un tweet - mediaculture.fr

©Twitter – Cyril Petit le 15 décembre 2015

Ne pas être qu’en rebond des événements proposés par autrui, mais aller chercher ses propres sujets, reprendre la main sur l’agenda médiatique est une nécessité pour avoir une chance d’émerger dans la course pour l’attention.

Cela ne signifie pas être complètement déconnecté des sujets actuels, mais cela implique de ne pas subir la dictature de l’instantané. Refuser de relayer ou commenter la dernière ânerie politique en date. Prendre un peu de distance avec les communiqués des attachés de presse, avec les polémiques futiles et vides, avec le dernier fait divers choquant du moment. Et assumer surtout que si rien ne semble digne d’intérêt dans les faits du jour, il vaut mieux en profiter pour travailler les sujets profonds et compliqués qui feront l’audience de demain.

depeche afp - attentats relais inutile - mediaculture.fr

depeche afp – attentats relais inutile – mediaculture.fr

Mais il faut bien parler de ce qui fait l'actualité!

Il faut en effet distinguer les phénomènes devenus médiatiques qu’il convient d’expliciter et mettre en perspective, comme le font très bien les décodeurs du Monde, des faits médiatiques auto-immunes crées de toute pièce par les médias eux-mêmes.

Pourquoi relayer la dernière provocation de Dieudonné et lui offrir ainsi une tribune à son discours antisémite et anti-républicain? En revanche, quand le phénomène est déjà une réalité, il est important de prendre le temps de le dénoncer point par point, à grand renfort d’arguments et de faits documentés.

Il faut faire preuve de discernement, de prudence et éviter les deux écueils contraires des fameux «effets Streisand» ou «affaire Adjani».  

Dans le premier cas, Barbra Streisand avait tenté de faire interdire la diffusion d’une photographie aérienne de sa villa. Malheureusement pour elle, cette tentative eut l’effet inverse : la publication de la procédure fit connaître l’image auprès de centaines de milliers d’internautes américains.

Dans le second cas, Isabelle Adjani, victime d’une rumeur tenace selon laquelle elle était malade voire décédée du sida, était venue sur le plateau de TF1 démentir la fable (ci-dessous). Mais cette dénégation publique sur la première chaîne de France avait surtout réussi à diffuser l’information au plus grand nombre, et à répandre ainsi le doute.


 

Voilà un équilibre qui n’est certes pas simple! Il nécessite de savoir se taire quelquefois, pour ne pas ajouter du bruit au bruit, ou au contraire d’intervenir pour éteindre l’incendie, quand il s’est déjà déclaré.

Sélection, vérification, hiérarchisation… les médias d’information générale doivent revenir à leurs missions essentielles et cesser de tomber dans la course au vide. Oui le buzz fonctionne et engrange une audience facile. Mais à long terme, cela tue l’attachement et la confiance en les médias eux-mêmes. Les lecteurs, téléspectateurs, internautes sont des enfants incohérents et versatiles. Ils réclament aujourd’hui de se nourrir exclusivement de sucreries. Mais ils nous reprocheront demain de n’avoir pas assez insisté pour leur faire manger des légumes verts, gâtant ainsi leurs dents. Et surtout leur cerveau.

Baromètre TNS-Sofrès 2015 - confiance des Français en l'indépendance des journalistes

Baromètre TNS-Sofrès 2015 – confiance des Français en l’indépendance des journalistes

cyrille frankCyrille Frank est journaliste. Cofondateur de Askmedia (quoi.info, Le Parisien Magazine, Pôle dataviz), il est aussi formateur aux techniques rédactionnelles plurimédia, au marketing éditorial et au data-journalisme ainsi que consultant en stratégie éditoriale (augmentation de trafic, fidélisation, monétisation d’audience) et en usages des réseaux sociaux (acquisition de trafic, engagement…).

Retrouvez Cyrille Frank sur Twitter, @cyceron, sur son site Internet: Mediaculture.fr, sur Facebook« >Facebook et sur Linkedin

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