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Microsoft à l’école de la République : quand la souveraineté numérique devient une option

Le 14 mars, la publication du contrat entre le ministère de l’Éducation nationale et Microsoft a mis une nouvelle fois en lumière une contradiction majeure de la stratégie numérique de l’État. D’un côté, une doctrine officielle vantant la souveraineté numérique et appelant à l’usage de solutions cloud qualifiées. De l’autre, un engagement contractuel de plusieurs dizaines de millions d’euros avec l’éditeur américain, sans mise en concurrence significative. Le contraste avec les ambitions affichées au niveau européen interroge : la souveraineté numérique serait-elle devenue un principe purement déclaratif ?

Une doctrine nationale régulièrement contredite

La Direction interministérielle du numérique (DINUM) rappelle depuis 2021 que les solutions manipulant des données sensibles doivent impérativement être hébergées sur des environnements qualifiés SecNumCloud. La messagerie, les outils collaboratifs et la bureautique figurent explicitement parmi les services concernés. Pourtant, le contrat passé par la rue de Grenelle couvre l’ensemble des usages numériques internes de l’Éducation nationale, y compris ceux liés à la messagerie et à la collaboration, via les offres Microsoft (Office 365 et autres). Le tout pour un montant pouvant atteindre 152 millions d’euros.

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Ce choix administratif va à l’encontre des consignes adressées aux recteurs et aux secrétaires d’académie dans une note datée du 28 février, rappelant l’exclusion formelle des solutions non souveraines. L’administration centrale s’affranchit ainsi des règles qu’elle impose à ses propres services déconcentrés.

L’agenda européen relégué au second plan

À l’échelle européenne, la souveraineté numérique s’impose comme un axe structurant du projet politique. La Commission européenne a multiplié les initiatives : stratégie pour le cloud européen, soutien aux infrastructures de données souveraines (Gaia-X, IPCEI cloud), législations renforçant le contrôle sur les transferts transatlantiques (RGPD, invalidation du Privacy Shield, Data Act). Ces mesures visent à réduire la dépendance technologique vis-à-vis des acteurs non européens, en particulier américains et chinois.

En France, cette ambition trouve un écho institutionnel dans les discours politiques. Mais dans les faits, les décisions stratégiques – y compris dans des ministères régaliens – continuent de privilégier les solutions dominantes du marché, au détriment d’acteurs souverains ou Open Source. La logique de continuité de service et la familiarité des utilisateurs avec les outils de Microsoft semblent primer sur les impératifs de sécurité juridique, de résilience et d’indépendance technologique.

Le député Philippe Latombe, l’un des rares à alerter publiquement sur cette contradiction, résume l’absurdité de la situation dans un post publié sur LinkedIn (ironiquement propriété de Microsoft) :

Alors que les relations transatlantiques actuelles devraient inciter nos administrations à la plus grande prudence concernant les solutions informatiques qu’elles choisissent et les pousser à s’émanciper des géants américains, certaines d’entre elles persistent et signent sans vergogne. »

Une dépendance normalisée

Le contrat entre le ministère de l’Éducation nationale et Microsoft n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une série de marchés publics où la référence explicite à un fournisseur unique, en l’occurrence Microsoft, est devenue la norme.

En parallèle, les solutions Open Source restent cantonnées à des expérimentations locales ou à des discours de principe. Leur manque de lobby, d’interfaces uniformisées ou de garanties contractuelles comparables à celles des géants du cloud contribue à les marginaliser dans les grandes procédures d’achat public.

Vers une souveraineté sélective ?

L’écart entre les intentions et les actes est flagrant. La souveraineté numérique est invoquée pour interdire TikTok sur les téléphones des fonctionnaires, mais ignorée lorsqu’il s’agit de confier des millions de documents administratifs et pédagogiques à un éditeur soumis au Cloud Act américain. Le double standard ne passe plus inaperçu.

La question posée par le député Philippe Latombe – demander la dénonciation du contrat – ne relève pas uniquement du débat technico-juridique. Elle renvoie à une interrogation plus large sur la capacité de l’État à faire évoluer ses pratiques d’achat, à soutenir un écosystème numérique européen et à aligner ses choix opérationnels avec ses engagements politiques.

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