Mira Beauty: comment cette startup californienne a-t-elle inventé l’enseigne du futur?
Interview de Jay Hack, CEO et co-fondateur de Mira Beauty par Laurence Faguer
En bref
- Jay Hack et Brandon Garcia, ingénieurs en IA et en computer vision, ont lancé Mira Beauty en 2019, avec pour mission d’aider les consommateurs à trouver le produit qui leur convient, aussi simplement qu’une recherche sur Google.
- La technologie de pointe de Mira transpose plus de 10 millions de pages de produits, d’avis Jay Hack et de vidéos en une expérience d’achat claire, simple et personnalisée.
- En quelques mois, Mira Beauty est devenu un espace de confiance et de transparence, où des conversations sincères se tiennent entre passionnés de la beauté, d’une manière bien plus utile qu’un avis payé ou mensonger.
Aujourd’hui, un an après, MIRA BEAUTY est carrément devenu une place de marché.
- MIRA est également le premier dans le secteur à avoir instauré un partenariat de partage de données. Les marques de luxe sont extrêmement innovantes et très enthousiastes à l’idée de disposer d’une « place » alimentée en nombreuses données.
- Récemment, MIRA BEAUTY a également pris des inititatives concrètes pour que la marketplace soit inclusive. Une nouvelle catégorie, “Black Founder”, est au cœur de son activité.
- En septembre, MIRA BEAUTY a clôturé une nouvelle levée de fonds de 9 millions de dollars, auprès d’Unilever et de sociétés de capital-risque, que l’on retrouvent aussi derrière Glossier, TheRealReal et d’autres.
Dans le détail
Interview
La vision
Lorsque je vous ai rencontré pour la première fois fin 2019, la mission de MIRA était de faciliter la conversation entre les marques et les consommateurs. MIRA BEAUTY est beaucoup plus aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Jay Hack : Nous avons lancé MIRA parce que nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une demande existante chez les consommateurs, mais que la réponse apportée n’était pas très bonne. Vous voyez des centaines de millions de personnes qui recherchent des contenus liés à la beauté en ligne et qui ne trouvent pas vraiment de réponses.
Que voulez-vous dire ?
Jay Hack : Supposons que vous ayez l’intention d’acheter un nouvel hydratant. Il y a de fortes chances pour que vous alliez sur Google et tapiez : « Le meilleur hydratant pour une femme… » et vous expliquez ce qui décrit le mieux votre peau – type, sensibilité aux ingrédients, etc. Le contenu que vous allez obtenir est constitué d’articles ou de pages produits d’un grand acteur de la distribution comme Sephora.
Nous avons créé MIRA – votre conseillère beauté personnelle dans votre poche – pour aider les clients à trouver le bon produit de manière ludique et fluide, sans avoir à jongler avec des millions d’onglets et de navigateurs différents. Pour se faire, nous avons développé une IA très sophistiquée qui trouve sur le web des données que les consommateurs utilisent traditionnellement pour décider quels produits acheter.
Il s’agissait alors de la version 1 de Mira
Jay Hack : Oui, parce que nous avons vite réalisé que MIRA possède tant de données, tant de contenus et l’intelligence artificielle la plus avancée de l’industrie que nous sommes capables de générer des pages qui répondent automatiquement à ces questions Beauté posées par les consommateurs.
Si nous reprenons cet exemple : « Quel est le meilleur hydratant pour peau grasse ? » Non seulement nous avons plus d’un millier de produits parmi lesquels vous pouvez choisir, mais nous avons aussi quinze millions d’avis d’utilisateurs décrivant ces produits, donc nous savons ce que les gens disent sur le meilleur hydratant pour peau grasse.
Et nous avons plus de 3 millions de vidéos. Lorsque vous allez sur la page de MIRA BEAUTY™, vous pouvez voir des vidéos de personnes qui parlent de ces produits et qui les appliquent sur leur visage, afin que vous puissiez constater l’effet en réel. Nous avons également la liste des ingrédients pour la moitié de ces produits, nous pouvons donc dire que le produit n’a pas de mauvais ingrédient pour votre type de peau. Et le même concept s’applique pour les images – nous vous montrons le produit sur des personnes avec lesquelles vous pouvez vous identifier – et sur d’autres types de contenu.
Nous avons donc toujours la même vision de départ, qui est d’aider les gens à trouver les produits qui leur conviennent. Mais maintenant, un peu plus d’un an après notre lancement, nous sommes en mesure de faciliter le processus : une personne exprime une intention là où elle le fait déjà – c’est-à-dire sur Google -, nous la trouvons, nous lui donnons du contenu, nous lui disons si ce produit n’est pas bon pour elle, nous l’aidons à trouver le bon produit, nous la convertissons et nous lui vendons le produit sur notre site web.
Le social
De quelle manière trouvez-vous toutes ces données et contenus en ligne ?
Jay Hack : C’est la partie de MIRA BEAUTY™ qui n’a jamais changé et ne changera jamais. C’est ce qui nous rend très différents de tous les autres acteurs du secteur.
Nous envoyons de petits robots sur le web et ils recueillent des contenus de commentaires de partout : blogs, sites marchands, sites d’avis de clients. Nous les introduisons dans nos systèmes, nous les analysons à l’aide des AI existantes et nous les traduisons en langage naturel.
Par exemple, nous pouvons citer une évaluation de produit dans laquelle une utilisatrice dit que ce produit est un bon hydratant pour elle, tandis que cette autre utilisatrice considère que ce produit n’est pas nutritif et il n’a pas très bien fonctionné pour elle. Lorsque vous regroupez ces informations sur quinze millions d’avis, cela vous donne une image plus large de ce que les gens aiment dans le produit, ce qu’ils n’aiment pas, et les segments de clients qui ont préféré le produit.
C’est très utile pour nous, non seulement pour dire à un utilisateur spécifique si un produit est bon pour lui ou non, mais aussi pour lui faire des recommandations sur le produit : « Hey, de tous les produits, celui-ci est le plus crémeux ».
Ce concept fait remonter la sagesse d’une communauté existante – celle des fans de beauté – en analysant des contenus qui sont déjà sur le web – y compris des contenus vidéo, où dans ce cas-là nous utilisons la computer vision afin d’extraire des passages dans lesquelles les personnes parlent de nouveaux produits.
Par exemple, quel est le teint de peau de cette jeune femme qui anime un tutoriel, et qu’a-t-elle dit au sujet du produit ? Quel est son sentiment lorsqu’elle en parle ? Cela nous permet donc d’être très normatifs et personnels dans le contenu que nous montrons aux utilisateurs au niveau produit.
Pour résumer, l’approche consiste à trouver des contenus en ligne qui parlent de produits de beauté, à utiliser l’intelligence artificielle pour extraire les idées sous-jacentes qui sont variables pour un consommateur et à leur présenter de manière hyper personnalisée alors qu’ils font une recherche pour des produits de beauté – donc à les débarrasser des 95% de choses qui ne les intéressent pas – et enfin trouver ces consommateurs qui veulent avoir ce lien authentique et s’informer de la sorte sur les produits.
Exemple ci-dessous: Recherche d’un produit pour les yeux → Parmi les produits remontés, une crême TATCHA. Description ultra détaillée, avis de clients, Vidéo d’utilisatrices, et beaucoup d’autres contenus encore: https://mirabeauty.com/tatcha/the-silk-peony-melting-eye-cream
Nous savons à quel point le prix est important dans une décision d’achat. En plus de présenter le produit parfait pour la personne, tenez-vous compte du prix de vente du produit ?
Jay Hack : Pour les produits que nous vendons sur notre plateforme – 20 000 produits disponibles aux Etats-Unis -, nous offrons le meilleur prix. Pour les produits que nous ne vendons pas, nous utilisons notre intelligence artificielle pour trouver le prix sur le web pour ce produit. Avec tous les détails : le produit est peut-être en promotion ici, ou il est livré gratuitement ailleurs. Nous allons vous le dire.
La communauté
Vous avez réuni une large communauté, très engagée, en très peu de temps. Aviez-vous imaginé cela dès le début ?
Jay Hack : Si vous m’aviez posé cette question lors du lancement de MIRA il y a un an, je vous aurais dit « Peut-être mais pas sûr ». À l’origine, la vision n’était pas nécessairement de relier les personnes entre eux, mais d’aider les personnes à trouver le bon produit et à l’acheter. Mais pour aider les personnes à prendre la décision d’acheter un produit de beauté, il faut vraiment les mettre en relation avec d’autres personnes, parce que la beauté est sociale, elle est expérimentale, artistique, et ceci implique de trouver l’inspiration chez les autres. La composante sociale est essentielle, elle aide les personnes à décider d’acheter en s’inspirant des autres.
Donc, pour faire notre travail correctement, nous devions fournir cet espace à la communauté pour qu’elle s’engage. C’est quelque chose que nous avons appris très tôt. Nous voyons environ cinquante mille personnes par mois venir et s’engager, ce qui est vraiment fantastique. Vous ne trouvez pas un autre endroit sur le web où les gens peuvent parler de produits, s’inspirer les uns des autres et parler de manière vraiment authentique de quelque chose qui est très important pour eux, c’est-à-dire leur passion pour la beauté.
Révolutionner l’industrie
Pensez-vous que MIRA BEAUTY™ pourrait un jour avoir la taille de Sephora US ou Ulta Beauty ?
Jay Hack : Si nous réussissons dans notre travail, qui consiste à aider les personnes en grand nombre à trouver le produit qui leur convient, alors nous avons vraiment une grande chance de révolutionner l’industrie. Non seulement en étant de la même taille que Sephora, mais en étant encore plus grand !
Il y a quelque chose qu’ils font mal, que nous pouvons faire très bien. Et le meilleur exemple est le e-commerce. Le plus gros problème auquel les consommateurs sont confrontés aujourd’hui lorsqu’ils achètent en ligne est que les références e-commerce auxquelles ils ont accès sont vraiment très insuffisantes. Ils n’ont pas investi beaucoup de temps dans le merchandising, et dans l’obtention de bonnes informations sur les produits sur les pages des produits.
Si, en tant que consommateur, je veux acheter un produit chez Sephora, il m’est vraiment difficile de comprendre si le produit est bon pour moi. C’est la conséquence du fait que Sephora, surtout avant la Covid-19, n’a pas vu que les ventes proviennent du e-commerce. Ils n’ont pas investi beaucoup de ressources pour renforcer leur présence dans le e-commerce.
MIRA est de toute évidence une entreprise de e-commerce avant tout et uniquement. La seule chose qui compte, en plus d’engager notre communauté, est de réussir à mettre nos utilisateurs devant les bons produits et de les inciter à les acheter.
Nous ne nous considérons pas comme un retailer traditionnel, mais plutôt comme un espace de talent en ligne pour la beauté, un lieu où les personnes viennent pour trouver le bon produit et en discuter entre consommateurs engagés. Et les marques viennent pour se présenter au monde entier, trouver les bons consommateurs et les commercialiser d’une manière très authentique.
Il s’agit d’un modèle de commerce plus démocratisé. Nous pensons que c’est le “Next”, basé sur le retail mais aussi sur le commerce social, dans lequel le monde va entrer à partir de cette décennie.
Nous pensons que nous avons une bonne offre, non seulement pour concurrencer Sephora ou Ulta, mais aussi pour créer de nouveaux modèles que les consommateurs préfèrent aux enseignes traditionnelles.
Nous sommes le premier modèle Retail à avoir instauré un partenariat de partage de données avec nos partenaires marques.
Vous n’êtes pas spécialisé uniquement dans les nouvelles marques indépendantes et/ou les marques Direct-to-Consumer. Quelle valeur offrez-vous aux grandes marques comme DIOR ou Estée Lauder ? Avez-vous une bonne relation avec elles ?
Jay Hack : Nous avons une assez bonne idée de ce qu’ils veulent et de la façon dont nous pouvons les aider à atteindre leurs objectifs. La chose la plus importante que nous avons apprise au cours de la création de MIRA est que, tout comme les consommateurs manquent de transparence sur les produits qu’ils achètent, les marques manquent de transparence sur qui sont leurs consommateurs et sur la façon dont ceux-ci trouvent leurs produits.
Ils ne savent pas grand-chose sur ce qui pousse les personnes qui finissent par acheter leurs produits à sortir leur portefeuille pour acheter un produit plutôt qu’un autre. Ce sont là des statistiques assez élémentaires que vous voulez connaître en tant que marketer ou en tant que developpeur d’un produit physique. Quel est le pouvoir d’achat de mon consommateur ? Combien de temps passe-t-il à faire des achats de produits de beauté ? Quels autres produits achète-t-il pendant la saison ? Les détaillants existants ne partagent pas ces informations avec leurs marques.
Voulez-vous dire que vous partagez ces informations avec les marques ?
Jay Hack : Nous sommes les premiers dans le secteur à avoir instauré un partenariat de partage de données. Nous sommes le premier modèle de retail à exploiter toutes ces informations sur les consommateurs qui renseignent les marques sur la manière de trouver leurs consommateurs, et ceux qui apprécieront leurs produits sur le long terme. Notre modèle, MIRA, vise réellement à démocratiser le commerce pour les consommateurs mais aussi pour les marques elles-mêmes. Ces informations sont des statistiques agrégées que nous pouvons fournir aux marques pour qu’elles fassent mieux leur travail. Et automatiquement, fournir de meilleurs produits à leurs utilisateurs.
Si Dior vend ses produits sur notre plateforme, nous pouvons le leur dire : « Parmi les personnes qui ont consulté vos pages le mois dernier, celles qui sont le plus susceptibles de se convertir sont celles qui ont vu des vidéos de femmes à la peau foncée appliquant du rouge à lèvres. Peut-être devriez-vous créer plus de contenu pour les femmes ayant ce teint, afin de stimuler la conversion ». Ou encore « La marque que vos consommateurs regardent le plus est MAC, vous devriez peut-être faire une campagne de marketing, pour essayer d’attirer les clients de MAC ».
C’est très puissant. Le plus important pour nous est la confidentialité des données. Nous ne donnerions jamais de noms spécifiques ou d’informations sur les cartes de crédit, mais seulement des données agrégées.
Peut-on dire que sur cet aspect-là, vous êtes en concurrence avec le groupe NPD ?
Jay Hack : NPD Group vous dira, dans les magasins physiques, ce mois-ci, quels types de produits les personnes achètent. Il s’agit d’un ensemble de données brutes sur le nombre de marques présentes au niveau national. Chez MIRA, nous pouvons dire à quoi ressemble le comportement des consommateurs parce que nous profitons du fait que nous sommes digitaux.
CATEGORIE BLACK-FOUNDED
En juin dernier, vous avez imaginé des moyens de promouvoir les entreprises appartenant à des Noirs. En quoi consistent ces initiatives ?
Jay Hack : Nous en avons mené deux : une initiative financière, dans laquelle nous réunissons des dons, et nous avons lancé sur notre site internet une catégorie de produits de beauté , Black Founded, regroupant les marques de cosmétiques fondées par des entrepreneurs noirs. C’est une première sur le marché. Nous nous sommes rendu compte que nos clients demandaient à ce que ces produits soient mieux exposés pour les explorer dans notre appli. Et nous sommes convaincus que nous devrions le faire, pour soutenir les marques noires elles-mêmes, pour leur donner de la visibilité.
Je suis très fière de ce que nous avons accompli en tant qu’équipe, en rassemblant des centaines de produits de soins et de maquillage créés par des Noirs. La nouvelle catégorie de MIRA BEAUTY est la plus importante de son genre avec plus de 400 produits cosmétiques. C’est le témoignage de notre joyau, un groupe de développeurs de software, de marketeurs et de passionnés de beauté, qui a pu sortir ceci en trois jours.
L’experte:
Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.
A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.
Laurence est l’une des expertes retail et beautytech de FrenchWeb, vous pouvez régulièrement retrouver ses analyses, et interview sur Decode Retail.
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