
Moyen-Orient : comment les fonds souverains redessinent la carte du pouvoir économique mondial
Moins d’une décennie. C’est le temps qu’il reste avant que les fonds souverains du Golfe ne deviennent les acteurs dominants de la gestion d’actifs à l’échelle mondiale. D’ici 2030, les fonds souverains du Moyen-Orient devraient cumuler près de 18 000 milliards de dollars sous gestion, soit une part inédite dans l’histoire contemporaine du capital international. Déjà, plus de la moitié des dix plus puissants SWFs mondiaux sont issus de la région.
Ce basculement quantitatif s’accompagne d’un changement qualitatif. Ces fonds ne se contentent plus d’arbitrer entre classes d’actifs. Ils conçoivent, financent, opèrent et interconnectent des écosystèmes économiques complets, à l’échelle régionale et mondiale. Leur stratégie dépasse la logique de diversification pétrolière. Elle vise à maîtriser les actifs critiques du monde post-industriel.
Alors que les flux d’investissement s’étendent désormais à l’énergie, au numérique, aux infrastructures physiques, à la culture, aux plateformes financières ou aux chaînes logistiques, une question centrale émerge : de quoi sera fait cet empire de 18 000 milliards de dollars dans moins de cinq ans ? Et surtout, dans quel monde économique s’inscrira-t-il ?
Un spectre d’investissement élargi et structuré
L’analyse des opérations récentes montre un déploiement méthodique dans les piliers de la souveraineté économique du XXIe siècle. Chaque fonds cible des actifs différents, mais au service d’un même objectif : constituer une infrastructure d’influence durable.
Voici, par acteur, une synthèse des investissements structurants :
Public Investment Fund (PIF – Arabie saoudite)
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- 15 % dans Heathrow Airport (2,1 Md$)
- 1 Md$ dans DAZN (streaming sportif)
- 3,5 Md$ pour Scopely, éditeur de jeux ayant racheté Pokémon Go
- 100 M$ envisagés dans Air Asia Company Limited
- Soutien à une plateforme régionale de 2 Md$ avec Brookfield
- Partenaire d’un fonds régional de 5 Md$ avec BlackRock
Abu Dhabi Investment Authority (ADIA)
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- 1 Md$ dans Qlik (data analytics), avec Thoma Bravo
- 7 Md$ pour Hargreaves Lansdown, avec CVC et Nordic Capital
- Co-investissement avec Blackstone dans Cvent (4,6 Md$)
- Participation minoritaire dans Zendesk (10,2 Md$), aux côtés de Permira et Hellman & Friedman
Mubadala (Émirats arabes unis)
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- Acquisition de CI Financial (gestion d’actifs canadienne) pour 12,1 Md$
- Participation de 2 Md$ dans Binance via MGX, entité fondée par Mubadala
- Rachat de Fortress Investment Group (SoftBank), valorisé 3 Md$
- Investissement dans Yondr Group (développeur de datacenters)
- 436 M$ dans un ETF Bitcoin en partenariat avec BlackRock
Qatar Investment Authority (QIA)
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- 2,4 Md€ dans RWE, devenant actionnaire principal
- Participation dans Celonis, valorisée 13 Md$, aux côtés d’Activant Capital et Neuberger Berman
- Soutien au projet Audi F1 en vue d’une entrée en Formule 1 en 2026
- Investisseur dans xAI (levée de 6 Md$), aux côtés de Kingdom Holding et OIA
ADQ (Émirats arabes unis)
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- Lancement d’une plateforme de 25 Md$ avec ECP (énergie et infrastructures)
- Joint-venture avec Orion Resource Partners pour les métaux stratégiques
- Acquisition de 1 Md$ d’actions nouvelles chez Sotheby’s
Une approche sectorielle structurante
Loin d’une logique opportuniste, les investissements du Golfe répondent à une stratégie sectorielle rigoureuse. On distingue cinq verticales principales :
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- Infrastructures stratégiques : aéroports, énergie, datacenters, minerais — pour ancrer durablement leur influence dans les chaînes logistiques mondiales.
- Technologies et logiciels : solutions d’analytics, process, CRM — pour capter la valeur sur les infrastructures numériques critiques.
- Ressources naturelles : énergies de transition, métaux — pour sécuriser l’accès aux intrants clés de l’économie décarbonée.
- Capital-investissement : en devenant co-gestionnaires de fonds (BlackRock, Brookfield), ils influencent les flux d’investissement globaux.
- Divertissement, sport, culture : jeux, sport, IA, art — pour étendre leur influence sur les imaginaires collectifs et la consommation mondiale.
Ces investissements ne sont pas cloisonnés. Ils répondent à une logique d’intégration transversale. En investissant dans les contenus, les réseaux de diffusion, les infrastructures physiques et les outils de gouvernance économique, les fonds du Golfe reproduisent les logiques de verticalisation déjà observées chez les grandes firmes technologiques.
Une nouvelle grammaire du capital
Ce qui se joue ici dépasse la simple réallocation d’actifs. Il s’agit d’un changement de grammaire du capital. Les États du Golfe, via leurs véhicules d’investissement, structurent des conglomérats globaux capables de maîtriser des segments entiers de l’économie : du flux d’énergie au traitement des données, du sport mondial aux métaux critiques.
L’objectif est clair, devenir non seulement les détenteurs de capital, mais aussi les arbitres des infrastructures économiques.
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