Parler: le réseau social des conservateurs américains est-il aussi libre qu’il le prétend?
AFP
A l’heure où les géants Twitter et Facebook sont exhortés à surveiller les contenus qu’ils laissent circuler, les conservateurs américains qui s’estiment censurés par ces réseaux se ruent sur la toute jeune plateforme Parler, qui met en avant la liberté d’expression. « Parler a été créée sur le principe que chacun a le droit de parler et d’être entendu », explique dans une lettre ouverte John Matze, directeur général du réseau et son cofondateur avec Jared Thomson, son ancien camarade de promotion de l’Université de Denver. Leur credo: « nous refusons les censeurs et la censure », ajoute-t-il.
La plateforme, fondée dans le Nevada en 2018, se veut une alternative à la «répression idéologique» sur les autres réseaux. Les suggestions de comptes à suivre regorgent de politiciens et commentateurs républicains conservateurs, et de supporteurs de la campagne de réélection du président Donald Trump. Son fils Eric Trump y est d’ailleurs présent, de même que le sénateur républicain Ted Cruz, un proche du président. M. Cruz a expliqué être un nouvel utilisateur de Parler, qui « permet la liberté d’expression ». Parler n’est pas le premier réseau social créé en réaction à ce que ses fondateurs considèrent être un partis pris politique; il suit le succès limité de Gab et Voat, qui ont pour objectif de permettre aux conservateurs de s’exprimer hors des plateformes grand public. Mais le chemin vers le succès financier est pavé de difficultés pour la toute jeune plateforme, dans l’ombre des géants de la Silicon Valley qui absorbent l’essentiel des revenus publicitaires. John Matze a expliqué au magazine Forbes vouloir gagner de l’argent en associant des annonceurs à des conservateurs influents présents sur le réseau.
Sectarisme, haine et désinformation
Pas question pourtant de s’en tenir à un seul bord politique: Parler veut s’ouvrir à d’autres voix, a dit sur CNBC John Matze, qui a promis une « récompense » de 20 000 dollars à tout expert ou experte ouvertement de gauche, qui compterait 50 000 abonnés sur Twitter ou Facebook et ouvrirait un compte sur Parler. Une plateforme qui mise sur un seul bord « ne peut pas réussir », car chaque parti veut parler à l’autre, selon Shannon McGregor, professeure et spécialiste des réseaux sociaux à l’Université de Caroline du Nord. Pour Adam Chiara, professeur à l’Université de Hartford, Parler offre ce que ses concurrents tentent d’éliminer, une plateforme pour le sectarisme, la haine et la désinformation. Les mots racistes et antisémites pullulent dans les comptes et les commentaires, et des utilisateurs revendiquent leur appartenance à la mouvance d’extrême droite « Boogaloo », qui promeut la guerre civile et a récemment été bannie de Facebook.
Une «flexibilité maximale dans l’interprétation»
Parler n’a pas donné suite à la demande d’interview de l’AFP, mais John Matze a détaillé la raison d’être de la plateforme dans un post. « Nous rejetons le technofascisme et ceux qui pensent être les seuls arbitres de la vérité», a-t-il affirmé. « Nous rejetons leurs comités éditoriaux biaisés, nous rejetons leurs ‘fact-checkers’ et nous rejetons la censure », a-t-il ajouté. Toutefois, n’importe quelle publication sur Parler peut être supprimée, pour « n’importe quelle raison ou sans raison ». La plateforme interdit les images de matières fécales, les grossièretés, la pornographie, les noms d’utilisateurs obscènes ou les photos de parties génitales masculines.
Les menaces de mort sont également interdites, de même que les spams, les « organisations terroristes » et « toute insulte directe et personnelle avec l’intention de contrarier le destinataire », y compris les commentaires « qui conduiraient à la violence ». « Parler ne semble pas être aussi libre qu’il le prétend », relève Shannon McGregor, soulignant que ses « lignes directrices sont aussi vagues que celles de Facebook et Twitter », et qu’elles permettent à la plateforme une « flexibilité maximale dans l’interprétation ».