Pas d’expérience client sans reconnaissance tangible
Il y a quelques jours de cela j’ai reçu un mail très agréable de Uber me remerciant de ma fidélité. Il y a pleins de petits services qu’on utilise au quotidien comme ça et à propos desquels on du mal d’évaluer la volumétrie de nos usages tellement ils sont devenus transparents. Même moi je me suis dit «Ah…quand même».
Ma réaction a été double.
D’abord je me suis dit «Au moins ils savent dire merci à leurs clients». L’air de rien tout le monde ne le fait pas.
Ensuite je me suis rappelé de ma réaction face à un de leurs concurrents français, Chauffeur Privé, que j’utilise beaucoup plus modérément, par habitude ou, justement, manque d’habitude. Chauffeur Privé propose un programme de fidélité, un peu à l’image des compagnies aériennes. Et mon réflexe, comme à beaucoup de mes proches, avait été de se dire «quand tu vois le nombre de voyages à faire pour avoir quelque chose on y arrivera jamais». C’est pour cela que le programme de fidélité n’a pas été différenciant à nos yeux.
«Merci» ne gagne pas face à un vrai programme de fidélité
Ce mail de Uber a donc, finalement, principalement servi à me rendre compte qu’à fidélité égale j’aurais eu plus d’avantages et de reconnaissance ailleurs. Je serai même «platinum». A la limite ils m’ont remis leur concurrent en tête. Pas sur que ce soit l’effet escompté de leur mail. En effet dire merci c’est bien mais quand la reconnaissance ne s’accompagne de rien de tangible, le client peut ressentir une certaine frustration.
C’est d’ailleurs ce qu’ont du se dire les gens de chauffeur privé qui, dès le lendemain, envoyaient ce mail à leurs clients.
Cette technique est bien connue dans le monde de l’aérien: il s’agit du status match. L’idée est de viser les meilleurs clients d’un concurrent en leur disant: «nous n’avons pas d’historique ensemble, pas de problème. Nous vous accueillons dans notre programme de fidélité au même niveau que celui dont vous bénéficiez dans votre programme actuel. Pas besoin de passer un an sans avantages le temps de l’acquérir». Une manœuvre qui ne coûte pas grand chose dans la mesure où elle vise à ramener des clients qui dépensent largement plus que la moyenne et de les aider à sauter le pas.
Un ami a essayé de répondre au email de Uber pour leur faire remarquer leur bévue. Bien sur, sans surprise, il n’y personne à la réception.
Quand l’expérience commence à vraiment en prendre un coup…
Uber à ouvert la boîte de Pandore… les clients vont-ils en profiter?
Que s’est il passé. Uber à joué la carte de la «thank you economy» mais à découvert. Le message aurait porté si Uber proposait un programme de fidélité comme ses concurrents et que le «merci» s’appréciait toutes choses égales par ailleurs mais ça n’est pas le cas.
Uber a fait germer dans la tête de ses clients l’idée qu’ils étaient peu payés en retour pour leur fidélité. Et a donné à ses concurrents un argument massue, tangible et chiffré pour aller les débaucher. Si Chauffeur Privé avait communiqué directement à propos de son programme de fidélité ça n’aurait eu qu’un succès limité car tout le monde se dit «oh je ne voyage pas assez». Uber a donné les chiffres qui ont permis la contre attaque de leur concurrent.
Quand sur un sujet (la loyauté ici) on est en dessous des concurrents, on évite d’évoquer le sujet en public même si c’est une belle opportunité de communication.
La communication ne se substitue jamais au service
Une fois de plus on a donc la preuve que la communication ne se substitue pas au produit et au service et que le plus beau des messages, la plus belle des intentions, finit par se heurter au principe de réalité.
Il serait intéressant de connaitre le nombre de «transfuges» qui ont ainsi sauté de pas. Visiblement le nombre m’a l’air conséquent à ce que j’entends autour de moi.
Comment Uber peut il rattraper sa bourde?
- en créant un vrai programme de fidélité qu’on attend tous depuis des années. Mais ça n’est surement pas prévu dans le business plan. Et en termes de communication le mal est fait.
- en faisant savoir que chauffeur privé n’a pas la même base de chauffeurs qu’eux ? La plupart des chauffeurs sont inscrits sur les deux plateformes.
Le client veut des formes tangibles de reconnaissance
Bref il y a des choses à faire pour l’avenir sur les services ou les choses à dire ou ne pas dire en communication mais pour le présent je pense que le mal est fait et qu’on est face à un cas d’école, tant pour la maladresse de l’un que la réaction de l’autre.
Il ne reste plus qu’à voir combien vont bouger et si le niveau de service et la disponibilité des voitures les incite à rester où à faire machine arrière. Mais quoi qu’il en soit, je pense que la question de formes tangibles de reconnaissance est désormais dans l’air et va y rester.
En plus, quand on sait en plus les relations « tendues » qui existent entre Uber et ses chauffeurs en ce moment, un exode des clients vers une plateforme aux pratiques différentes pourrait être même bien vue par les chauffeurs qui pourraient suivre le même chemin, voire pousser les clients à sauter le pas.
Le fan est devenu un consommateur
Ce que cela m’enseigne également est que les clients de ce type de services sont en train de devenir murs. Pourquoi utiliser Uber et pas un autre? Parce qu’on est client du leader, pas d’un copy-cat. Parce que c’est donc statutaire. Parce qu’on est prêt à passer beaucoup de choses à Uber parce qu’ils ont été les premiers et qu’on ne peut pas ne pas les défendre envers et contre tout et tout leur passer sous peine d’avoir l’air passéiste et rétrograde.
Mais les temps changent. Les clients ne sont plus des fans mais des consommateurs. Et le consommateur connait les règles du secteur. «Si je ne gagne pas de points et n’ai rien de tangible en retour de ma fidélité je vais voir ailleurs».
De plus en plus les leaders de la Uber economy, économie du partage ou économie à la demande (selon les goûts) vont faire face à un marché de plus en plus mur qui ne fonctionnera plus seulement à coup d’effet Hype et d’affect.
Derrière tout cela il y également un autre sujet. Sur certains marchés murs (comme les grandes agglomérations comme Paris par exemple), le réflexe «VTC» est désormais bien installé. Pendant 4 ans il a fallu convertir des clients à un produit nouveau, il fallait créer le marché. Aujourd’hui le marché est mur et existe, et ce qui compte de plus en plus c’est de garder les clients. Les acteurs du secteur vont devoir passer d’une logique principalement axée sur l’acquisition des clients à leur rétention et la brique fidélité jusque là inexistante chez la plupart d’entre eux va devenir le nerf de la guerre.
Tiens… et pourquoi pas demain un Status Match d’Accor, Marriott ou IHG sur AirBnb. Chiche?
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
Lire aussi:
- La révolution de l’expérience client est-elle en marche?
- Jusqu’où l’expérience client réinventera-t-elle le marketing?
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023