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Peut-on taxer Google sans se tirer une balle dans le pied ?

Alors que la Commission européenne envisage de frapper les revenus publicitaires des plateformes américaines en réponse à l’escalade tarifaire déclenchée par Donald Trump, une question stratégique s’impose : l’Europe peut-elle cibler les Big Tech sans compromettre ses propres intérêts économiques, industriels et numériques ? Derrière l’apparente symétrie des mesures de rétorsion, le risque d’effet boomerang est bien réel.

Une mesure inédite : le tarif, pas la taxe

La proposition défendue par Ursula von der Leyen diffère fondamentalement des dispositifs fiscaux traditionnels. Il ne s’agit pas d’une taxe numérique votée par un État membre (comme en France ou en Italie), mais d’un tarif commercial appliqué à l’échelle du marché unique sur les revenus issus de la publicité en ligne.

Le fondement juridique de cette approche repose sur l’instrument anti-coercition de l’UE, qui autorise une réponse proportionnée à des pressions économiques étrangères. En ciblant les revenus publicitaires, la Commission choisit un levier symbolique et stratégique : ces flux financiers alimentent la domination des géants américains sur le marché numérique européen.

Une dépendance européenne massive

Mais frapper ces revenus, c’est aussi frapper un écosystème dont dépendent des milliers d’acteurs européens. Plus de 90 % du marché publicitaire en ligne dans l’UE est contrôlé par Google, Meta et Amazon. Les entreprises européennes — startups, e-commerçants, PME — utilisent quotidiennement leurs outils pour générer des ventes, recruter, ou simplement exister en ligne.

Réduire la rentabilité de ces plateformes pourrait mécaniquement conduire à une hausse des prix publicitaires, une baisse de la visibilité des petits annonceurs, voire une restructuration de certains marchés B2C. En taxant l’infrastructure dominante du numérique, l’UE prend le risque d’en pénaliser les utilisateurs européens avant d’en freiner les propriétaires américains.

Un arbitrage géopolitique assumé

La logique de la Commission est claire : répondre aux attaques commerciales américaines là où elles font le plus mal. Le président Trump, en excluant les services des comptes extérieurs de son pays, néglige le fait que les États-Unis engrangent chaque année des excédents substantiels sur les services numériques vendus en Europe.

En ciblant ces excédents, Bruxelles veut établir un rapport de force plus équitable. Mais cette stratégie suppose un consensus interne et une résilience politique forte, car les intérêts divergents entre États membres peuvent fragiliser l’initiative. L’Irlande, où Google et Meta ont leurs sièges européens, pourrait par exemple opposer une résistance directe ou indirecte à l’application uniforme de cette mesure.

La fragilité d’un rapport de force asymétrique

L’Europe n’a pas d’équivalent à Google ou Meta. Aucun acteur continental ne dispose d’une emprise comparable sur les flux publicitaires, les données comportementales ou les outils de ciblage. Frapper ces plateformes, c’est aussi reconnaître une dépendance structurelle à des outils extra-européens, sans alternative crédible à court terme.

Sauf à provoquer une accélération forcée de l’investissement dans des alternatives souveraines — ce qui nécessiterait des moyens financiers et une coordination politique à grande échelle —, l’effet immédiat d’une telle taxation serait d’alourdir le coût d’accès au marché numérique européen pour ses propres entreprises.

Une stratégie par défaut faute d’options technologiques

La taxe publicitaire envisagée relève autant de la riposte politique que de la stratégie de substitution. L’Europe, sans géant technologique dans la publicité programmatique ou les moteurs de recherche, n’a d’autre choix que d’utiliser le levier réglementaire pour influencer la répartition de la valeur. Mais sans capacité à se substituer aux outils existants, cette posture reste fragile.

📌 Take away

    • Le tarif envisagé viserait les revenus publicitaires des Big Tech sur le marché européen.
    • Il toucherait indirectement les entreprises européennes qui dépendent de ces plateformes.
    • Il révèle la dépendance stratégique de l’UE à des infrastructures numériques qu’elle ne contrôle pas.
    • L’efficacité de la mesure dépendra du consensus politique et de la capacité à amortir les effets économiques secondaires.
    • À défaut de souveraineté technologique, l’UE utilise le levier commercial pour rétablir un équilibre de puissance.
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