Pourquoi la French Tech a aussi besoin d’investisseurs français ou européens?
AFP
Les levées de fonds record montrent que les jeunes pousses technologiques françaises sont aussi attractives que leurs voisines européennes, mais la France ne rattrapera son retard qu’en comptant sur son propre réseau d’investisseurs, analyse Philippe Tibi, auteur d’un rapport en 2019 qui a largement inspiré la politique menée sur le sujet. Trois start-up françaises ont annoncé coup sur coup cette semaine des levées d’un total d’1,2 milliard d’euros. Parmi elles, le jeu Sorare d’échange en ligne de vignettes de joueurs de football signe un tour de table record de 580 millions d’euros après seulement trois ans d’existence.
« C’est très bien qu’en France on voie désormais des levées de ce niveau, c’est une marque d’ambition, car on ne lève pas ce type de montant si on n’a pas des ambitions européennes ou mondiales », explique Philippe Tibi. Ce professeur de finance à l’école Polytechnique, ancien président de l’association française des marchés financiers, reconnait que l’afflux actuel de capitaux n’est pas propre à la France ni même à l’Europe : le « phénomène mondial de financement par le capital-risque est accéléré par les rendements obligataires négatifs. Il y a une ardente obligation à rechercher des sources de rendement ».
La France a ainsi rattrapé l’Allemagne l’an dernier, en terme de montant cumulé des levées de fonds, rappelle-t-il. Et la French Tech, qui a levé au premier semestre presque autant de fonds qu’en 2020, vise désormais 10 milliards d’euros sur l’année complète. « Les fonds américains se sont intéressés plus tardivement aux entreprises de notre pays qu’à celles en Allemagne ou au Royaume-Uni. Mais dans l’UE, on est désormais dans le train du financement à haut niveau », dit M. Tibi.
Rivaliser avec les gigantesques fonds américains ou asiatiques
En revanche, il est temps selon lui de s’intéresser également à la nationalité de l’investisseur, et de créer un réseau de financiers français ou européens capable de rivaliser avec les gigantesques fonds américains ou asiatiques. « C’est un facteur de souveraineté et de conservation des entreprises sur le continent ». Sorare et la plateforme de mode de seconde main Vestiaire Collective ont tous deux ouvert cette semaine leur capital au très actif conglomérat japonais SoftBank, qui place une partie des fonds de l’Arabie Saoudite, désireuse de diversifier son économie.
Le tour de table de l’éditeur de logiciel Mirakl a lui été mené par le fonds américain Silver Lake et ne compte qu’un seul français : Elaia Partners. « Aujourd’hui, on a deux fonds en France à plus d’un milliard d’euros (dédiés au dernier stade de croissance des entreprises tech) : Eurazeo et Tikehau », alors que l’objectif serait plutôt d’une dizaine, et « qui comprennent la technologie », plaide Philippe Tibi. Les institutionnels français ont d’ailleurs promis de fournir six milliards d’euros à des fonds que M. Tibi est chargé de sélectionner depuis début 2020, dans l’objectif de collecter au total 30 milliards d’euros grâce à un effet de levier auprès d’investisseurs étrangers.
Une « bulle pas dangereuse »
Cet élan ne risque-t-il pas de constituer une bulle spéculative ? Peut-être, mais « cette bulle n’est pas dangereuse », défend M. Tibi. « Les bulles qui font mal quand elles explosent sont celles financées par la dette. On n’est pas du tout dans ce cas de figure. » Après les 25 licornes en 2025 -des entreprises valorisées plus d’un milliard, un objectif en passe d’être atteint et qui sera probablement dépassé-, le nouveau défi du gouvernement est d’envoyer avant cette échéance une start-up de la French Tech au CAC 40. L’introduction en Bourse en France reste un pari compliqué, auquel s’est récemment frotté le compétiteur des majors musicales Believe, dont le titre n’est pas encore revenu au cours d’introduction.
« C’est une opération qui n’a pas eu le succès que ses promoteurs escomptaient », admet M. Tibi, mais elle fait partie « d’un flux d’introductions qui j’espère se passeront dans de meilleures conditions à l’avenir ». « Ça peut aller relativement vite. Dans les semestres et années qui viennent, il y aura de plus en plus d’IPO de grande taille en Europe, ou des doubles cotations » avec les États-Unis, veut croire M. Tibi. Construire cet écosystème d’acteurs financiers prend du temps et n’est pas très visible, mais d’après lui, « c’est une marée montante ».
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