Pourquoi le brand content se plante
Je lis régulièrement que 25% du budget marketing des entreprises est désormais alloué à la production de contenus. Agences et éditeurs de logiciels directement concernés par cette tendance, nous devrions donc nous réjouir. Sauf qu'en portant un regard attentif emprunt d'une pincée d'objectivité, il semble tout de même que les résultats promis ne soient pas toujours au rendez-vous.
Deux exemples permettent d’illustrer simplement ce constat. Parlons tout d’abord de Coca-Cola Journey. Malgré des investissements colossaux, ce magazine en ligne ne s'est jamais hissé dans le top 10.000 des sites aux Etats-Unis. De même, seulement trois marques apparaissent dans le top 500 des chaînes YouTube les plus populaires au monde. Ainsi, le territoire digital ne serait pas si simple à apprivoiser par les entreprises et manifestement (et c'est heureux) il ne suffit pas de le submerger de dollars et de contenus pour amadouer le succès.
Qu’est-ce qui cloche chez les marques?
Au risque de perturber mes pairs, je dirais que je suis plutôt d'accord avec la critique qui monte à propos des stratégies de contenu menées par les marques, et ce pour trois raisons majeures:
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Brand content vs Content marketing. On confond encore beaucoup trop «brand content» (de la publicité sous forme d'histoires conçues pour pousser des produits) et «content marketing» (des contenus répondant à une ligne éditoriale précise, conçus pour être utiles et pour intéresser une audience). Nuance qui a son importance au moment du jugement par l'internaute.
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Vieux réflexes. Trop souvent l'annonceur n'ose pas aller au bout de la démarche et les vieux réflexes de communication corporate égratignent pas mal de contenus, de lignes éditoriales ou d'opportunités de sujets. En effet, pour que cela fonctionne, la marque doit accepter l'ouverture, ne pas parler que d'elle, ne pas trembler devant tout ce qui pourrait lui arriver dans une conversation et se rendre disponible et agile pour s'adapter à la communauté et à l'actualité. La «bureaucratie de la marque» est en effet trop souvent ce qui tue les initiatives bien nées. Vouloir intéresser une communauté est une véritable posture, une attitude au quotidien à incarner qui dépasse le simple plan de communication.
- La quantité avant la qualité. Pour ne rien arranger, il est fréquent que la qualité des contenus concernés soit médiocre voire dramatiquement nulle. La frénésie collective poussant à rechercher le plus de volume possible, on est submergé de contenus qui se ressemblent tous, pas très bien écrits et cruellement en manque de profondeur parce qu'ils ne reposent pas sur des interviews d'experts ou sur des enquêtes sérieuses. À vouloir payer une misère des tonnes de contenus, on appauvrit sa valeur et l'attention du lecteur diminue. C'est typique d'un système qui s'emballe, le bruit devient énorme et dissonant, et les auditeurs se détournent…
Comment s'y prendre pour mieux faire?
Des idées prolifiques (et parfois onéreuses), les agences n'en manquent jamais! C'est même leur métier. Pour trancher entre leurs propositions, je suggère aux marques de respecter ces trois règles d’or.
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Penser «communautés». Paradoxalement les approches du secteur B2B seraient bien à prendre pour exemple. Si ce n'est pas ce segment qui est généralement le premier à expérimenter les innovations en matière de marketing et de communication, il a le mérite d'être très pragmatique (comprendre très porté sur le ROI) et d'être très soucieux de la qualité et de la pérennité du lien tissé avec ses communautés d'acheteurs, moins nombreuses qu'en B2C mais toujours extrêmement bien définies. Toute démarche devrait ainsi débuter par l'étude et la compréhension des communautés vitales pour la marque et des profils qui les composent (les fameux «personas»).
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Appliquer la «théorie de l'aide». En B2B, la notion de «contenu intéressant» pour une audience aux centres d'intérêts communs est donc assez claire et tient dans la réponse à une seule question clé: est-ce que je suis vraiment en train d'aider mon interlocuteur à réussir dans sa mission quotidienne? En partant de cette définition du content marketing on mesure combien le brand content à outrance et tous azimuts est une impasse héritée de l'ère des médias de masse.
- Entretenir la «connivence métier». Toujours en B2B, à quelles conversations de qualité peut-on prétendre si le point de départ, le contenu, n'est pas suffisamment profond et légitime? La communauté visée est au boulot, elle ne prendra pas le temps de s'arrêter pour de la publicité déguisée ou pour un article bourré de banalités aux yeux des professionnels du sujet. Comment susciter la participation à des ateliers de co-conception produit si les interlocuteurs ne se sentent pas en présence des meilleurs de leur profession? Créer et entretenir la connivence métier est donc un facteur majeur de réussite et cela ne se gagne pas à coup de pub car cela doit sonner vrai, documenté, et incarné.
A retenir pour ne plus se planter
Nous vivons une bulle sur le marché du marketing digital, c'est indéniable. Une bulle qui autorise tout et n'importe quoi en matière de contenus pourvu que cela fasse du volume. Alors gare à la saturation en 2017 et éduquons le marché pour que le content marketing permette véritablement d’engager une relation de valeur entre les lecteurs et les marques.
Ce post, sans en être un commentaire exhaustif, est une réaction à l'article inspirant d'Hervé Monier de Brand News, qui faisait lui-même écho à la parution de Douglas Holt titrée "Le branding à l'ère des réseaux sociaux" et parue dans la Harvard Business Review (édition française août-septembre 2016).
Paul Perdrieu a créé la société Noheto à l'âge de 29 ans, un des éditeurs de logiciel pionniers de la gestion de contenu Web des années 2000. Après avoir rapproché cette entreprise de l'éditeur Wedia aujourd'hui leader du MRM (Marketing Resource Management) coté sur Alternext, Paul fonde Cleantech Republic en 2009, un média pure player et une place de marché dédiés aux éco-innovations, puis Okédito en 2015, une agence de content marketing spécialiste du B2B.
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Hello Paul,
Complètement en phase sur :
– les risques de la sur-promesse autour du marketing de contenu
– les limites de certaines initiatives pourtant bien financées mais trop centrées « marque » et pas assez communautés et audiences.
Mais, à mon sens, ce n’est déjà plus le principal challenge de 2017 (même si ce genre de travers va encore persister longtemps). Le sujet aujourd’hui est : comment émerger du bruit ambiant, de la saturation ?
Le fameux « content shock » théorisé il y a 3 ans est désormais une réalité. Résultat : il ne suffit plus de produire des contenus utiles / intéressants / pertinents pour réussir sa stratégie de contenu. C’est une condition clé mais insuffisante. Le nerf de la guerre, c’est la distribution de ces contenus. D’où le nombre de publications actuelles sur l’air de « produisons moins, distribuons mieux ». Et, sur ce sujet, pas de recette miracle, il va falloir tester beaucoup pour apprendre un peu…
En résumé : laisser entendre que la qualité des contenus assurera le retour sur investissement relève aussi de la sur-promesse. Le « brand journalism » (notion qui sonne moyennement à mes oreilles mais bon…) ne sauvera pas le marketing de contenu, en tout cas pas à lui seul. D’autres talents/compétences vont être requis mais… c’est un autre sujet ;-)
Bonjour Cyril,
Ton complément est parfaitement pertinent. Oui, la qualité du contenu et une vraie démarche de content marketing sincère sont des prérequis mais il ne faudra pas oublier de mettre de l’énergie (sincère elle aussi) pour apporter ces contenus au bon moment devant les bonnes communautés. La démarche est un tout, elle commence par une bonne stratégie et une exécution bien suivie jusqu’à la distribution, avec des parcours (nurturing) qui nécessiteront certainement d’être ajustés en permanence. comme tu dis, c’est un autre sujet. Et si on en faisait un petit article à 4 mains ? ;-)
Hé hé, why not ;-)
envoyez-nous cela messieurs why not :)