Pourquoi les start-up de l’IoT n’ont pas encore remporté la bataille des hypermarchés
La Secrétaire d’Etat au Numérique s’est à juste titre félicitée sur Twitter de la signature avec les enseignes de la grande distribution en faveur des objets connectés français. Les enseignes se sont engagées à vendre sur leurs étals les objets connectés produits par les sociétés de la French Tech. Dans la presse, les titres flatteurs n’ont pas manqué: «Les objets connectés forcent la porte des grands magasins» «Quand la grande distribution soutient la French Tech», «Huit distributeurs signent une charte pour distribuer les objets connectés de la French Tech»
Faut-il se réjouir de cette «Charte d’engagement pour les enseignes de distribution»? Evidemment, c’est une bonne nouvelle et un pas en avant pour la FrenchTech. Cela n’empêche pas de lire la charte – une fois que l’on a réussi à la trouver– pour voir de quoi il retourne exactement.
Côté Start-up, un marché de 10 millions de consommateurs
Avoir son produit sur les étals de la grande distribution peut paraître comme le Saint Graal pour de nombreuses start-up. Elles sont d’ailleurs « plus de 40 » à faire partie de cette nouvelle charte. Malheureusement, si elles sont toutes réunies au sein d’une autre « charte d’engagement pour les producteurs d’objets connectés », nous avons été bien incapables de trouver une liste précise des sociétés concernées. Faut-il supposer que la seule condition est d’être une société française qui produit des objets connectés? Premier point de confusion.
Mais quelles start-up?
Bien malin celui qui pourra dire qu’elles sont les start-up concernées par ce dispositif ou même comment le rejoindre. Nous retrouverons sans aucun doute les géants de l’objet connecté, Withings, Netatmo, Parrot, Holî, Giroptic mais quid des autres? La charte impose aux distributeurs la sélection de 5 start-up par an, cela en laisse potentiellement « plus de 35 » sur le carreau. Car la distribution n’aime pas le risque, cela ne fait pas partie de son métier d’en prendre. Et pour se voir attribuer 1 mètre carré de surface de vente, vous avez intérêt à avoir de sérieux arguments et une expérience de vente convaincante (comprendre rentable pour le distributeur).
Tout cela ne répond d’ailleurs toujours pas à la question, qui sera sélectionné et par qui? Nous pouvons simplement prendre note que le comité de gouvernance de cette opération est uniquement composé de distributeurs qui se réuniront au mieux quatre fois par an. Rien ne les oblige d’ailleurs à sélectionner chaque année de nouvelles start-up. La FrenchTech étant un label géré par le gouvernement, il reste finalement bien peu de place pour les start-up.
Soyons optimiste, cette opération n’a qu’une semaine et les conditions d’accès seront probablement clarifiées dans les mois qui viennent. L’esprit «FrenchtTech» inclura t-il les entreprises n’ayant pas la force de frappe d’un Parrot? L’avenir nous le dira.
Pour les heureux chanceux
Les start-up qui auront réussi à faire intégrer leurs produits à cette opération annuelle vont profiter de nombreux avantages. D’abord en terme de vente. Sur Internet, l’opération FrenchTech sera mise en avant, au moins une semaine, sur la page d’accueil des distributeurs. Ils représentent une audience non consolidée de 30 millions de visiteurs uniques par mois, ce n’est pas négligeable. Bien que la charte n’impose que la sélection de 5 produits, il est à espérer que les catalogues online soient mieux fournis. Ajouter 5 ou 50 produits online ne change pas grand chose en terme de coût, c’est ici que les start-up plus modestes ont une carte à jouer.
Les start-up doivent cependant garder à l’esprit que les taux de conversions sur les sites e-commerce de la grande distribution (Carrefour, Auchan et E. Leclerc en tête) sont relativement éloignés de ceux des pures players. C’est une chose d’être vue, s’en est une autre d’être acheté. Les start-up auront donc tout intérêt à superviser de près cette mise en avant online sur l’ensemble de l’opération. Encore une fois, dommage qu’ils ne soient pas à la gouvernance.
Pour les ventes en brick’n’mortar, ça se complique. Pour le coup, présenter 5 ou 50 produits entraîne une dépense très largement supérieure. Que ce soit dans une boutique Orange de 100 mètres carré ou dans un hypermarché cent fois plus grand, la rentabilité au mètre carré est mesurée avec soin et les exigences sont drastiques. Pour l’exemple, un hypermarché attend un chiffre d’affaires d’environ 15 000 euros par an par mètres carré. Un peu moins en province et plus en région parisienne, le choix des cinq magasins sera donc capital. Il est encore à espérer que les start-up auront leur mot à dire sur ce choix.
Quoiqu’il en soit, aucune start-up d’objets connectés ne doit compter sur cette charte pour faire exploser son chiffre d’affaires. Ceux qui vendent déjà beaucoup vendront plus et pour ceux qui se lancent sur le marché, le parcours du combattant devrait rester peu ou prou identique.
Une expérience formatrice
Le plus intéressant pour les start-up dans cette charte reste finalement l’accompagnement. La distribution s’engage en effet, pour les cinq entreprises sélectionnées, à les aider à préparer cette commercialisation durant l’année.
Le marché des objets connectés reste assez jeune, Parrot date de 1994 quand Carrefour fût crée en 1960. Ce sont donc des années d’expérience de vente à grande échelle qui s’ouvre aux différentes start-up. Manufacture, logistique, pricing… les secteurs où les start-up vont pouvoir bénéficier d’une expérience solide sont nombreux. Il y en a d’ailleurs un, rarement cité, c’est l’internationalisation des ventes. Cela devrait prendre quelques années, mais n’oublions pas que certains distributeurs (Auchan, Carrefour, Orange) disposent de points de ventes dans tous les coins du globe. Si l’expérience se montre concluante en France (rentable), les distributeurs pourront ouvrir leurs magasins dans d’autres pays et seront probablement disposés à tester le marché. On en est loin mais c’est une raison supplémentaire de se réjouir de cette charte.
Enfin, même si la charte n’impose une présence que dans 5 points de ventes (pour près de 8000 tous distributeurs confondus), la fréquentation de chacun de ces points de ventes est colossale. Cela permettra aux start-up d’avoir un retour client sans commune mesure de la part d’un panel large, qui ne fait pas partie de leurs cibles de prédilection. Ces mêmes start-up qui devront former les vendeurs du rayon à l’usage de leurs produits. Finalement, heureusement qu’il n’y a que 5 points de ventes car la formation coûte cher en temps et en argent.
Formatrice mais dure
Les start-up qui auront la chance d’être distribuées par ces grands groupes vont beaucoup apprendre. Reste à voir de quelle manière. Bien évidemment, cette charte est signée dans un esprit d’entraide et d’accompagnement. Mais les start-up ne doivent pas oublier que la grande distribution ne tolère pas l’à peu près.
D’après notre expérience, il faut en moyenne 6 mois pour signer un contrat – avoir le chèque est encore une autre histoire – avec la grande distribution. D’abord parce que vous êtes rarement un sujet prioritaire pour eux, ensuite parce que vous devez montrer que vous êtes le meilleur dans ce que vous faites. S’il faut refaire quinze fois le packaging avant d’avoir le bon de distribution, vous devrez refaire quinze fois le packaging. Et peu importe si cela doit vous coûter 15 000 euros c’est votre problème, pas celui du distributeur. Et n’espérez évidemment pas répercuter ces coûts sur les prix d’achats. Pour une simple et bonne raison, c’est que la personne qui valide les packagings n’est pas du tout la personne qui fixe les prix d’achats. Il y a même toutes les chances qu’elles ne se parlent pas. Bienvenue dans la grande distribution.
Lorsque vous discutez avec un groupe dont l’organigramme fait la taille d’un annuaire, partez du principe que votre interlocuteur n’a que faire de votre entreprise. Ce qui l’intéresse lui, c’est de se mettre en avant auprès de sa hiérarchie. Votre seul objectif est de l’aider dans cette tâche et donc de lui mâcher le travail afin qu’il puisse présenter un projet qui lui donne de la valeur sans lui prendre de temps. La tâche est ardue, les passe-droit excessivement rares.
L’objectif de cette charte est justement de simplifier ces processus afin de faciliter l’intégration aux catalogues pour les start-up. Les signataires de cette charte sont-ils les signataires des contrats de distribution? Réponse dans 6 mois minimum.
Pierre Aurèle Martin travaille depuis près de 10 ans dans l’e-commerce où il accompagne des grands comptes dans le développement de leurs ventes. Spécialisé ces dernières années dans l’analyse comportementale pour la grande distribution, il a récemment fondé ZOKS Media qui accompagne ces mêmes entreprises dans leur communication digitale.
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