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Propriété intellectuelle : pourquoi les plateformes veulent l’abolir

Jack Dorsey, cofondateur de Twitter et de Block, a récemment appelé à « supprimer toutes les lois sur la propriété intellectuelle ». Elon Musk a répondu immédiatement : « Je suis d’accord. » Cette déclaration, autrefois perçue comme une provocation marginale, intervient aujourd’hui dans un contexte où ces deux figures influencent directement les politiques publiques américaines. Elle mérite une attention stratégique.

Car au-delà du slogan, l’appel à abolir les protections IP n’est pas un plaidoyer pour la liberté créative. C’est une tentative de neutraliser les contraintes légales qui freinent la captation industrielle de contenus à grande échelle, en particulier par les systèmes d’intelligence artificielle.

L’IA comme déclencheur

Ce débat émerge alors que plusieurs entreprises d’IA — dont OpenAI et Stability AI — font face à une série de procès pour violation de droits d’auteur. Les modèles de langage et d’image générative ont été entraînés sur des corpus massifs, souvent sans autorisation. La suppression des lois IP permettrait de généraliser ces pratiques sans limites ni redevances.

C’est dans ce contexte que des leaders de la tech cherchent à discréditer la propriété intellectuelle, en la présentant comme un système obsolète. Mais leurs propres entreprises ont toutes reposé sur des protections IP : brevets logiciels, marques déposées, contrats de licence.

Un faux dilemme

L’opposition entre un droit d’auteur figé et une économie numérique fluide est un écran de fumée. La véritable fracture n’oppose pas le progrès à l’archaïsme, mais la captation sans compensation à la protection des individus. Supprimer la propriété intellectuelle ne libère pas les créateurs : cela les désarme.

Les modèles open source, souvent brandis comme solution, reposent eux-mêmes sur le droit. Ils permettent aux auteurs de décider comment partager leur œuvre. Sans cadre légal initial, il n’y a rien à ouvrir ni à protéger.

De la précarisation à la dépossession

Un monde sans IP, ce n’est pas un écosystème libre. C’est un marché dérégulé où les plateformes deviennent les uniques bénéficiaires de la création humaine. Les œuvres peuvent être copiées, les visages clonés, les voix synthétisées sans consentement. L’auteur n’a plus de levier, plus de recours, plus d’existence juridique.

La précarisation des professions créatives — écrivains, illustrateurs, comédiens, développeurs — s’accélérerait. La distinction entre contenu humain et sortie algorithmique deviendrait indiscernable. Le résultat : une dilution de la valeur, une désinformation renforcée, et une invisibilisation de ceux qui créent.

Réformer, pas abolir

La propriété intellectuelle doit être réformée : les procédures sont complexes, les rapports de force déséquilibrés, la captation par les majors réelle. Mais l’abolir revient à abandonner toute protection au profit d’acteurs qui maîtrisent déjà l’infrastructure.

Les plateformes veulent supprimer le droit pour instaurer leur propre règle. Ce n’est pas une révolution. C’est un transfert de pouvoir.

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