Chose incompréhensible, à peine croyable : alors que la création de valeur est la priorité n°1 de tout entrepreneur et de tout investisseur, je n’ai pas le souvenir d’avoir lu un seul article, aussi bien en français qu’en anglais, sur le sujet. Tachons donc de réparer cette grave lacune. Pour bien saisir cette notion de création de valeur pour une start-up, il faut remonter à la création de l’entreprise.
Des personnes physiques se réunissent et décident de créer une entreprise, qui est ce que l’on nomme en droit une personne morale. Elles lui donnent un nom : la raison sociale, une adresse : la domiciliation, une tête : le dirigeant, et de l’argent : le capital social.
En contrepartie de cet argent, ces personnes reçoivent des parts de l’entreprise, qui sont pour ainsi dire des titres de propriété. Elles ont une valeur fixe, par exemple 5€. Les personnes ayant ainsi investi leur argent sont propriétaires de l’entreprise à proportion du nombre de parts qu’elles détiennent. Ainsi, si le total des parts constituant l’entreprise est de 1 000 et que l’un des fondateurs à investi 1 000€, alors ses 200 parts le rendent propriétaire de 20% de l’entreprise.
Quel est le but de ces investisseurs ? (Et cette question vaut pour les premiers investisseurs comme pour les suivants.) De revendre ces parts pour une valeur bien supérieure à 5€ – 50€, 500€ ou plus -, réalisant ainsi une plus-value. Leur but est donc que la valeur de leurs parts augmente. Dès lors, deux questions viennent naturellement à l’esprit :
- comment revendre ces parts ?
- comment les revendre le plus cher possible ?
Il y a dans l’ensemble deux façons de revendre les parts d’une entreprise : sur le marché boursier, après l’introduction en bourse de l’entreprise, et à une autre entreprise, après que celle-ci eut racheté aux investisseurs historiques leurs parts.
S’agissant de l’introduction en bourse, une partie des actions de l’entreprise est mise sur le marché boursier et tout un chacun peut les acheter ou les revendre, dont les investisseurs. Un cas célèbre est investisseurs-se-tournent-deja-vers-l-avenir-39167692.htm »>Google. En 2004, les actionnaires pouvaient revendre leurs parts à 100$ ; aujourd’hui, ils le pourraient à près de 600$.
Le rachat par une autre entreprise est la seconde façon de revendre des parts. Nous sommes ici au chapitre des fusions-acquisitions. Une entreprise se propose d’acheter les parts des investisseurs existants pour une somme donnée. C’est le cas le plus courant aujourd’hui et qui a rendu riche tant d’entrepreneurs, comme par exemple les fondateurs de YouTube, acheté 1,65 milliards de dollars en 2006.
Abordons maintenant la seconde question : comment revendre des parts le plus cher possible ? Pour savoir cela, il faut se pencher sur les motifs de l’acheteur, qui sont dans l’ensemble de trois ordres.
Le premier relève du marché. La start-up a conquis un marché : YouTube celui de la video en ligne, Google celui de la recherche en ligne, Flickr (avant Facebook) celui de la publication de photos en ligne, Bebo celui de la communication sociale entre (pré-)adolescents, etc.
Si la conquête de ce marché se traduit en revenus significatifs, comme Google, alors les deux options de revente vues plus haut sont possibles. Autrement, seule l’option du rachat est envisageable, comme c’était le cas de YouTube.
Cela montre un point important : une entreprise qui n’a pas de revenus peut voir ses parts achetées très cher parce qu’elle a accès à un grand nombre d’utilisateurs. L’acquéreur y trouve son intérêt parce qu’il sait comment la monétiser, parce qu’il a accès à des données précieuses pour son activité, parce qu’il pense que ce marché est stratégique pour les prochaines années (Google avec YouTube ou Microsoft–Facebook-achat-parts-240-millions.htm »>Microsoft avec Facebook), etc.
Le deuxième motif est le produit. Cela comprend les brevets, la prouesse technologique, l’ergonomie, le design… Pour l’acquéreur, c’est la possibilité de compléter son offre, d’entrer sur un nouveau marché, etc. Yahoo! a racheté ainsi de nombreux moteurs de recherche dans les années 2000 : Altavista, AllTheWeb, Inktomi, etc.
Le dernier motif est l’équipe. Une start-up, même sans avoir conquis de marché ni un produit très finalisé, pourra être rachetée parce qu’elle est constituée de personnes de grand talent que l’acquéreur souhaite compter dans ses rangs. Marc Zuckerberg a dit que c’était là la principale raison des acquisitions de Facebook.
Bien sûr, ces motifs de rachat ne sont pas exclusifs les uns des autres. Quand Facebook a racheté Friendfeed, ce service avait déjà perdu la bataille contre Twitter : il n’était donc plus question de domination de marché; mais la technologie était de premier choix et l’équipe du tout premier ordre. En particulier, le co-fondateur Bret Taylor est un des développeurs les plus talentueux de sa génération, et il est aujourd’hui le directeur technique de Facebook.
Considérant cela, on comprend pourquoi la création de valeur doit être une obsession de l’entrepreneur, et que pas une heure de son temps ne doit être investie s’il n’est pas convaincu qu’elle va tant soit peu augmenter la valeur de son entreprise.
Mais il faut bien dire aussi que, malheureusement, cette notion est si peu comprise qu’il doit également passer du temps à l’expliquer à ses partenaires financiers, qui la confondent bien souvent le chiffre d’affaires : rien de plus faux et de plus dangereux pour une start-up !
L’auteur, Youssef Rahoui est le créateur et dirigeant de Madmagz.
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Bravo pour cet article, clair net et précis.
Je suis d’accord avec les raisons données pour un potentiel rachat.
En revanche, je crois que beaucoup d’entrepreneurs n’ont pas forcément en tête de revendre leur entreprise au moment de sa création. La création d’une entreprise, c’est aussi une vision, une conviction, une passion et je ne connais pas beaucoup d’entrepreneurs qui envisagent la revente dès la création de leur entreprise.
Ceci dit, la recherche de création de valeur reste toujours de mise, même pour ceux là.
@ Alexandre
Merci :)
@Olivier
Vous soulevez un point déterminant : comment se voit l’entrepreneur dans 5 à 8 ans ? Toujours à la tête de son entreprise car c’est l’affaire de sa vie ? Si oui, alors il faut être prudent avec les investisseurs qui eux ne sont là qu’un moment.
En revanche, s’il prévoit de sortir sur cette période de temps, alors c’est « plus simple » côté financement.
Cela dit, vous avez encore raison : si on a besoin de faire entrer des investisseurs au capital, mieux vaut dans tous les cas créer un maximum de valeur !
Article très intéressant. Néanmoins, par création de valeur ça n’est pas la première chose qui me vient à l’esprit pour une startup. C’est plutôt à la création de valeur pour le client final.
Est-ce que je crée suffisamment de valeur pour mes utilisateurs ou mes clients pour que cela les incite à payer ? (que ce soit un abonnement pro, de la publicité, un service payant, etc)
Mais peut-être que je suis trop loin du modèle qui consiste à avoir un maximum d’utilisateurs avant de chercher à monétiser bien plus tard :-)
@ Yoann
Merci. Non, c’est lié je pense en effet : si on est pas utilise à ses utilisateurs alors il n’y a guère de chance de conquérir un marché.
Bonjour,
Peut-être qu’on ne parle pas de création de valeur, parce que c’est évident pour tout le monde…
Cordialement.
Patrick HANNEDOUCHE
@ Patrick,
Merci. Selon mon expérience, ça ne l’est pas.On est occupé, en tant qu’entrepreneur, de 1 000 choses, mais la connection avec cette notion, je ne l’ai vu que chez des entrepreneurs qui ont déjà eu un exit.
Désolé Youssef, je pense radicalement l’inverse ! Tout cela n’est pas faux mais peut conduire à sacrément se mentir.
Priorité au réalisme et aux revenus (surtout au début), la « valeur » suivra bien.
Regarder du coté des plus grands succès US est une illusion d’optique qui a tué plus d’une startup.
@ Decande
Nous sommes en désaccord :) Les meilleurs investisseurs, aux US, savent qu’il ne faut chercher la monétisation trop tôt. Si l’on prend l’exemple des réseaux sociaux, par exemple, point de business avant d’avoir atteint une masse critique. En revanche, il y a des cas bien sûr où il faut en être obsédé dès le départ, notamment en BtoB. Tout dépend de la boîte et du marché sur lequel elle opère. Une startup peut mourir de ne pas gagner d’argent trop tôt, elle peut aussi mourir d’avoir privilégié trop tôt la monétisation sur la qualité du service et la croissance.
Incroyable la financiarisation mentale de certains!
Tout un article fondé sur un a priori purement culturel :
« alors que la création de valeur est la priorité n°1 de tout entrepreneur… ».
L’objectif N°1 de l’entrepreneur n’est pas l’argent, mais la création en elle même, l’entrepreneur ne devient capitaliste qu’une fois le projet abouti, avant, il a surtout un coté artiste et rebelle contre le système :-)
@ Olivier
Je n’ai jamais associé valeur à argent. De plus, je prends le cas d’un entrepreneur qui veut « sortir » : tous ne sont pas ainsi. Enfin, cette image que vous peignez me paraît très romantique. Un entrepreneur, à la rigueur, si je devais donner une image, ce serait pour moi un rêveur bagarreur.