Quand innover c’est hybrider: la fin des RP version mémé
Virginie Debuisson est la présidente de Valeur D’image, une agence de relation publique.
Twitter: @VDEBUISSON
Blog : virginiedebuisson.fr
Deux ans que je tourne comme un petit hamster dans une roue médiatique, qui s’emballe, s’emballe, s’emballe et voilà: à la faveur d’une rencontre avec Alexandra Blanc, journaliste, mon parfait complément d’objet direct, je me lance dans une nouvelle aventure. Si j’abandonne les journalistes, les attachés de presse, les communiqués, les dates de bouclage ? Pas vraiment. Mesdames et messieurs j’ai pris une décision : à l’opposition j’ai préféré la dualité professionnelle. Parce qu’elle fait sens dans le monde connecté, et que finalement, de plus en plus et sans m’en rendre compte, je la pratiquais déjà.
Lorsque j’ai commencé dans le milieu des RP, j’étais attachée de presse. La fille qui écrit des communiqués faisant en sorte de donner aux journalistes de son réseau des informations qu’ils pourraient ensuite faire figurer dans leurs articles et reportages. J’avais rêvé d’être journaliste, la vie m’a placée de l’autre côté de la barrière. Et c’était bien. Je me voyais comme la petite fée de l’info, informant un tel de la sortie d’un nouveau produit, et une telle de l’embauche de tel super cador des RH ou autre chez mon client, proposant un angle plutôt comme ci ou nettement comme ça.
J’ai même envoyé des communiqués par fax, figurez-vous. Oui, à 41 ans je suis un vrai dinosaure.
J’ai commencé chez l’annonceur comme on dit, puis j’ai monté ma propre agence. Pendant les 4 premières années, hormis le fax, tout est resté en place. J’envoyais un communiqué, le journaliste le recevait (ou pas), je le relançais par téléphone, ça l’agaçait (parfois pas), et quand ça ne l’agaçait pas, on bossait ensemble pour qu’il puisse écrire le plus beau des articles sur mon client chéri (on ne le dit pas assez mais il faut une bonne dose d’amour pour faire ce boulot). Faire en sorte que ce client soit connu et reconnu. On pouvait très bien organiser des petits-déjeuners presse, des évènements, des conférences. Et puis, pendant ce temps, sans que nous ne nous en rendions compte, Zuckerberg est vraiment arrivé dans notre petit métier.
Et puis voilà qu’en 2012, je sens que le truc change. Classé au départ dans les activités pour intello connecté, Twitter devient important. J’y croise le gotha journalistique, mais aussi des start-up, des politiques, des chefs d’entreprise et même pas mal de ménagères de 50 ans ou moins. Je vois que les gens réagissent, s’émeuvent, se bougent, parlent et même hurlent. Je m’y informe, je trie, j’entends, j’écoute, je compare, j’évalue. Sur Facebook, c’est encore plus clair : quelques marques y vont, certaines se prennent des likes, d’autres des insultes, il y a des rumeurs qui tournent et des conversations qui commencent à s’installer avec des clients qui prennent désormais les marques pour de vrais gens, voire des copines.
2013 aura été l’année de la révélation. Le moment où tu vois bien qu’il va se passer un truc, mais tu vois pas encore très bien lequel, ni dans quelle étagère. Je participe à l’organisation d’une conférence menée par Syntec-RP et un gourou des relations publiques. Prise de conscience : nous, pros des passerelles entre nos clients et leurs différents publics, devenons des shivas de la réputation. La réputation. Celle qui est difficile à évaluer mais qui doit être toujours bonne, cette aura, désormais repère, pour un maximum de gens, c’est à dire un maximum de publics, de communautés. Grâce à cet évènement, j’ai rencontré des pionniers comme Olivier Cimelière Cordonnier, Tom Liacas ou Benoît Raphaël, des gens qui ont compris très tôt la mutation en cours. Elle est fort simple : avant on disait. Maintenant on dit, on répond, on modifie, on acquiesce et on dément et l’on prouve. On est dans le conversationnel, et dans l’instant, l’immédiat.
Le monde est fou
De fait, j’ai commencé à regarder différemment mes jolis communiqués : trop longs dans la jungle du post, du tweet, de l’instagram et du pin. Trop difficiles à mettre en haut de la pile avec mes moyens techniques post fax et e-mail avec pièce jointe. De plus en plus noyés, de plus en plus fades et transparents. (oui, en plus je suis perfectionniste)
Alors on taille, on raccourcit, on illustre, on met du lien html, de la vidéo. On doit aller vite, mieux. Retenir l’attention, conserver l’intérêt. Tenir la dragée. Produire le fameux effet « waow ».
On doit envoyer le dossier de presse et relayer sur toutes les plateformes. Suggérer pourquoi pas au client de sortir un blog, de participer à un webinar, de soutenir une cause, voire, dans un élan quasi révolutionnaire, d’aller sortir de l’émotion de son business plan tout lisse tout propre.
Pendant ce temps en agence, la rentabilité par client baisse car les budgets s’amenuisent, tandis que le nombre de missions par tête évolue. Les clients qui mettent du temps à accepter la démarche multi-canal trépignent. « Kuaaah ? J’ai pas d’article dans le Figaro ! Vous êtes nulle ma chère. » (le vécu, ce malotru)
Les relations publiques sont folles
De leur côté, mes amis journalistes eux aussi se prennent la vague, mais le surf, c’est pas donné à tout le monde, même pas pour les aventuriers de l’info. Retenir l’attention pour beaucoup de rédactions, c’est donner pour la plupart la faveur à l’info fracassante : de la violence, du scandale ou du sport en média généraliste. En média spécialisé : soit tu as un client gros poisson avec un commandant en or et connu (famous CEO), soit la start-up invente au bon moment un produit révolutionnaire et commercialisé dans au moins 30 points de vente, soit elle fait une levée de plus de 500 K en amorçage et dépasse le million en développement, soit elle reçoit la visite de son ministre de tutelle.
En dehors de ça t’es invisible.
Tu deviens folle
Je n’accuse pas les journalistes. Les médias sont devenus des entreprises. Il y a non pas l’exigence d’ouvrir les esprits mais celle d’être rentables, et ça, c’est difficile. Personne n’a envie de payer pour du contenu lambda, ou pour un truc déjà vu sur Twitter ou en première position de Google Actu. Autre souci : personne n’a envie de se prendre 25 secondes de pub pour 39 secondes de vidéo. (oui c’est du vécu)
Chaque prise de parole est devenue un risque, enfin, c’est comme ça que beaucoup d’entreprises et de personnalités le vivent. Eh oui, on ne peut plus mentir ou jouer les Jean-Michel APeuPrès, bien pénard dans son petit coin : il y a toujours un « troll » qui vous ressort votre citation de 2001, celle qui dit strictement l’inverse de ce que vous croyez vouloir dire, (enfin quoi oui, selon le point de vue). La seule issue c’est d’être authentique … Et ça, après des décennies de spin doctors ou de pubs qui lavent plus blanc que blanc, c’est hard, on en conviendra. Pas de subversion, pas de fait divers, pas de scandale, ni d’odeur de sulfure ? Tu auras une brève. Un très bon article en presse spécialisée. Mais le JT, ben tu oublies.
Les médias sont fous
Pressurisés (500 cartes de presse en moins encore en 2014), les journalistes sont contraints à produire plus, plus vite, plus fort. Ceci poussera d’ailleurs Martin Bouygues à mourir à l’insu de son plein gré au gré d’une dépêche AFP. L’actionnaire de leur groupe média veut du clic, de la communauté en masse, de la courbe de visiteurs uniques non inversée et hyperbolique pour attirer les budgets des annonceurs. Maurice Levy, patron de Publicis, ne veut pas que ça explose, il a peur de l’ubérisation, il veut garder la pub, le reste va trop vite pour son gros paquebot. A la faveur des rachats, des concentrations, les rédactions se mutualisent, les journalistes sont moins nombreux, avec plus de sujets à traiter, plus de phénomènes à comprendre, plus de « rentabilité » exigée (ouais ben c’ui là tu le mets en version web premium, et l’autre, tu me le fous en accès gratuit, ça fera du clic).
Oui, les actionnaires sont fous
Alors pour survivre, il faut parfois savoir mourir. Je déclenche ma réincarnation professionnelle. Je veux faire du surf pour changer le monde, donner des clés de lecture aux gens en utilisant les qualités qui ont fait de moi une bonne RP. (C’est pas moi qui le dit, check mon profil Linkedin) Je veux capitaliser sur ma capacité à connecter les gens, à relier les informations et à créer des synergies. Utiliser mes compétences pour changer les choses. Combiner ma capacité à valoriser les savoir-faire, ma lecture des circuits de l’info pour la transmettre à des marques. Beaucoup d’entre elles se trouvent encore à la traîne face à la vague numérique. Elles doivent absolument la rider, cette belle vague. Je peux leur montrer le chemin, les aider à construire le kayak super maniable qui va bien. Les aider à le peindre dans les bonnes couleurs pour être vu de tous.
Que les marques deviennent folles… Mais dans un sens po-si-tif. Celui d’une conversation tourbillonante ou efficace.
Et comme une jonction, un pas naturel, je veux dire, analyser, partager. Et ça s’appelle informer. Avant il y avait moi d’un côté, de l’autre le journaliste. Fini la dualité. Place à l’hybridation. Merci aux journalistes, merci à mes clients. De tout ce qu’il m’auront fait réaliser, je tire le nectar. C’est une richesse à laquelle je tiens, car ce nouvel espace temps, je le leur dois.
Et pour le coup, c’est moi qui deviens folle. Follement enthousiasmée de revenir au rythme serein d’une information de fond, d’embarquer différemment les marques vers les communautés les plus lointaines, voire les plus inaccessibles.
Dans ma nouvelle petite entreprise, il y aura le conseil, il y aura l’information.
Oui je suis assez folle pour avoir envie, à ma mesure, de changer le monde, en bouleversant la donne et les fonctions.
Parce que comme le disait Voltaire : « La folie est un don de Dieu ».
(si vous ne croyez pas en Dieu, pas grave, la folie est innée, il faut juste la laisser aller)
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« personne n’a envie de se prendre 25 secondes de pub pour 39 secondes de vidéo. »
vécu également et souvent !
Joli texte Mme Debuisson ! ;-)