Quels sont les défis du fact-checking scientifique?
Par Olivier Ezratty, expert FrenchWeb
En préparant le Rapport du CES 2020 et la conférence de restitution coorganisée le 29 janvier 2020 par CapDigital, Systematic et Business France que j’animais, en compagnie de Fanny Bouton et Dimitri Carbonnelle (vidéos), j’avais décidé avec eux de m’intéresser au fact-checking scientifique de certains produits du CES 2020. Nous avions comme chaque année repéré quelques produits ésotériques aux promesses douteuses. Nous avons alors tenté d’exercer un regard scientifique sur nombre de ces produits bizarres.
D’instinct, on commence rapidement par douter, puis à consolider ce doute. Dans certains cas, cela demande pas mal de recherches. Une approche scientifique exige de se remettre en question, d’explorer des champs scientifiques inconnus, de chercher des explications et des points de vue différents. Même en faisant un fact-checking sérieux avec une culture scientifique, on peut se planter royalement. Certains domaines scientifiques sont très ardus. Souvent, ils évoluent tellement vite que ce qui est perçu comme impossible si ce n’est douteux à un moment donné ne l’est plus quelques années après. Ce fut le cas du séquençage complet de l’ADN humain il y a plus de 20 ans. Cela commence à l’être sur les systèmes de connexion entre cerveaux et ordinateurs.
A partir des cas que nous verrons un peu plus loin, j’ai essayé d’en déduire des généralités et une méthodologie de détection d’exagérations scientifiques, de mensonges jusqu’au cas extrême des fausses sciences. La fake news scientifique couvre un très large spectre allant de l’approximatif au totalement faux. Les pires cas correspondent aux solutions miracles pour guérir des cancers ou le diabète type 1, et aussi les sources miracles d’énergie spontanée. Les points discriminants sont cependant voisins de ceux qui permettent de détecter des fake news non scientifiques. Nous allons ici nous appuyer sur des exemples plutôt extrêmes pour illustrer ces points.
Le fact-checking est actuellement mis à rude épreuve avec la pandémie du Covid-19. Contrairement à bon nombre de sujets évoqués dans ce texte, le Covid-19 donne lieu à profusion d’informations scientifiques, notamment sur l’analyse de la structure détaillée du virus et les évaluations des premiers traitements, avant la création d’un vaccin. Il n’empêche que les fake news pullulent et se propagent facilement dans les réseaux sociaux. S’y ajoutent la difficulté d’analyse des données publiques sur le taux de mortalité qui dépend étroitement de la méthode de mesure des cas d’infection et sur la complexité des modèles mathématiques de propagation exponentielle du virus et d’impacts comparés des masques, tests et confinements (voir cette perspective intéressante). Cela aboutit à des jugements à l’emporte-pièce sur les politiques publiques en France, alors qu’elles sont finalement assez similaires d’un pays à l’autre, particulièrement en Europe.
Le cas du Dr Raoult, qui a réalisé les premiers tests en France de l’hydroxychloroquine combinée à de l’azithromycine, est intéressant. Donald Trump s’est empressé de vouloir généraliser son utilisation. Les autorités françaises et européennes étaient alors critiquées pour leur lenteur. En pratique, la FDA américaine n’était pas plus rapide que les autorités de santé européenne et française. Des tests un peu plus élaborés que ceux du Dr Raoult étaient nécessaires des deux côtés de l’Atlantique et sont en cours. Et là, il faut se renseigner sur les protocoles de tests utilisés ainsi que sur leurs modalités en situation d’urgence. Le fact-checking impose d’observer ce qui se passe ailleurs pour voir si les pour et les contre le Dr Raoult sont spécifiques à la France ou pas. Et bien, ils ne le sont pas ! La variété des réactions chez les scientifiques est la même aux USA ! Elles y sont même encore plus réservées qu’en France.
Ce long texte rédigé pendant plusieurs semaines est décomposé en deux parties. Dans un premier temps, j’essaye d’identifier les signaux faibles ou forts qui permettent d’exercer doute et discernement. Dans un second temps, j’inventorie quelques méthodes d’investigation plus génériques. Bref, vous disposerez ainsi de quelques éléments de mode d’emploi pour faire du fact-checking scientifique !
Pour commencer, voici donc quelques pistes qui peuvent induire le doute :
- Qui publie et diffuse l’information : c’est un indicateur clé de la véracité d’une information.
- Le jargon ésotérique et vague employé : plus c’est vague et inhabituel, plus c’est louche.
- Les tests scientifiques aux méthodes douteuses : le diable est dans les détails avec tailles réduite d’échantillons, protocoles et méthodes.
- Des médecines ancestrales mises au goût du jour : ancestral ne veut pas dire que cela fonctionne mieux que la méthode placebo.
- L’amalgame de plusieurs techniques : où un train peut en cacher un autre.
- L’ambigüité sur les effets : avec des techniques qui fonctionnent dans un cas particulier mais pas dans celui qui est annoncé.
- Le viol des grandes lois de la physique : comme le second principe de la thermodynamique dans les sources miracles d’énergie.
- La remise en cause de la science “officielle” : où la théorie du complot est utilisée comme argument d’autorité.
- Les exagérations : où rien n’est forcément faux, mais pas forcément vrai non plus.
Et j’ai bien conscience de la loi du carré du bullshit. Elle dit que pour contrecarrer un bullshit donné, il faut dépenser une énergie proportionnelle au carré du bullshit en question. C’est vrai en politique et ça l’est encore plus dans les sciences. On y est même plus proche du cube que du carré ! Ne vous posez pas de question sur l’homothétie des unités utilisées pour calculer l’énergie, ce n’est qu’une image ! Bref, tout cela est peut-être peine perdue. Mais cela n’empêche pas d’essayer !
Ce post est long mais il ne ne vous faudra qu’1/1620e de votre temps de confinement prévisionnel éveillé pour le lire en entier. Et je vous laisse imaginer la méthode de calcul de ce ratio !
Qui publie et diffuse l’information
L’autorité de la source d’information est toujours importante. Si c’est un obscur site commercial qui fait la promotion d’un produit, sans que la presse généraliste ou scientifique l’évalue, c’est louche. Souvent, les produits sont promus par quelques sites qui bouclent sur eux-mêmes, créés par les mêmes personnes.
Voici un exemple récent avec des messages relayés sur les réseaux sociaux avec des recommandations concernant le coronavirus. On y trouve déjà une affirmation comme quoi le virus “meurt s’il est exposé à des températures de 26-27 degrés” alors que la température corporelle où il se multiplie est de 37°C. Cela devrait éveiller bien des soupçons ! Mais surtout, le message n’a pas de source fiable puisqu’il s’agit « d’une amie, d’un chercheur collaborant avec le groupe de travail qui lutte contre l’épidémie de coronavirus ». Ce qui fait trois sources d’imprécisions consécutives (la version d’origine, ci-dessous, comprenait juste deux imprécisions) !
En cherchant un peu, on trouve vite une confirmation de l’absence de véracité de bien des conseils prodigués, comme dans cette dépêche de l’AFP. Pourtant, quelques grammes de bon sens (ci-dessous) permettent de détecter facilement le pot-aux-roses dans les quinze premières lignes du texte propagé dans les réseaux sociaux.
Une question se pose cependant : ce genre de fake-news peut paraître véridique car on n’y détecte pas forcément une intention de nuire. En effet, qui voudrait du mal aux gens en propageant de tels conseils ? On sait que la Russie a lancé une campagne de désinformation dans les pays occidentaux sur le covid-19, même s’il n’est pas dit que les fausses informations ci-dessus en soient originaires (source).
La même question se pose sur qui propage l’information. C’est le même principe que dans les fake news non scientifiques. Certains sites dans le domaine de la santé sont connus pour propager des informations douteuses et il faut s’en méfier. Cela ne signifie par que les sites réputés sont exempts de travers. C’est juste une question de probabilité.
Jargon ésotérique et vague
Une fausse science se détecte assez facilement lorsqu’elle est promue avec un jargon ésotérique ou décalé par rapport au champ scientifique classique du domaine ou du produit.
Le détecter peut nécessiter de disposer d’une culture scientifique généraliste et parfois spécialisée dans le domaine. Le discours va exploiter des mots qui ne veulent pas dire grand-chose comme “l’énergie” ou “les ondes”, sans plus de précision (le niveau, la fréquence, etc) ou alors utiliser des unités fantaisistes comme nous le verrons plus loin. C’est le cas de toutes les fumeuses médecines quantiques, que j’avais eu l’occasion d’explorer dans mon ebook sur l’informatique quantique (lien, pages 432 à 448 dans l’édition 2019).
Prenons pas exemple l’appareil Physioscan qui est proposé par certains naturopathes pour faire un bilan de santé “quantique”. Avant même d’essayer de comprendre comment il fonctionne, son descriptif met presque tous les voyants au rouge : « Issu de la recherche spatiale russe (où ça, quel rapport, références ?), le Physioscan permet d’écouter (comment ? avec un micro ?) les fréquences émises par chaque cellule, tissu ou organe et de repérer les dysfonctionnements (lesquels ?). Analyse rapide du niveau énergétique des différents organes afin d’évaluer la fonction de chacun ainsi que l’état de santé globale (sic) de l’individu. Détermination du terrain de l’organisme (c’est-à-dire ?). Estimation de la meilleure action à poser (est-ce bien français comme expression ?) afin d’éviter une dégradation de la santé (laquelle ?). Correction des déséquilibres énergétiques grâce à la Méta-thérapie et à la ré-information (c’est quoi ? termes inventés de toutes pièces) ».
Ici donc, la sémantique utilisée se situe bien haut sur une échelle exponentielle de pipotron. Le produit est vendu par Santévie sous l’appellation Biospect. « Avec son scanner volumétrique, le Biospect effectue son analyse informationnelle dans les profondeurs des tissus jusqu’à l’ADN. » (et la marmotte…). C’est un « Scanner volumétrique de l’organe à l’ADN » (voilà une invention extraordinaire permettant de faire du séquençage de l’ADN à distance, Illumina n’a qu’à bien se tenir). Bien entendu (présentation)!
J’ai trouvé une explication sur “la recherche spatiale russe” (source). Elle emploie une technique d’amalgame énorme : “Les Russes ont été les premiers à travailler sur la physique ultra-corpusculaire ou quantique pour laquelle Nikolaï G. Bassov et Alexandre M. Prokhorov ont reçu le Prix Nobel en 1964 au sujet de la découverte du maser (précurseur du laser). Leurs progrès fulgurants sont dus à leurs découvertes faites pour la conquête spatiale”. Oui, ces chercheurs ont bien contribué à la découverte des masers et lasers mais aucunement à des applications ésotériques comme celle du Physioscan. On peut trouver un peu plus de littérature sur les guérisseurs russes. Cela ajoute une règle de plus à notre détecteur de pipeau : plus c’est loin, plus c’est louche car c’est plus difficile à vérifier!
Le Physioscan existe d’ailleurs dans un modèle perfectionné, le Quantascan de Quantaform (source). Ce genre d’outil serait proposé par des dizaines de naturopathes en France. S’il s’agit de gérer des troubles bénins, pourquoi pas, mais lorsqu’ils sont proposés pour traiter des pathologies graves (cancers, maladies cardiovasculaires), cela devient un exercice illégal de la médecine, et surtout… c’est dangereux.
Ainsi, au sujet du Quantascan, on peut lire : “Le traitement mis en œuvre par le Quantascan ne remplace pas un traitement médical prescrit par le médecin, mais il permet de vérifier l’efficacité de celui-ci et de le compléter le cas échéant. Ses domaines d’application sont aussi nombreux que les spécialités médicales (cardiologie, pneumologie, traumatologie, gastro-entérologie, gynécologie, urologie, stomatologie, dermatologie, ophtalmologie, neurologie, rhumatologie, …), et de nombreuses statistiques médicales viennent confirmer l’efficacité des traitements et valider les résultats obtenus”. Les statistiques médicales sont-elles disponibles? Difficile à trouver!
On pourrait imaginer entraîner un réseau de neurones avec des milliers de textes scientifiques sérieux et ces sites web de fausses sciences, bien labellisés au préalable. J’imagine intuitivement que le taux d’erreurs d’une telle méthode de détection ne serait pas très élevé ! Mais il faudrait tout de même l’alimenter avec une grosse base d’entraînement bien labellisée.
Heureusement, certains médias font leur travail. C’est le cas de Coline Vazquez et Bruno Lus dans La médecine quantique, révolution scientifique ou arnaque? publié en décembre 2017 sur Slate. Il fait état d’une décision de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire qui interdisait en 2009 la publicité mensongère sur le Physioscan et produits voisins (source). Ce qui n’empêche visiblement pas de nombreux sites de continuer à contourner cette interdiction.
L’ésotérisme est aussi au programme concernant le covid-19. Ça n’a pas loupé ! Un post de Facebook abondamment relayé fait état d’une étude “quantique” de l’affreux virus. Cette “étude” fait référence à la notion de taux vibratoire mesuré sur l’échelle de Bovis, du nom du Français Alfred Bovis(1871-1947), parfois appelé André Bovis, qui semble être l’un des grands promoteurs de la radiesthésie.
Il a inventé une échelle fantaisiste de taux vibratoire permettant de mesurer le niveau de vie des choses. La mesure du taux vibratoire est réalisées a la mano en plaçant l’objet sur une feuille de papier contenant l’échelle. Les aliments ont des taux de bovis normalement inférieurs à 20 000. Mais des lieux spirituels comme la Cathédrale de Chartes atteindraient 4 000 000 bovis ! La mesure se faisait initialement en angströms, mais il semblerait que cela ne correspondait à rien. Ouf, un peu de rigueur !
L’auteur du post Facebook ne précise pas la méthode d’évaluation à 170 000 unités bovis du taux vibratoire du covid-19. J’ai juste découvert que ce taux est identique à celui de la basilique Notre-Dame du Port de Clermont-Ferrand. Bref, nous aurions à faire à un virus spirituellement très développé. In fine, le post d’origine glisse du taux vibratoire aux fréquences des ondes électromagnétiques et identifie une corrélation entre le déploiement de la 5G et l’apparition du covid-19 ! Bref, tout ceci et tout ce qui l’inspire relèvent de la charlatanerie la plus totale. Et le post Facebook était partagé plus de 200 fois (à 10h25 le 24 mars 2020) et 2600 fois le 26 mars à 11h (avec 1100 commentaires). Heureusement, ce que l’auteur propose à la fin est sans danger : envoyer des pensées positives et d’amour pour neutraliser la peur. Si cela peut vous rassurer, cette belle fake news pseudo-scientifique n’a l’air de n’être que française !
D’ailleurs, ces affaires de sciento-spiritualisme sont des poupées russes. Dans le post Facebook sur le bovis du covid, j’ai découvert un autre cas tordu : celui d’un certain Nassim Haramein, créateur de la Renonance Science Foundation. Le point de départ sont les travaux, en apparence sérieux, sur sa théorie des champs unifiés, un vieux Graal de la physique fondamentale. Sa liste de publications scientifiques a l’air impressionnante, notamment concernant ses études des neutrons et des protons. Sauf qu’une partie des articles ont été publiés dans la revue NeuroQuantology qui n’est pas jugée sérieuse et dont le comité de relecture ne comprend aucun scientifique en physique quantique ou en neurosciences. En fait, les travaux de ce gars sont du total bullshit scientifique qui fait croire que ses travaux ont été validés par des scientifiques alors que ce n’est pas du tout le cas. Il a développé par exemple une théorie selon laquelle les protons seraient des trous noirs miniatures. Sa fiche sur RationalWiki est d’ailleurs éloquente. Qui plus est, les sites web qui relaient ses travaux sont tous du champ de l’ésotérisme comme Medium-Guérisseur. On peut aussi prendre du recul avec sa découverte d’une source d’énergie infinie. Ses travaux ont été abondamment décrits dans un numéro dédié de la revue Nexus Science Alternative en 2013 (14 pages), rédigé par Marc Mistiaen. Une enquête rapide sur cette revue propageant des théories conspirationnistes diverses n’inspire pas vraiment confiance (comme ici et là).
Cela se gâte lorsque l’on découvre que ce gourou commercialise les ARK crystals, des cristaux magiques qui guérissent ou améliorent la performance des sportifs. Description de la chose : “Nassim Haramein’s patented Harmonic Flux Resonator replicates the magnetohydrodynamic behaviors which naturally occur in a variety of astrophysical objects and enables each ARK crystal to become a point of high coherence in the structure of space around it, providing great benefits to biological health”. Ah mais, c’est prouvé scientifiquement disent-ils ! Ils publient même une étude portant sur l’amélioration de la performance d’athlètes. Une méthode en double aveugle avec effet placebo pour une moitié des testés.
L’étude en question portait sur seulement 10 athlètes, 5 hommes et 5 femmes, avec des progrès situés entre 9,8% et 19,6% sur des paramètres divers (rapidité de raisonnement, tests psychomoteurs, qualité du sommeil, etc). Ce qui ne veut pas dire grand chose vue la taille réduite de l’échantillon. Il comprenait encore moins d’individus que dans la première étude controversée de la chloroquine du Dr Raoul ! Ces mêmes 10 personnes testaient le cristal placebo pendant 3 semaines et le cristal Ark pendant 3 autres semaines. L’étude contient diverses bizarreries telles que l’usage d’indicateurs pas très courants comme le “Vegetative Regulation Index”, le “Neurohormonal Regulation Index” ou le “Vitality Index” dont les méthodes d’évaluation et d’analyse ne sont pas précisés. Qui a réalisé l’étude ? Le laboratoire Energy Medicine Research Institute, visiblement versé dans les études sur des produits fantaisistes comme les placebos de LifeWave qui sont commercialisés dans un modèle pyramidal à la Tupperware. Ces cristaux permettraient aussi d’accélérer la croissance des plantes ! Bon, et ils coûtent combien ? Cela va de 277€ pour le simple pendentif à 1850€ pour la paire de boucles d’oreilles design.
Pour obtenir les compte-rendus de tests, il faut fournir un email ! Ca commence bien… et ça continue mal puisqu’une fois qu’ils ont votre email, ils vous arrosent avec la promotion de produits et services encore plus louches que le point de départ. Comme par exemple un T-Shirt à 58€ contenant les cristaux magiques du pendentif, et ayant les mêmes effets. Sur votre porte-monnaie, c’est sûr ! N’oublions pas que le point de départ de cette arnaque est un pseudo-chercheur qui a trouvé que dans chaque proton, il y avait un trou noir pesant des mégatonnes!
Cette arnaque s’inscrit dans une tendance de vente de cristaux magiques qui date d’il y a quelques années et où l’offre est en fait devenue pléthorique. Voir Dark crystals: the brutal reality behind a booming wellness craze par Tess McCLure dans The Guardian, septembre 2019, A Cynic’s Search for the Truth About Healing Crystals par Katherine Gillespie dans Vice, septembre 2017 et The Sickening Business of Wellness par Yvette d’Entremont, décembre 2016. Le marché des gogos est vaste !
Vous direz, et Galilée, Newton et Darwin, qui étaient tous des scientifiques incompris en leur temps ?! Oui, certes. A ceci près qu’ils pouvaient prouver le bien fondé de leurs théories avec des observations, expériences de pensée ou des méthodes scientifiques. Et surtout, ils ne commercialisaient pas des grigris sans effet prétendant guérir les maladies de l’époque !
Tests scientifiques douteux
Des tests “scientifiques” sont parfois évoqués sur les sites de produits relevant de fausses sciences. On peut y détecter quelques entourloupes mais ce n’est pas évident comme le démontrent les exemples suivants. J’en ai déjà cité un ci-dessus sur l’Ark crystal. La plus classique est celle de la corrélation entre deux phénomènes, qui n’induit pas forcément une causalité. La seconde est une explication alambiquée d’un phénomène. La dernière, dans la santé, relève de la difficulté à faire la part des choses entre un remède sans effets et l’effet placebo. Enfin, il existe de nombreuses erreurs méthodologiques dans les tests pouvant avoir été effectués, comme l’usage de tous petits échantillons qui n’ont donc aucune valeur statistique.
J’ai trouvé un panaché de ces méthodes avec ce “médaillon quantique” phénoménal de Osenslife qui permet de traiter plein de bobos. Il avait été découvert dans le magasine SéniorsActuels par Fanny Bouton. Non qu’elle y soit abonnée, mais il traînait dans un lieu où elle passait. C’est le genre de revue qui publie facilement des articles et des publi-rédactionnels à la véracité scientifique plus que douteuse. Lisez si vous le pouvez le texte ci-dessous, c’est édifiant ! On y découvre que « L’une des théories de thérapie quantique veut qu’autour de chacun d’entre nous il y ait 4 plans émettant un rayonnement qui interagit avec tous les êtres vivants. Ces plans sont le sens, le plan ondulatoire, l’énergie et la matière. Ils forme le flux de vie. Le travail du thérapeute selon ces plans sera de rétablir leur harmonie chez le patient afin de ressusciter le flux de vie ». C’est tout droit sorti du scénario du film “Le cinquième élément” de Luc Besson!
Les deux pages suivantes contiennent une publicité sur le médaillon évoqué dans les deux pages précédentes de rédactionnel. Le site du fournisseur contient un dossier scientifique censé donner confiance. Si c’est scientifique, c’est que cela doit être sérieux ! Il est basé sur le retour d’expérience de 4500 clients et fait appel à quatre laboratoires d’analyse scientifiques indépendants. Seulement voilà, aucun des tests présenté ne concerne 4500 personnes!
Le premier test concerne le développement de bactéries dans des verres. Il a été réalisé en 2017 par le Laboratoire Berthet Bernard, situé en Haute-Savoie, spécialisé dans les analyses agroalimentaires. Le fondateur est un pharmacien spécialisé en nutrithérapies. Sa bio datant de 2009 est raccord avec ce que fait Osenslife. Elle évoque l’énergétique humaine et la notion de corps éthérique qui imprègne les corps matériels, le tout relié à la présence de bactéries dans le corps. Il y a comme qui dirait un biais cognitif dans le laboratoire!
Le test réalisé concerne la culture de la bactérie commune Escherichia coli, présentée comme pathogène alors qu’elle occupe la flore intestinale et que seules certaines variantes sont pathogènes. Une autre bactérie est testée, la lactobacillus plantarum, qui ne tolère que de faibles concentrations en oxygène. Elle se développe avec du sucre. Ces deux bactéries sont anaérobies, à savoir qu’elles n’ont pas besoin d’oxygène pour se développer. Le test indique « 19 à 28 % de moins de bactéries dans le récipient où le disque Osens a été posé… ce qui est absolument remarquable ! ». L’explication donnée ? « Le disque OSENS est un dispositif de «traitement quantique comprenant une imbrication d’ondes de formes primordiales. Son créateur allègue que celles-ci modifient notamment les propriétés de l’eau et la «revitalise» en plaçant le disque sur un verre d’eau. ». Il faudrait donc creuser le protocole expérimental pour trouver le lièvre.
On y retrouve un problème classique qui rappelle les travers du machine learning : l’expérience trouve une corrélation entre le fait qu’un disque soit posé sur le verre et la croissance des bactéries. Cela ne fournit cependant en aucune façon une causalité sur les caractéristiques du disque et sûrement pas ses propriétés quantiques. On peut imaginer d’autres explications : un nombre d’expériences insuffisant, des réactions chimiques avec les composés métalliques du médaillon (qui ne sont évidemment pas indiqués) et le fait qu’il bloque l’entrée d’oxygène et l’azote dans le verre, même si les bactéries testées sont anaérobies. De simples réactions chimiques n’auraient en tout cas aucune origine “quantique” magique. Et cela ne prouve évidemment pas que le médaillon serait capable de détruire les mauvaises bactéries du système digestif à distance. Bref, cela ne prouve aucun effet thérapeutique du médaillon.
Un second test a été réalisé par le Laboratoire Emitech qui est spécialisé dans les tests électromagnétiques. Il mesure le taux d’absorption des ondes DAS sur un corps exposé à un smartphone protégé par le médaillon Osens. Que trouve le test ? Que le médaillon ne réduit les ondes des smartphones que de 2,7%. Bon, c’est peut-être normal puisque le médaillon est placé au milieu du smartphone testé (un Galaxy). En général, les antennes sont sur les bords des smartphones, pas au milieu ! Et le test n’était réalisé qu’en 2G et 3G. Il montre juste que le médaillon n’est pas un anti-ondes. On est bien avancé ! Cela n’en prouve pas les effets ! C’est juste le test d’une négation!
Un troisième test montre une réduction de l’agglutination des cellules sanguines, toujours en utilisant le médaillon avec son smartphone. Le test est réalisé dans un laboratoire de l’Ile Maurice et sur un échantillon de seulement quatre personnes. Il n’a donc aucune validité statistique ! Et le sang testé est récupéré sur le doigt.
En parcourant ces trois tests, on est en droit de douter de leur véracité. Mais il faut se les palucher et disposer d’un minimum de bagage scientifique et de sens critique pour prendre du recul. Le gogo de base se fera facilement avoir!
Les escroqueries scientifiques pour obtenir des guérisons miracles sont courantes, comme avec ces générateurs d’ondes scalaires qui permettraient de rétablir l’équilibre dans le corps humain (chez QuWave). Le baratin que contient le site est énorme mais bien construit pour berner les personnes ayant une faible culture scientifique.
Un cas plus difficile à analyser est celui des systèmes “à base de lasers” qui servent à la fois à refaire pousser les cheveux et à maigrir. La technique est utilisée par différentes marques, en général américaines telles que HairMax (600€), Capillus ($999) et iGrow. Ils utilisent tous le principe du LLLT (low-level laser treatment) qui associe des lasers et des diodes rouges, agissant dans la même longueur d’onde de 655 nm, en plein dans le rouge visible.
Chez Capillus, la casquette a l’air de surtout contenir des diodes rouges mais soit, elle contient peut-être aussi quelques lasers. Ce détail est évoqué dans l’argumentaire technique de HairMax qui dénonce le fait que son concurrent Capillus utilise un mix de LEDs et de lasers alors qu’eux n’utilisent que des lasers.
On peut trouver de la littérature scientifique qui prouverait que ce genre de système aurait un effet sur la calvitie masculine. Dans The growth of human scalp hair mediated by visible red light laser and LED sources in males, 2013 (10 pages), il est indiqué que le casque de HairMax augmenterait de 35% la pousse des cheveux chez des hommes. Le tout sur un test réalisé en double aveugle sur 22 hommes avec 19 autres hommes en référence pour l’évaluation de l’effet placebo. Le test durant 16 semaines associait 21 lasers basse puissance et 30 LEDs, agissant tous deux dans le rouge sur 655 nm. Le résultat était évalué sur une partie précise du crâne, préalablement rasé.
Cela fait un échantillon bien réduit pour avoir une véritable valeur statistique. A noter que cela concerne des hommes de 18 à 48 ans et pas des femmes à qui la solution est aussi proposée. Comme j’ai dépassé la borne des 48 ans, je suis hors des clous ! A noter qu’aux USA, le label “FDA Cleared” n’indique jamais que le produit fonctionne mais simplement que l’on n’a pas détecté d’effets indésirables. Ceci dit en passant, si ça marchait, l’athlétique femme à droite de la publicité Capillus/Curralux/Curavi aurait peut-être une belle touffe de poils sur le ventre !
Il est difficile de se prononcer sur ce genre de produits. Est-ce véritablement plus efficace qu’une méthode placebo ? Le principe de “photobiomodulation” s’expliquerait par l’activation du métabolisme énergétique des mitochondries des cellules. C’est un peu léger. Il en va ainsi des quelques comparatifs de ces produits qui n’ont rien d’une approche scientifique (exemple).
Si vous voulez les tester, il existe aussi des thérapies contre la calvitie à base d’homéopathie. le top du top est le Eberthinum qui est à base de bactéries, des bacilles, diluées à 15 CH (source), soit à 10-30 (source). A ce compte-là, il ne doit plus rester que quelques atomes de bactéries dans le médicament ! En effet, dans un comprimé de 500 mg, il doit y avoir au grand maximum 5*1022 atomes en prenant comme référence la densité de l’eau. Avec une dilution à 10-30, il resterait une probabilité de 10-7 d’avoir ne serait-ce qu’un seul atome de la bactérie miracle dans le médicament. Ou alors, on considère la bactérie non sécable et les probabilités qu’il en reste une seule dans le médicament serait encore bien plus faible, d’au mieux 10-12. Il faudrait donc avaler des tonnes de ces médicaments à 15CH pour avoir une maigre chance d’ingurgiter une seule bactérie efficace ! Sachant qu’elle est ensuite traitée par le système digestif. Avant qu’elle atteigne vos cheveux, elle aura été sérieusement transformée ! Pour vous rassurer, il existe plein d’autres solutions contre une calvitie naissante qui n’ont pas donné lieu à des tests scientifiques, comme l’huile de moutarde ou la spiruline (source) ou aussi, un mélange ail/citron/oignon (source). Il vaut mieux aussi éviter le stress, mais c’est moins facile à contrôler ! En dernier ressort, vous avez la solution de la perruque ! Au moins, c’est sûr que ça fonctionne et on peut éviter les tests en laboratoire avec leurs biais statistiques ! Il existe même de la poudre de cheveux applicable en spray, comme chez Densitee (vidéo). Ca fonctionne quelques heures !
Médecines ancestrales
Au CES 2019, j’avais découvert la société Hongbog Eye (Corée) qui présentait sa solution O’Clock sur Eureka Park. Elle sert à réaliser un diagnostic de santé complet par simple analyse de l’iris de l’œil. C’est de l’iridologie, une médecine traditionnelle chinoise mise au goût du jour grâce à de l’IA et précisément à de la reconnaissance d’images exploitant des réseaux de neurones convolutifs (vidéo).
Seul écueil : c’est une pseudo-science qui ne fonctionne pas du tout. Voir ce site (en anglais) ou celui-ci (en français) qui en explique l’histoire. Son origine n’est même pas chinoise ! C’est l’une des méthodes qui cherche à cartographier les organes du corps sur un organe particulier. Les variantes s’appliquent à la langue ou aux lignes de la main. Ces braves gens exposaient sur Eureka Park, le comité de sélection de la CTA ne fait donc pas le tri et accepte donc sans vergogne les charlatans. Ce qui explique pourquoi Nicolas Baldeck a pu exposer sa patate connectée au CES 2020 sans que cela pose de problème.
Deux startups présentaient une solution d’iridologie à base d’IA au CES 2020. L’arnaque est ainsi double : elle associe une fausse science avec de l’IA washing. Le pire est que leurs promoteurs semblent croire dur comme fer que leur solution fonctionne.
Les fausses sciences pullulent pour commercialiser des solutions miracles pour traiter différentes pathologies comme le diabète type 1 voire 2. Voir par exemple cette vidéo US. Elle utilise l’argument d’autorité d’un intervenant avec une blouse blanche de docteur, qui n’en est probablement pas un. Ce genre de vidéo utilise une technique classique de vente de scam : une vidéo interminable qui répète plusieurs fois sous plusieurs formes un bénéfice miracle sans le décrire. Le site vise en fait à vendre un bouquin en version numérique à $37 (promo sur un prix public de $77) ou papier à $54 (promo sur un prix public de $94) ! Il faut attendre la trentième minute de la vidéo pour le découvrir. En France, une vidéo voisine vise à faire visiter un site de fausse médecine qui vend des remèdes et produits miraculeux et douteux.
Mais les plantes miracles pour guérir du diabète type 1 ne fonctionnent pas. D’ailleurs, très souvent, une confusion est entretenue entre le diabète type 2, qui peut sous certaines conditions être traité et le diabète type 1 qui nécessite quoi qu’il arrive des prises d’insuline pour compenser la mort des cellules génératrices d’insuline dans les îlots de Langerghans du pancréas. Voir The most useful medicinal herbs to treat diabetes par Behzad Moradi & Al, 2018, qui entretient cette confusion. Et Phytotherapy in the Management of Diabetes: A Review, 2018 (22 pages) qui fait un inventaire des plantes médicinales de traitement du diabète en concluant à leur inefficacité. Aux USA, la FDA communique avec une vidéo qui date de 2013 pour alerter les patients contre ces scams. Dans les pires scams contre le diabète, il y a le remède Halki qui prétend lutter contre une toxine environnementale, la “Particulate Matter 2.5”. C’est en fait la définition générique des particules de poussière d’un diamètre inférieur à 2,5 microns. Il existerait une solution utilisée par les habitants d’une île planquée en Indonésie ou dans le Pacifique. Le remède est fourni dans un livre vendu $37, le même prix magique ! Le scam est démonté ici avec brio.
On n’en entend pas trop parler en France car les diabétiques sont bien couverts par l’ALD (Allocation Longue Durée) de la sécurité sociale. Aux USA, l’insuline coûte très cher, presque 10 fois plus qu’en France, et n’est pas entièrement prise en charge par les assurances santé. Les patients sont donc plus vulnérables à la publicité de solutions prétendant permettre de se passer d’insuline pour le traitement.
Amalgame de plusieurs techniques
J’ai découvert cette pratique au CES 2020 avec le système de Reduit (Suisse). Cette technologie censée révolutionner le soin des cheveux combine des impulsions à ultrasons, un traitement à base de LEDs et de champs magnétiques qui permettent d’optimiser l’application de produits sur la peau et dans les cheveux. Les crèmes utilisées sont très concentrées et dispensées en faible quantité.
L’appareil utilise des « hairpods », des capsules contenant le produit à appliquer. L’innovation consiste surtout à répliquer le modèle économique éprouvé de Nespresso. Autant les ultra-sons peuvent éventuellement fonctionner, autant j’ai de sérieux doutes sur l’intérêt des LEDs et encore plus sur le magnétisme.
Ambiguïté sur les effets
C’est le cas du système censé aidé à s’endormir de Neuvana (2014, USA) vu au CES 2020. Leurs oreillettes stimulent le nerf vagal, via un petit boîtier arrondi auxquelles elles sont reliées (vidéo). La stimulation du nerf vagal dans l’oreille aurait un effet sur la dépression et l’anxiété, et par là-même, aiderait à s’endormir.
On trouve un peu de littérature qui a l’air d’être sérieuse sur la question. Voir Vagus Nerve Stimulation via the Outer Ear Takes Center Stage, juillet 2019. Donc, on peut douter, mais cela mérite tout de même le détour même si les bénéfices sont probablement survendus au-delà de la lutte contre l’insomnie.
Ci-dessous, un autre exemple d’ambigüité sur les effets avec un tweet qui prétend que le chlorite de sodium guérit du covid-19 (“works”) et que les laboratoires de pharmacies vous le cachent bien évidemment. C’est juste un désinfectant efficace, comme le savon, mais pas un vaccin ou un traitement de la pathologie!
On peut ajouter dans cette catégorie de doutes les abus classiques confondant corrélation et causalité dans l’analyse des données. Nous avons déjà évoqué ce phénomène dans les tests d’efficacité de traitements exotiques. Deux événements qui arrivent en même temps ne sont pas forcément la cause l’un de l’autre ! Surtout si l’échantillon n’est que d’un seul exemplaire ! Comme le cas de Christian Estrosi qui aurait guéri du covid-19 grâce à une prise de chloroquine. Alors que 99% des personnes atteintes du virus guérissent d’elles-mêmes grâce notamment aux spécificités de leur système immunitaire.
Autre exemple, ce magnifique graphe qui montre que les pays qui s’en sortent le mieux sur le covid-19 sont ceux qui font utiliser des masques à grande échelle à leur population. Il est probable que le port généralisé de masque soit un facteur limitant de la propagation du virus. Mais ce n’est pas le seul. Dans ces pays, il est souvent combiné à du confinement et à des campagnes de tests généralisées, sans compter d’autres facteurs. Les corrélations sont multi-paramètres et pas liées à un paramètre isolé. On pourrait générer de telles segmentations avec l’âge moyen de la population, les groupes sanguins, la relation de la culture à la science et aux technologies voire les régimes politiques. Chacun son biais d’analyse!
Le viol de grandes lois de la physique
Il intervient très souvent dans le secteur de l’énergie avec ces solutions charlatanesques capables de générer de l’énergie “à partir du vide”. Ainsi, en 2019, j’avais découvert la startup coréenne InfinitySav (vidéo), évoquée dans le Rapport du CES 2020. Elle propose un générateur d’électricité ‘électromagnétique’ qui démarre avec un moteur électrique et qui fonctionne ensuite tout seul pour générer 5KW ou 10KW d’énergie « spontanée » et gratuite.
Le site web compare l’efficacité du système face à des panneaux solaires. Il conserverait son (in)efficacité plus longtemps que ces derniers. C’est bien évidemment un scam. Toute source d’énergie qui puise ses ressources “dans l’air” sans utiliser une énergie primaire classique est sujette à caution. Il faut vérifier que les principes de la thermodynamique sont bien vérifiés ! Il existe aussi des projets de captation d’énergie du vide issue d’ondes scalaires tout aussi fantaisistes.
Remise en cause de la science « officielle »
La remise en cause éventuelle de la “science officielle” est un scénario classique. Il est bâti sur des théories du complot courantes, genre “ce que les laboratoires pharmaceutiques essayent de vous cacher” ou les lobbies du nucléaire et du pétrole qui empêcheraient la diffusion d’innovations miracles dans le domaine de l’énergie.
Dans un monde où il est difficile de cacher quoi que ce soit ! Alors, oui, certes, des laboratoires de pharmacie peuvent parfois bidouiller des tests pour mettre des produits sur le marché, embellir les propriétés thérapeutiques de certains traitements ou en cacher les effets secondaires.
Mais les méthodes employées par les tenants de remèdes miracles sont généralement encore pires que celles des laboratoires de pharmacie. Les tests sont plus que rares et les protocoles scientifiques encore plus aléatoires. Bref, c’est l’aveugle qui se moque de la charité ! Dans les cas les plus extrêmes, les attaques deviennent ad-hominem contre ceux qui doutent.
Dans l’affaire du covid-19, ce discours est devenu commun pour dénoncer le manque de rapidité à appliquer un traitement à base de chloroquine. Nous n’allons pas revenir sur le cas du Dr Raoul et de l’emballement médiatique associé.
Exagérations
La presse généraliste a tendance à reprendre la communication officielle des marchands et startups qui promettent monts et merveille. Comme elle ne dispose pas forcément du bagage scientifique pour prendre du recul, les surpromesses sont véhiculées en l’état. Malgré ma vigilance, il peut m’arriver de tomber dans le piège !
En voici un exemple qui relève d’un classique biais de généralisation. Dans Ce petit capteur dopé à l’IA peut prévenir les crises cardiaques publié sur BeGeek en février 2020, il est fait état d’un capteur dopé à l’IA qui pourrait prévenir les crises cardiaques. Il faut évidemment creuser au-delà de l’article pour découvrir le biais.
Sur le principe, le capteur a l’air d’être assez classique. Il a l’air de mesurer le rythme cardiaque, le rythme respiratoire, les mouvements et la posture. Il n’est pas indiqué s’il permet de faire un électro-cardiogramme à deux points. Il faut au passage signaler que ces fonctions peuvent être obtenues avec de nombreuses montres connectées comme l’Apple Watch ou la dernière ScanWatch de Withings.
Lorsque l’on se plonge dans les informations d’origine sur ce capteur (ici et là), on découvre que la solution prédit en fait le risque de ré-hospitalisation de patients opérés. L’étude a été réalisée sur des hommes (à 98%) entre 58 et 78 ans déjà sujets à des problèmes cardiaques. Elle ne portait pas sur la recommandation de traitements basés sur les alertes générées. La solution à base d’IA provenant de physIQ permet tout au plus d’éviter un tiers des réadmissions en hôpital des patients déjà opérés. On est très loin de la promesse d’origine consistant à “prévenir les crises cardiaques” de manière générique !
Quelques parades
Après avoir identifié quelques-uns des points de vigilance pour identifier les exagérations ou fake news scientifiques, je vous propose quelques méthodes génériques permettant d’éviter de se faire berner par des balivernes et d’améliorer votre capacité de détection des charlatans de la science. Si vous êtes férus de science, vous n’apprendrez pas grand-chose. Les exemples que je fournis méritent cependant parfois le détour.
1) Améliorer son niveau scientifique et contribuer à le développer dans votre domaine et notamment auprès des plus jeunes. C’est plus facile à dire qu’à faire au vu de la diversité des domaines scientifiques entrant en jeu comme le vaste champ de la santé, de la biologie, de l’agroalimentaire, de l’énergie ou de l’intelligence artificielle. Cela passe par une bonne formation initiale, par une éducation en continu et par la lecture de la presse scientifique. Ils permettent de développer un esprit critique sain. Mais ce n’est pas suffisant. En effet, je constate au quotidien comme on peut se faire avoir même en disposant d’un bagage scientifique de départ (BAC+5 scientifique, formation d’ingénieur, et même un doctorat en poche). Au passage, ne cédez pas à ces éloges de l’ignorance (exemple ci-dessous). Les gens qui savent qu’ils ne savent pas sont souvent les gens qui savent, en application du fameux effet Dunning-Kruger qui veut que l’on surévalue facilement ses compétences lorsqu’elles sont plutôt faibles. Alors, oui, il faut savoir réapprendre, désapprendre et ouvrir ses perspectives, mais il est utile de ne pas partir de zéro!
2) Chercher systématiquement les sources scientifiques d’origine des informations. Dans mes investigations de base, j’utilise presque systématiquement trois niveaux de lecture : l’article français présentant l’information miracle, son origine souvent américaine ou en langue anglaise car nombre de fake news scientifiques viennent d’ailleurs puis enfin la ou les sources scientifiques d’origine de l’article. Si elles n’existent pas, c’est plutôt mauvais signe.
On peut alors vérifier si la publication scientifique provient d’une revue à comité d’auteur ou pas puis les citations du papier dans d’autres publications scientifiques. On peut analyser la biographie des auteurs. Cela fait beaucoup de recherches d’informations à réaliser ! C’est même plutôt fastidieux. L’Internet recèle des trésors d’informations que l’on peut analyser et recouper mais les récolter et les traiter prend du temps. Dans le cas où l’information n’est pas “fake”, l’article scientifique d’origine est souvent bien moins dithyrambique que l’article grand public associé, comme nous venons de le voir pour le capteur cardiaque miracle dopé à l’IA.
Voici un exemple de cette démarche d’analyse à trois niveaux. On commence par cet article diffusé via Facebook : Des chercheurs confirment qu’oublier des choses du quotidien est signe d’une forte intelligence issu du site “Savoir Vivre Sainement”. L’article ne fournit pas les sources de l’information, un mauvais point de départ. Une simple recherche sur les termes “memory Toronto intelligence” permet de trouver un article anglais plus détaillé qui pointe à son tour sur l’étude scientifique d’origine : The Persistence and Transience of Memory par Blake A. Richards et Paul W. Frankland, avril 2017 (14 pages).
L’article scientifique est très touffu et bien évidemment plus nuancé que la titraille des journaux qui le reprennent. Il évoque la notion de “mémoire floue” qui enregistre des tendances plutôt que des faits précis, ce que nous pratiquons tous en général. L’article scientifique ne contient pas le mot intelligence et parle d’expériences sur des rats. Il fournit quelques analogies avec les systèmes de deep learning qui gagneraient effectivement à ne pas mémoriser toutes leurs données d’entraînement.
Mais on peut être hypermnésique dans des domaines particuliers (musique, littérature, événements, dates, chiffres, jeux) sans pour autant être idiot. Au passage, on peut s’interroger sur la news qui relate une information scientifique vieille de trois ans. C’est un phénomène classique de la presse qui traduit à la va-vite des articles de la presse anglo-saxonne sans vérifier les dates. Cette pratique est aussi courante sur Facebook pour dénoncer telles ou telles pratiques de politiques. Or, en quelques années, l’état de l’art a pu évoluer !
3) Déconstruire et classifier les annonces. C’est une tâche préalable souvent indispensable avant même de porter un jugement sur quoi que ce soit. Et la tâche est maintenant particulièrement ardue dans les deep techs telles que les biotechs, l’intelligence artificielle ou les technologies quantiques. Dans ce dernier cas, les annonces sont maintenant très nombreuses et issues d’entreprises ou de nombreux laboratoires de recherche dans le monde. Le travail consiste à rentrer dans le détail d’une annonce et à éliminer le bruit et les artifices de communication pour trouver l’os à ronger et l’information scientifique factuelle et utile. Une fois cela fait, on peut dire de quoi il s’agit précisément. C’est une forme de réductionnisme consistant à aller du général (“tels laboratoire a inventé l’ordinateur quantique de la mort qui tue”) au spécifique (“ils ont en fait créé un sous-système spécifique qui permettra un jour de créer un ordinateur quantique avec telle caractéristique”) ou encore (“des chercheurs ont réalisé une expérience de laboratoire sur des techniques déjà connues”).
Nous en avons un exemple récent avec l’annonce par Honeywell d’un ordinateur quantique qui serait le plus puissant du monde et doublerait la puissance par rapport au record précédent. La communication initiale autour de cette performance enjolivait la chose qui se retrouvait presque à l’identique dans la couverture presse (exemple). Le doublement de la puissance viendrait de l’usage d’un indicateur, le volume quantique, créé par IBM, qui intègre à la fois le nombre de qubits et leur qualité. Comme la qualité des qubits d’Honeywell serait meilleure avec un faible taux d’erreurs, cela leur permet de faire mieux qu’IBM.
Mais 4 qubits, même de qualité, n’ont pas une grande utilité et sont émulables sur un simple laptop. Donc en guise de puissance, il y a encore fort à faire. J’ai eu l’occasion de creuser en détail cette affaire et de mettre en avant là où était située la performance : la génération de qubits avec un taux d’erreurs très faible et avec des qubits à base d’ions piégés se déplaçant sur un circuit. J’avais analysé en détail cette annonce dans un article précédent. Et en l’occurrence, la promesse était bien capillotractée puisque l’expérience documentée à base de 4 qubits ne permettait pas encore de créer l’ordinateur le plus puissant du monde. La société promettait d’ici juin 2020 d’ajouter deux qubits pour pouvoir dépasser IBM. Or, ce simple ajout est peut-être bien plus difficile à réaliser qu’il n’y paraît ! Bref, ils ont vendu la peau de l’ours un peu trop tôt.
4) Faire des recherches sur les termes de la solution accompagnés de “scam”, “hoax” ou “fake news”. Une fausse science va vite remonter quelques articles intéressants démontant la solution. Il pourra arriver qu’il faille aussi les prendre avec des pincettes. Mais cela élargira le champ de l’analyse. En général, l’information de ce genre est plus abondante en anglais qu’en français.
Les fausses sciences sont aussi bien démontées dans le site français Psiram. On y trouve le pédigrée détaillé de nombreux charlatans des sciences, notamment autour de la fumeuse médecine quantique.
Cette recherche doit se faire cependant avec discernement car la désinformation existe aussi sur les “vraies” sciences. L’exercice est d’autant plus difficile que dans de nombreux cas, les informations véhiculées ne sont pas forcément entièrement fausses. Il est plus malin de cacher quelques fausses informations dans un paquet d’informations correctes.
5) Interpréter les biais à l’œuvre dans la propagation des fausses sciences, notamment dans les réseaux sociaux. La recherche de remèdes miracle est un analgésique très puissant de l’intelligence. Elle est parfois accompagnée de colère, d’envie ou de rêve. Les fake news sont construites sous forme de hacks de nos émotions.
Elles ciblent des populations vulnérables, comme nous l’avons vu sur les diabétiques aux USA. Avec le médaillon quantique Osens, la propagation des fausses sciences ne passe pas forcément par Internet. Elle suit des circuits parallèles dans la presse écrite ciblée sur des populations âgées vulnérables qui utilisent peu Internet pour vérifier les informations.
6) Evaluer les ordres de grandeur. Nombre de fausses sciences peuvent être “débunkées” en faisant quelques calculs rapides et en appliquant quelques règles de trois. C’est aussi valable en économie et en politique. Dans nombre de domaines, les valeur relatives ont plus de sens que les valeurs absolues. Et pour s’y retrouver, il faut aussi détecter les biais statistiques qui peuvent servir à nous manipuler.
En voici un exemple avec L’informatique quantique pèsera 1000 milliards de dollars en 2035, selon McKinsey, paru début mars 2020. Un trillion de dollar pour l’informatique quantique, cela fait pas mal ! C’est impressionnant. Tout d’abord, il est plus que difficile de mettre la main sur le rapport de McKinsey et sa décomposition. Mais sans même le consulter, on peut imaginer le biais chiffré de cette étude. Elle utilise un truc que l’on a connu il y a quelques années pour l’évaluation du marché des objets connectés et de l’intelligence artificielle. Cette évaluation ne porte pas sur le marché proprement dit des technologies quantiques mais sur le chiffre d’affaires généré par les entreprises qui feront appel à ces technologies, comme dans la santé, la finance ou les transports. C’est un peu comme si on évaluait le marché du logiciel (qui était d’environ $450B en 2019, source Gartner) en totalisant le chiffre d’affaire des entreprises qui utilisent du logiciel ! Ce qui ferait un montant bien plus élevé.
7) Accepter des situations où il est difficile de trancher et où le doute va subsister. J’en ai cité quelques-unes dans cet article comme pour les solutions de lutte contre la calvitie. Sans pour autant rentrer dans la dialectique simpliste du “et si ça marchait ou qu’est-ce qui prouve que cela ne marche pas ? On ne comprend pas encore tout. La science est en retard sur l’empirisme”. Le doute doit être de rigueur dans le fact-checking.
8) Tenir compte de l’effet Streisand qui veut qu’une publicité donnée à une fausse nouvelle contribue à la propager et à la rendre plus puissante. Avec cet article, j’ai probablement fauté ! C’est ce qui ressort d’une étude réalisée au Royaume-Uni par FullFact, un site de fact-checking généraliste (voir Report on the Facebook Third Party Fact Checking programme, 2019, 46 slides). Ils y prodiguent des recommandations à Facebook pour “flagger” les fake news.
9) Ne pas oublier le cas inverse des fake news sur les vraies sciences. De nombreux sujets sont concernés : les anti-vaccins, le CO2 des cheminées de centrales nucléaires (c’est de la vapeur d’eau), le discours antinucléaire de certains politiques écologistes, les dangers exagérés des OGMs, etc.
J’en ai sûrement oublié. À vous maintenant de faire le fact-checking de cet article ! L’exercice est facilement récursif car les fact-checkeurs ne sont pas infaillibles ! On peut générer aussi bien des faux positifs (trouver qu’une information scientifique est valable alors qu’elle ne l’est pas) que des faux négatifs (le contraire).
L’expert
Olivier Ezratty est consultant et auteur, créateur d’Opinions Libres, son blog sur les deep techs (intelligence artificielle, informatique quantique, medtech, …) et sur l’innovation (entrepreneuriat, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb qui reprend les publications de son blog.
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Bravo Olivier ,
Extrêmement documenté et intéressant. On te sentait un peu las sur les CES , mais tu as ici retrouvé ton énergie sur ce sujet chaud , Bravo