Qui doit être concerné par le télétravail ?
Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb
Une des premières questions qui se pose quand on met en place une démarche de télétravail c’est « qui va être éligible » au télétravail. Je préférerais qu’on se demande « pour quels cas d’usages » et ensuite « quelles sont les personnes concernées » mais il en est ainsi.
Le télétravail n’est ni une récompense ni un phénomène de caste
Bizarrement (ou pas) le première réflexe est de dire que « c’est pour les managers ». Pourquoi ? Pour les récompenser de leur dévotion à l’entreprise, reconnaitre la spécificité de leur travail ou leur ancienneté ? Pour en faire un avantage qui distingue certaines populations d’autres en termes de bénéfices RH ?
Décider ainsi ne répond à aucune logique. Le télétravail ne doit répondre qu’à deux logiques : l’efficacité pour l’entreprise, l’expérience et le confort de travail pour le collaborateur. Toute autre approche comme en faire un signe distinctif, un avantage comparable à un téléphone plus haut de gamme que les autres ou une voiture de fonction est aussi inutile que contreproductive.
Je vous renvoie à ce que je disais en termes de transformation digitale et d’expérience employé : il ne faut pas ostraciser le terrain ni être discriminant. Ici c’est la même logique qui prévaut.
Une meilleure approche est de se demander, selon les cas :
1°) A-t-on une fonction, une activité, que l’on a intérêt à passer au télétravail. Auquel cas vous en déduirez de suite les personnes concernées.
2°) Veut-on faire du télétravail une pratique générale ? Auquel cas il faut quand même se munir de quelques garde-fous pour s’assurer que le dispositif fonctionne bien.
Le premier cas semblant évident, c’est du second que nous allons parler.
Le télétravail : une question de capacité, pas de statut
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire : le télétravail demande encore plus de rigueur que le travail au bureau. A partir du moment, cela va sans dire, qu’un métier est susceptible d’être effectué à distance, la question de l’éligibilité au télétravail doit donc être une question de capacité et non de statut hiérarchique ou de métier.
Pour avoir pratiqué le télétravail dans mes mes différents emplois depuis une quinzaine d’année et avoir piloté sa mise en place et son suivi dans mon entreprise actuelle je peux vous dire que la capacité à télétravailler efficacement et durablement n’est pas une question de métier, d’expertise, de séniorité, de statut ou de niveau d’études. Tout au plus peut on penser que plus on a d’expérience plus on est capable de s’adapter à des situations nouvelles…mais je n’en n’ai jamais eu la preuve irréfutable.
De plus, et les événements récents le montrent, ne réserver le télétravail qu’à une population limitée qui saura le pratiquer présage des pires ennuis si du jour au lendemain on doit le généraliser à tous. Le télétravail c’est, dans ce cas, comme les exercices incendie : il faut pratiquer pour être prêt le jour où ça sera vital.
J’ai, en ce qui me concerne, identifié quelques critères très simples qui à mon sens devraient être les seuls à compter pour décider si une personne est éligible au télétravail:
1) Intégration et connaissance des codes et de la culture d’entreprise
On ne lâche pas dans la nature une personne qui n’est pas suffisamment intégrée, qui n’est pas encore assez imprégnée de la culture d’entreprise. C’est le meilleur moyen d’isoler la personne, de rendre compliquées les interactions à distance, de retarder son intégration. A distance on perd le “off”, sans la dimension culturelle on passe devient « une ressource devant un écran » et pas un membre d’une équipe, on ne développe pas le sentiment d’appartenance à l’entreprise.
L’absence de maitrise des codes complique les échanges formels et informels avec les autres.
Une équipe à distance est une équipe avant d’être à distance. Si on ne met à distance qu’une somme d’individus on est face à un édifice qui peut s’effondrer du jour au lendemain.
Comment l’évaluer ? Evaluation du manager, du parrain si un tel dispositif existe, voire un QCM de « culture d’entreprise » en ligne que chacun doit passer après 6 mois ou un an dans l’entreprise.
2) Connaissance de l’organisation et des process
A distance personne n’est là pour voir ou rattraper vos erreurs. Il est moins facile de demander certaines choses, et parfois même d’avoir une réponse. On ne lâche pas seul sur l’autoroute quelqu’un qui n’a jamais conduit une voiture et connait à peine le code de la route.
Pout l’évaluer ? Mêmes méthodes que pour l’intégration.
3) Autonomie
Cela relève un peu des deux points précédents mais va un peu au delà. Jusqu’à quel point la personne sait elle s’organiser seule? Dans quelle mesure est il légitime qu’elle demande souvent de l’aide ou des explication?
L’autonomie s’apprécie également à la capacité à être à l’aise dans tous les cas d’usages qu’implique le télétravail, savoir comment procéder dans chaque cas sans se tromper de manière de faire ou d’outil.
Dans des cas où seuls le statut étaient pris en compte pour décider de l’éligibilité au télétravail j’ai vu des personnes pourtant autorisées avoir la lucidité de ne pas le pratiquer car elles ne se sentaient pas assez autonomes pour le moment.
Là encore l’appréciation du manager voire, le cas échéant d’un chef de projet ou d’équipiers prévaut car c’est eux qui sont le mieux placés pour juger.
4) Maitrise de l’environnement de travail
Le télétravail c’est des cas d’usages qui couvrent toutes les situations de travail individuelles et collectives et des outils appropriés pour les pratiquer.
Une personne peu ou pas à l’aise avec les outils sera mal à l’aise voire totalement inefficace ou inutile dans certaines situations de télétravail. Une situation à éviter à tout prix.
5) Capacité à exister dans le collectif
Les gens discrets ça existe. Il n’empêche qu’il faut être capable de communiquer, faire une remarque, appeler à l’aide quand on en a besoin, faire entendre ses arguments quant on en a.
Des personnes qui, au bureau, travaillent bien mais n’existent pas tant qu’on ne leur demande comment elles vont et si elles ont besoin d’aide, on en connait tous. Des gens qui même s’ils sont en train de se noyer iront même jusqu’à vous dire « non non tout va bien ».
Quand on fréquente le même espace de travail à un moment cela se voit et on peut forcer les choses. A distance non. Vous imaginez l’impact sur un projet d’une personne qui n’arrive pas à avancer et ne le dit qu’au moment où elle ne peut plus le cacher voire attend qu’on le découvre ?
Ca n’est pas une affaire de discretion ou de timidité, ou pas seulement. J’ai vu des gens timides dire « je n’y arrive pas » ou « je pense qu’on ne va pas dans la bonne direction ». Et d’ailleurs quand ils le font c’est d’une manière plus argumentée et posée que les autres. Il faut juste qu’ils se sentent en confiance. C’est un sujet annexe mais qui doit aussi nous rappeler que la confiance au sein des équipes, confiance en soi, confiance dans les autres, est un des prérerequis d’un télétravail efficace.
J’espère juste que vous avez remarqué, au vu des critères, qu’il se peut qu’on laisse un “junior” télétravailler et, si on veut être honnête, qu’on le refuse pendant plusieurs mois à un manager qui vient d’arriver et n’a pas acquis les basiques alors que, de plus, il se doit d’être exemplaire. CQFD.
Et en cas de confinement généralisé ?
Non tout le monde n’est pas prêt ou fait pour le télétravail, ou en tout cas à un moment donné. Mais alors, me direz vous, que faire en cas de confinement imposé comme nous le vivons aujourd’hui.
La réponse est évidente : on n’a pas le choix et il faut mettre le risque sous contrôle, limiter la casse.
D’abord en se disant que noyés dans des équipes globalement matures et entrainées au télétravail, ceux qui ne sont pas forcément prêts apprendront vite et que les autre sauront veiller et les encadrer. Dans ce cas il est important qu’il existe des « leaders de pratiques » qui pourront servir d’exemple, inspirer, coacher. Le rôle du manager est également essentiel même si, on le verra plus tard, la fonction la moins préparée au télétravail est certainement la fonction managériale.
Et puis il peut être envisagé de mettre en place des dispositifs renforcés. Par exemple dans le cas de la mise en télétravail contrainte d’une population de “juniors” avec une faible expérience du monde du travail et de l’entreprise (quelques mois tout au plus), et un dispositif de parrainage existant, il a été demandé aux parrains de renforcer les points de contacts avec les plus jeunes avec deux échanges minimums de vive voix par jour.
Dans de telles circonstances le dispositif sera toujours imparfait, admettons le, mais il y reste possible de limiter les écarts au maximum.
En tout cas il faut penser le télétravail à partir des besoins opérationnels et le considérer comme un mode d’organisation, de production et pas à partir des personnes à qui on veut faire plaisir ou qu’on veut valoriser.
L’expert:
Bertrand Duperrin est directeur de l’Expérience Employé chez Emakina, agence digitale présente dans 13 pays. Durant toute sa carrière il a officié au croisement entre la technologie, la mise en performance des talents et la performance de l’organisation. Auparavant il a occupé des postes de directeur dans le monde du Conseil en Management ou dans l’édition de logiciel. Il est également passionné par l’industrie du voyage en général et l’aérien en particulier.
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Vos critiques hasardeuses sur le travail de MR. Haramein mettent ses connaissances en valeur. Bravo.