Salvador: dans l’attente de la « Bitcoin city » promise
Par Oscar BATRES / AFP
Lorsque le président Nayib Bukele a annoncé en 2021 vouloir bâtir la première « Bitcoin City » au monde, une métropole futuriste financée par des obligations en cryptomonnaies, l’Américain Corbin Keegan a plié bagage à Chicago et s’est rendu au Salvador.
Las. Près de trois ans plus tard, pas la moindre brique n’a encore été posée et Corbin Keegan, 42 ans, attend toujours de devenir le premier résident de « Bitcoin city ».
Résolument optimiste, il prend son mal en patience à Playa Blanca, ville côtière de la municipalité de Conchagua. « J’attendrai le temps qu’il faudra. Ca va arriver. Alors je reste », dit-il à l’AFP, sirotant un café assis dans un hamac en bord de plage.
Il dit vivre de pêche et de petits boulots pour des voisins qui assurent à l’AFP avoir « adopté » celui qu’ils appellent « El Gringo ».
L’érection de la « Bitcoin city » avait été annoncée en grandes pompes en novembre 2021 par le président Bukele, qui brigue dimanche sa réélection : zones résidentielles et commerciales de luxe, musées, gare, port et aéroport, et même un monument à la gloire de la cryptomonnaie sur la place centrale.
L’idée fondatrice est que l’énergie géothermique générée par le volcan Conchagua alimente la ville, à quelque 200 km à l’est de la capitale San Salvador, et surtout fournirait à bas prix l’énergie nécessaire au « minage ».
La création de monnaie numérique avec quantité d’ordinateurs qui exécutent des opérations mathématiques certifiant la validité des transactions en cryptoactifs (générant des récompenses en cryptomonnaie), nécessite énormément d’électricité.
L’annonce présidentielle intervenait deux mois après que le Salvador ne devienne le premier pays au monde à adopter le bitcoin comme monnaie légale, malgré un concert international d’avertissements sur la volatilité notoire des cryptomonnaies.
En septembre 2021, le bitcoin s’échangeait à environ 31.300 euros et en novembre atteignait son niveau record, à 60.650 euros. Après avoir dégringolé 15.100 euros, son plus bas, en novembre 2022, il s’échange aujourd’hui à environ 39.000 euros.
– « La crypto c’est l’avenir » –
Pour financer la « Bitcoin city », le Salvador entendait émettre en 2022 pour un milliard de dollars d’obligations libellées en bitcoins. Mais là non plus rien n’a bougé.
Le gouvernement a dit avoir investi à diverses reprises dans l’achat de bitcoins –allant même jusqu’à annoncer l’achat d’un bitcoin par jour– mais n’a jamais divulgué de détails sur les montants.
Les paiements en bitcoins au Salvador se font à travers un « portefeuille Chivo », carte numérique pour les transactions que chaque entreprise salvadorienne, même les commerçants de quartier, se doit d’accepter.
Mais un sondage réalisé par l’Université d’Amérique centrale (UCA) a révélé début janvier que 88% des Salvadoriens n’ont pas utilisé le bitcoin dans leurs transactions quotidiennes en 2023.
Le pari de Bukele sur la cryptomonnaie, qui visait à favoriser les transferts d’argent des trois millions d’émigrés, principalement aux Etats-Unis (21% du PIB du Salvador), vers leurs proches restés au pays en leur permettant d’économiser les frais bancaires, est largement considéré aujourd’hui comme un échec.
Le FMI, qui a exhorté le Salvador à retirer le bitcoin du marché officiel, a averti, au côté de la Banque mondiale, qu’en dehors de la volatilité de la cryptomonnaie, le bitcoin pourrait rendre le pays plus vulnérable au blanchiment d’argent.
Malgré tout, Nayib Bukele reste immensément populaire dans le pays de 6,5 millions d’habitants et s’apprête à remporter haut la main les élections générales au profit de sa « guerre contre les gangs » plébiscité par la population malgré les graves dénonciations de violations de droits de l’Homme.
A Playa Blanca, personne n’utilise de cryptomonnaie. Et lorsque M. Keegan a besoin d’argent, il se rend sur sa moto branlante jusqu’à Conchagua, à 20 km de là, retirer des dollars à un distributeur automatique qui recharge également son portefeuille Chivo.
Il n’a pas voulu révéler combien il a investi dans le bitcoin, mais reste convaincu que « la crypto c’est l’avenir. On ne peut pas arrêter » le mouvement.
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