Stratégie Digitale : pourquoi j’ai changé d’avis
Par Cyril Bladier, fondateur de Business-on-Line
Quand j’ai commencé (professionnellement parlant sur le digital), je pensais qu’il était essentiel de bien connaître son secteur, ses produits (ou son service) et que la connaissance des approches digitales pouvait venir ensuite. Aujourd’hui, j’ai changé d’avis. Cet article explique pourquoi j’ai changé d’avis sur la stratégie digitale et la manière de la mettre en oeuvre et pourquoi, sur le digital, la connaissance du secteur pourrait être moins indispensable que dans le passé.
Mes débuts dans le digital
J’ai démarré une activité à plein temps sur les sujets digitaux en 2009. Je n’étais pas totalement novice puisque j’avais fait partie de l’équipe pilote du développement de la plateforme e-commerce de mon employeur en 2002/2003. Mais là, en 2009, c’était différent, puisque c’est devenu mon activité à plein temps.
Mon premier client était le groupe Cristal Union via CristalCo, pour la marque Daddy Sucre. C’était mon tout premier rendez-vous commercial autour des offres digitales. J’ai eu l’opportunité de rencontrer directement le Directeur Général : premier rendez-vous, première vente.
A l’époque (2009, ce n’est pas la préhistoire, mais le Moyen-Âge pour les activités digitales) :
- Le référencement de site était assez simple.
- Facebook débarquait tout juste en France.
- Personne (ou presque) ne parlait de Twitter.
- C’était encore mal vu d’être sur LinkedIn. Les mêmes managers qui voyaient d’un mauvais œil leurs commerciaux sur LinkedIn à cette époque, voyaient d’un tout aussi mauvais œil ceux qui n’y étaient pas quelques années plus tard. On est passé de « au secours, mes commerciaux sont sur Linkedin » à « au secours, mes commerciaux ne sont pas assez présents / visibles sur LinkedIn ».
- Snap, Insta et WhatsApp n’existaient même pas encore dans la tête de leurs fondateurs.
On voit bien sur ce graphique Google Trends que 2009 correspond à l’arrivée de Facebook en France. La chute qu’on observe depuis Janvier 2013 n’est pas tant due à une baisse d’intérêt pour Facebook mais d’une part à l’augmentation du trafic direct (sans passer par Google) et surtout à l’utilisation via l’application mobile.
Les courbes de Google Trends sont en base 100 en valeur relative donc comme Facebook est largement plus recherché, les courbes des autres réseaux sociaux sont lissées et donc peu différenciées. Si on enlève Facebook de la comparaison, on voit là encore que 2009 correspond à l’émergence de Twitter et que Viadeo était à l’époque devant LinkedIn.
Tous ces sujets et ces outils n’étaient pas encore très techniques. Il suffisait de bien faire son job, de faire du bon contenu et on pouvait avoir des bons résultats. La clé, en marketing, n’était pas tant de maîtriser les outils ou les technos mais de connaître son secteur. Il valait mieux prendre un rédacteur ou un Community Manager qui connaissait bien le secteur et à qui on allait apprendre le bon fonctionnement des outils digitaux, plutôt que de prendre un bon expert digital à qui on allait expliquer les subtilités du métier ou de l’industrie.
L’influence à l’origine d’un bad buzz
D’ailleurs, en 2012, Quechua a généré un bad buzz pour avoir osé publier une offre de stage de community manager où était demandé un Klout Score de 35. Pour ceux qui ne connaissent pas, le Klout Score était un indice de mesure d’influence sur Internet. Quechua avait osé rechercher un community manager qui connaissait a minima les réseaux sociaux (un score de 35 n’a rien d’extraordinaire) et non un community manager spécialiste de son métier à savoir des produits outdoor, pour le sport et les activités de montagne. Face aux réactions négatives, ils ont rapidement modifié cette annonce (en retirant cette référence au Klout Score), ce qui ne veut pas dire que ce critère de sélection a été abandonné. Au moins, quand il était indiqué sur l’offre, c’était clair et transparent.
L’évolution du SEO
En SEO (référencement), on en était encore au nombre de liens entrants et aux balises de mots clés. On n’était pas encore passé à la qualité des liens entrants.
Et puis, d’une manière générale, il y avait nettement moins d’outils à disposition qu’aujourd’hui.
2010 : le temps des pionniers
En termes de stratégie (en tout cas en France), ceux qui parlaient de social selling, de marketing automation ou d’inbound marketing étaient vraiment précurseurs.
Vers un digital de plus en plus technique
Depuis, les outils et les approches se sont multipliés. Ces outils font partie du quotidien des consommateurs et des acheteurs. Les outils et les approches sont devenus de plus en plus complexes. Un profil généraliste peut avoir une bonne vision globale des outils, de leurs performances, de leurs impacts potentiels, mais pour être réellement performant sur l’un ou l’autre sujet, il faut un spécialiste. Bien couvrir les différents sujets digitaux est devenu une affaire de multi spécialistes. Raison pour laquelle le réseau Business On Line compte une quarantaine de personnes.
En termes de SEO, il faut des compétences techniques (structures et architectures de sites), des compétences en création de liens, en rédaction de contenu et maintenant en UX (user-experience) puisque Google prend de plus en plus en compte l’interaction entre le visiteur et le site Internet. J’ai rencontré des personnes qui connaissent ces 4 sujets, qui peuvent en parler, qui peuvent conseiller. Mais je ne connais pas de profil techniquement pertinent sur tous ces thèmes et capable à la fois de :
– relever et corriger les problèmes techniques d’un site,
– rédiger un article optimisé qui sera référencé sur des mots clés pertinents en quelques semaines,
– créer une campagne de liens entrants pertinents et contribuant à l’amélioration de l’autorité du site,
– capable de détecter les manques en termes d’UX et d’y apporter une réponse.
Des moutons à 5 pattes ?
Je rencontre d’ailleurs souvent des TPE / PME qui me disent : mon prestataire (freelance) ou mon agence n’est pas un spécialiste du code / n’arrive pas à créer de « bons » liens / écrit des articles qui sont très mal référencés. C’est souvent ce dernier point qui est le plus difficile à traiter. Des rédacteurs qui savent rédiger du contenu pour le SEO sont rares. Beaucoup le prétendent et ne passent pas le cap d’un examen rapide de leurs références. Une étude américaine de début 2018 indiquait que 95% des pages publiées ne sont jamais référencées dans les 10 premiers résultats dans les 12 mois qui suivent leur mise en ligne. Ecrire pour écrire, pourquoi pas, mais je pense qu’il est plus efficace d’écrire pour être vu (ou trouvé), lu et pour que cela déclenche ensuite une action.
L’heure des micro spécialistes
Chaque réseau social est devenu très pointu (si on veut réellement y être efficace). Aujourd’hui, il n’y a plus comme il y a encore 5 ans, de spécialiste des réseaux sociaux, il y a des spécialistes de chaque réseau social. Quand on regarde les micro influenceurs, ils sont très rares à maîtriser (à être très efficaces) ne serait-ce que sur 2 réseaux sociaux. On a affaire à des hyper spécialistes de LinkedIn, de Twitter, d’Instagram, de Facebook, de Snapchat.
J’ai d’ailleurs dit à mon éditeur, qui me demandait une nouvelle édition de La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux, que ce n’était plus possible aujourd’hui (sauf à survoler le sujet) et qu’il fallait désormais une « Boîte à Outils » pour chaque réseau social.
Je ne suis pas du genre à dire « on a toujours fait comme ça » ou « oui mais avant on faisait comme ça », à m’endormir sur des connaissances qui ne sont plus à jour et en phase avec la situation du moment. J’essaie de me confronter le plus possible au réel. Ce qui m’intéresse, pour mes clients, n’est pas ce qui marche pour une minorité atypique mais ce qui fonctionne pour le plus grand nombre et surtout ce qui est le plus susceptible de leur apporter les résultats qu’ils attendent.
Connaissance du secteur / Connaissance des outils ?
Aujourd’hui, je suis de plus en plus convaincu que c’est la connaissance technique qui prime et que la connaissance du secteur est secondaire. Elle peut s’acquérir plus facilement. Je suis même assez convaincu (je prépare un article sur le sujet) que la connaissance du secteur peut être un très gros handicap, notamment sur les sujets digitaux. Je vois, soit en rendez-vous soit en examinant leurs campages, des entreprises leaders de leurs secteurs et dont les équipes sont des professionnels du métier, se planter totalement (ou fortement sous performer) parce que leurs connaissancee off line sont devenus des points bloquants et des croyances limitantes dans leurs activités online.
Après avoir analysé par la data des dizaines d’entreprises et de marchés online (assurance, produits financiers (gestion privée) santé, pharmacie, logistique, loisirs, automobile, food, énergie, industrie…).
Garbage In = Garbage out
Il y a d’ailleurs eu un exemple très intéressant sur LinkedIn il y a quelques semaines. Le Directeur Général de l’activité BtoB d’un grand groupe français a fait un post sur LinkedIn. Dans ce post, il partage une analyse qu’il fait (peut-être l’analyse vient-elle de son équipe) d’un segment de son marché. C’est apparemment un vrai challenge pour l’entreprise. La preuve en est que c’est le DG lui-même qui s’implique personnellement. Et il annonce dans ce post des éléments de réponse apportés par son équipe. Ce DG est un pro du secteur. Il le connait bien. Cela fait des années qu’il y exerce, ainsi que toute l’équipe marketing. Néanmoins, malgré leur connaissance du secteur (mais c’est essentiellement une connaissance offline), le diagnostic qui est fait est faux et la réponse apportée n’est donc pas adaptée : Garbage In / Garbage Out. Ce n’est qu’un spécialiste du web, qui ne connait rien à leur secteur qui leur a trouvé la solution en quelques jours, solution qu’ils cherchaient depuis des mois.
Le contributeur :
Après 15 de Direction Commerciale et Marketing en BtoB, Cyril Bladier a créé Business-on-Line; agence digitale en réseau. Il est spécialisé dans les stratégies digitales et expert de LinkedIn. Professeur à HEC / Google@HEC / ESCP / Neoma BS, il anime des conférences et accompagne entrepreneurs, dirigeants et entreprises dans leurs stratégies digitales (BtoB, BtoC, RH). Il anime le blog B2B. Il a co-écrit «Réussir avec les Réseaux Sociaux» (L’Express Réussir) et «Le Marketing de Soi» (Eyrolles, 01/2014). Il a écrit «La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux» (Dunod, 02/2012), nominé pour le prix «Livre influent de l’année 2012 dans le digital» du HubForum; et La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux_ Edition 2014 (Dunod, 01/2014). Il est membre fondateur et membre du bureau de l’Association Française des Décideurs du Digital.