Success Beyond Success: la quête de sens de l’entrepreneur
Vivre l’échec de son entreprise n’est jamais simple. Mais pour les entrepreneurs qui ont réussi à valoriser leur entreprise et qui, après une cession, se retrouvent à l’abri du besoin, se pose la question fondamentale de la quête de sens. La prise de conscience que le succès n’était finalement pas le but ultime pour lequel ils s’étaient battus est plus ou moins facile à gérer. Alexandre Mars ou Pascal Lorne donnent des pistes intéressantes.
J’ai croisé Pascal Lorne il y a une quinzaine d’années. Le fonds d’investissement qui était à mon capital voulait investir dans ISMAP (fondée par Ivan Lorne et Pascal Lorne), et m’avait demandé de faire un audit. Nous avions à peu près le même âge, moins de 30 ans à l’époque. Il y avait chez Pascal une énergie et une volonté de réussir qui m’avaient impressionné. Cet été, Pascal Lorne expliquait dans les Echos «faire le choix de s'enrichir des autres plutôt que de s'appauvrir seul, gavé de millions». L’homme qui avait revendu Miyowa 59 millions d'euros à une entreprise américaine a investi sa fortune dans le social et l’environnemental, rejoignant ainsi la démarche d’autres entrepreneurs comme Alexandre Mars.
La manière dont les gens peuvent gérer une belle «sortie» m’a toujours intéressé. J’ai vu dans les années 1998-2000 tellement d’amis ou de connaissances perdre pied après avoir «réussi» que le sens des choses est devenu pour moi, comme pour beaucoup, une question essentielle en tant qu’entrepreneur.
La plupart des gens, au quotidien, luttent sur les premiers étages de la pyramide de Maslow: besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins d’appartenance puis de reconnaissance. L’entrepreneur n’échappe pas à la règle (sauf à naître déjà riche). Le monde codifié dans lequel on vit définit l’argent comme un ressort essentiel du bonheur; la notion de besoin physiologique et de besoin de sécurité a été remodelée par un modèle consumériste. Il faut toujours plus, à la fois pour «vivre» mais aussi pour être reconnu. Le fait que l’entrepreneur ait son destin entre ses mains lui donne une pression supplémentaire. S’il échoue, ce ne sera pas à cause de son employeur, de facteurs exogènes, mais bien à cause de lui. Pour «réussir», il va peu à peu consentir à tous les sacrifices.
En réalité, les gens ne travaillent pas pour gagner de l’argent et «réussir». Ils essaient de gagner de l’argent car ils pensent que c’est une clé essentielle pour atteindre ce que le philosophe Fred Kaufman, VP chez LinkedIn, appelle «Success beyond Success»: bonheur, liberté, paix, amour, sagesse. Des choses que l’entrepreneur va souvent volontairement sacrifier à court terme pour les différer: lorsque j’aurai réussi, alors je pourrai être heureux, libre, en paix… L’accomplissement final, le sommet de la pyramide de Maslow.
Dès lors que l’entrepreneur revend avec succès son entreprise, il découvre souvent que la réalité est un peu différente.
- L’argent isole. Lorsque vous êtes arrivé à couvrir vos besoins essentiels, la plupart des gens sont eux encore à la lutte pour vivre ou survivre, faire face aux contingences du quotidien. Passé le stade très éphémère de la reconnaissance de la réussite où l’entrepreneur est félicité pour son «exit», les gens qui l’encourageaient, le soutenaient dans sa quête s’éloignent; redirigent leur attention sur ceux qui, comme eux, sont à la lutte. Vous avez du temps pour vous intéresser au dernier étage de la pyramide de Maslow, mais eux n’en ont pas.
- Ainsi le troisième et le quatrième étage de la pyramide s’écroulent, ou du moins se rétrécissent considérablement. Vous faites désormais partie du club de ceux qui ont du temps pour réfléchir, se poser des questions. Mais vous n’êtes pas très nombreux, et vous tournez vite en rond entre vous.
- Tous les sacrifices que vous avez faits pour en arriver là résonnent alors différemment. C’est le moment où l’on découvre – parfois trop tard – que le «Success Beyond Success» n’est pas quelque chose qu’on peut différer, planifier: je sacrifie x années de ma vie et je serai heureux après. Non, cela ne fonctionne pas ainsi.
- Enfin vous comprenez rapidement qu’il vaut mieux garder tout cela pour vous, tellement cela génère une vague d’incompréhension.
Découvrir cela, en particulier lorsqu’on est jeune, est d’une violence extrême. L’histoire de Fabrice Grinda, l’emblème des années 2000, résume à elle seule les difficultés auxquelles on peut être confronté dans ce type de situation.
Que faire une fois arrivé à cette conclusion? Cinq pistes:
- Continuer à développer l’entreprise qu’on a créée, même après l’avoir vendue. La développer, mais différemment, avec plus de recul, de sérénité. Quitte à prendre le risque qu’un jour le vent tourne et qu’il faille gérer de la décroissance, de la restructuration, des moments difficiles inconnus jusqu’alors.
- Consacrer son temps à ses passions: le sport, l’art, les voyages…
- Repartir pour une nouvelle aventure entrepreneuriale. Remettre en quelque sorte son «titre» en jeu. Accepter le risque d’un échec, tenter de faire mieux, pas forcément en termes de plus-value mais par exemple en termes humains.
- Gérer son capital, le développer en réinvestissant et en transmettant son savoir-faire à d’autres entrepreneurs
- Aider les autres, de manière désintéressée. Prendre le risque de rogner, d’affaiblir la base de la pyramide, la couverture des besoins de sécurité, de s’exposer, en investissant son capital dans des projets sociaux, environnementaux, humanitaires. En consacrant son temps, peut être le bien le plus précieux, à aider les autres sans attente de retour.
Aucune de ces pistes n’est simple à vivre et à assumer. Certaines sont plus pérennes que d’autres. La dernière n’échappe même pas à la critique: «ça cache quelque chose», «c’est pour se donner bonne conscience, c’est facile dans sa position», etc. La nature humaine est parfois cruelle.
A tous les entrepreneurs qui ont pris l’une de ces voies et qui chaque jour essaient de lui donner du sens: vous n’avez pas gagné votre argent par hasard mais par votre travail, vous êtes libres d’en faire ce que bon vous semble et on ne peut que vous souhaiter d’avoir trouvé la paix.
A ceux qui comme Pascal Lorne ont choisi d’aider les autres et d’en faire un nouveau projet de vie, je ne peux que dire mon admiration et écrire cet article.
Diplômé de l’Ecole Centrale Paris, fondateur en 1994 de l’agence digitale FRA cédée 7 ans plus tard à Digitas, Jean-Louis Bénard a participé à la mise en place des premières plateformes e-commerce en France, dont Ooshop.
Depuis 2003, Il est CEO de Brainsonic, agence digitale et éditeur de la plateforme cloud Sociabble, présente à Paris, Lyon et New-York. Il est également cofondateur de Novathings (objets connectés). Auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages dont Extreme Programming (Eyrolles), il intervient en tant qu’ Advisory Board Member à Ecole Centrale Paris Executive Education.
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A la différence de ce que vous écrivez, les gens ne travaillent pas pour gagner de l’argent mais pour réussir, avec mon expérience d’entrepreneur, je crois que pour réussir il faut avoir envie de gagner de l’argent, beaucoup d’argent pour avoir le pouvoir. Comme beaucoup de créateurs, je me disais que ma motivation c’était d’être libre, c’est de la naïveté pour justifier beaucoup de sacrifices. Pour être libre, il ne faut avoir ni clients, ni salariés, ni associés, ni banque, etc. il est préférable de partir sur la route avec son sac à dos.
Moi je préfère cette liberté dont vous parlez avec des clients, des salariés, des associés, pour moi c’est l’essence même du « Succes beyond succes ».
Je ne parle pas de ce que vous préférez, c’est votre choix, je parle de ce qui est à mon avis un facteur clé de réussite pour un entrepreneur. Est-ce que l’on réussi parce que l’on veut être libre ? Pas beaucoup de bisounours au sommet. C’est plus agréable, social, conformiste de se dire qu’on aime la liberté plutôt que l’argent.