Tendances du content marketing : le déclin accéléré des contenus «mous»
Le contenu de marque – réalisé en interne (brand content) ou par les médias (en propre ou «branded-content») est désormais soumis à une féroce concurrence. Le «temps de cerveau disponible» se réduit, il faut être de plus en plus efficace, ou occuper des territoires nouveaux.
1- La qualité de l’attention prend le pas sur la quantité
Le tsunami de contenus qui s’est abattu sur les lecteurs-consommateurs est tel, qu’il a conduit à une diminution de leur attention, avec comme corolaire, un problème d’efficacité publicitaire. Celle-ci s’est traduite par une lente érosion des tarifs sur la publicité display traditionnelle sur le Web.
Le CPM n’a cessé de chuter sur les bannières et pose aujourd’hui un sérieux problème de financement des médias qui avaient opté pour ce modèle unique. Pour les annonceurs – longtemps dindons d’une farce médiatique qui surévaluait l’impact réel des campagnes – est venu le temps de produire leurs propres contenus ou de faire produire, mais avec un souci de capter l’attention réelle des lecteurs.
Côté médias, la solution principale a été jusque-là, de compenser le déclin du tarif à l’unité par le volume, ce qui a déformé les lignes éditoriales des producteurs d’information, de plus en plus tentés par des sujets «faciles», fortement apporteurs de trafic : dramatiques, polémiques, pratiques sur des sujets à fort enjeu (immobilier, classement des hôpitaux…). Une dramatisation et une polémisation qui se sont accentuées avec l’apparition de Facebook pour qui la seule valeur repose, jusqu’à nouvel ordre, sur l’engagement (taux de clics, likes et partages).
Mais tout excès de stimulation conduit à l’accoutumance et le déclin des taux de clics se faisant sentir sur les accroches et sujets racoleurs, s’amorce un changement très notable. Désormais, le temps passé sur les contenus prend le pas sur les clics ou les visites, car mieux il est mieux évalué qu’autrefois.
Déjà en 2014, Facebook annonçait qu’il sanctionnerait les distorsions entre taux de clics et temps passé sur la page. Si vous cliquez massivement sur un titre prometteur comme «Cet enfant de six ans est un génie, vous n’avez jamais vu une chose aussi surprenante», mais que vous n’y restez que quelques secondes, c’est que vous avez été trompé. Le titre n’était pas prometteur, il était racoleur. L’algorithme de tri de Facebook a déjà commencé à sanctionner ces pratiques.
Aux États-Unis, Chartbeat a mis au point une technique certifiée par le Media Ratings Concil – leur «Médiamétrie» national – pour mesurer l’attention réelle des internautes sur les pages et les publicités en particulier. Les impressions ne sont validées que si l’internaute a été exposé au moins cinq secondes à une annonce – cela mesuré par les mouvements de la souris. Par ailleurs, l’absence de mouvement de la souris prolongé plus de 5 secondes met un terme au compteur de temps passé sur l’article. The Economist, The Financial Times, la BBC et d’autres ont commencé à utiliser ce critère d’attention effectif pour valoriser leur inventaire publicitaire.
Une excellente nouvelle pour ceux qui veulent sortir de la course à l’audience qui ne tire pas forcément les contenus vers le haut, et exploite volontiers nos instincts les plus animaux (émotionnels).
Je gage qu’à terme, le temps passé sur un contenu sera l’un des critères principaux de Google, en plus des partages et commentaires, pour évaluer la qualité des contenus proposé et donc une clé déterminante du référencement naturel. C’est le sens de l’histoire.
2- Le temps réel couplé au social séduit marques et médias
Facebook Live, Periscope, YouTube Live ou Snapchat s’imposent sur l’événementiel et proposent une synergie intéressante avec la télévision (synchrone). En témoigne par exemple l’activité des twittos en direct des émissions de télé-réalité, ou encore les directs de Nikos Aliagas sur Periscope.
A l’heure de la délinéarisation audio-visuelle (télé de rattrapage, podcasts…) de la fragmentation des usages, des communautés et tribus identitaires, le live retrouve une nouvelle jeunesse via les technologies et le mobile.
Il existe toujours ce besoin de vivre la même chose au même moment, même si les occasions de se retrouver et de se fédérer se réduisent. La télévision synchrone et la grand-messe du JT ont certes du souci à se faire. Mais sur de l’événementiel à fort impact (l’Euro de football, une élection présidentielle) et en ayant recours à des supports et canaux de diffusion nouveaux (le mobile et les réseaux sociaux), on peut rassembler en temps réel !
En réalité, la fonction «télé» n’est pas morte, elle a muté et s’est démultipliée sur de nombreux outils et vecteurs.
3- La fin des contenus moyens, tièdes ou médiocres
Conséquence directe du rapport entre l’offre et la demande. Soit vous êtes réactif, voire à l’origine de l’information (scoop?), soit vous arrivez plus tard, mais vous devez en ce cas proposer un contenu riche et innovant, sur la forme et le fond. Les contenus tardifs redondants, peu utiles, peu agréables sur la forme sont condamnés dès l’origine à ne pas être vus. Invraisemblable le nombre de contenus qui ne servent à rien !
4- Les réseaux sociaux deviennent des médias sociaux
Facebook, LinkedIn, Snapchat encouragent directement la publication de contenus sur leur plateforme. Tout comme Medium, crée d’ailleurs, par un ancien de Twitter (Dick Costolo). La fin de la limite de 140 caractères de Twitter qu’on annonce prochaine, s’inscrit dans cette tendance : pouvoir publier tout le contenu sans cliquer vers l’extérieur.
Pour le lecteur, c’est certes un confort supplémentaire, car il y gagne en effet en temps de chargement. Mais c’est surtout un moyen pour les réseaux sociaux de court-circuiter les producteurs de contenus qui perdent ainsi la maîtrise de leur distribution, ainsi que les données de leurs utilisateurs. Et cette diffusion aujourd’hui gratuite de leurs contenus pourrait bien devenir payante demain, puisque c’est la plateforme sociale qui contrôle le robinet de diffusion, via l’algorithme de tri (auquel sont passés Instagram et Twitter au passage). D’où la baisse récurrente du «reach» de Facebook : comme pour le dealer de drogue, désormais il faut payer.
5- Les messageries mobile taillent des croupières aux réseaux sociaux
C’est pour moi le signe d’un repli communautaire vers sa tribu, ses proches. Fin de l’utopie du village planétaire (cf Mc Luhan), du “tous amis”. Finalement la nouvelle génération est beaucoup moins exhibitionniste que la précédente. Elle privilégie là-encore la qualité à la quantité, certes en fusion totale avec quelques personnes, mais pas en déballage permanent avec tout le monde, comme leurs parents sur Facebook.
6- Accélération de la consommation vidéo
C’est d’abord la conséquence d’une évolution technique : la capacité de la bande passante a augmenté à tous les niveaux (câble, ADSL, 4G…). Ensuite, il y a une interaction positive entre video, mobile et réseaux sociaux. L’avènement de chacune de ces technologie nourrit et alimente l’autre. Mais on remarque le succès des formats là-encore plus contrastés : soit courts et surtitrés (pouvoir se passer du son dans les lieux publics ou au travail). Soit très longs, très scénarisés et travaillés avec une forte valeur ajoutée et un discours original.
7- Des contenus plus interactifs
Désormais, le lecteur urbain tertiarisé veut non seulement être informé, mais aussi être consulté et impliqué. Rien de nouveau sous le soleil : quand vous faites interagir votre audience, elle est plus attentive, plus réceptive et plus facilement convaincue par votre propos.
Proposer à son public d’être co-producteur des contenus qu’on lui propose est une arme de narration redoutable. De fait, la meilleure technologie de réalité immersive, c’est le roman, co-construit par l’imagination du lecteur. Qu’il s’agisse de quiz, de data-journalisme, de serious-games à clé… Inciter le lecteur à participer, c’est décupler son impact. A condition de ne pas lui en demander trop, en termes d’effort ou de fréquence.
8- Toujours davantage de personnalisation
Le recueil des données des utilisateurs combiné au traitement algorithmique ultra-rapide de l’information, permet désormais de faire du ciblage fin, dans le temps et l’espace. Proposer le bon contenu à la bonne personne au bon moment. C’est la recette du succès de Facebook, de Criteo et autres outils de ciblage (ou reciblage).
Il y a toutefois deux écueils à ce nouvel eldorado de la «programmatique». Le premier se situe dans la crainte croissante vis-à-vis des données personnelles, comme le montrent quelques récentes études américaines. Le deuxième danger découle de la lassitude par rapport à la caisse de résonance socio-culturelle : qu’on nous propose toujours ce que l’on aime déjà, au risque de ne pas nous faire découvrir de nouveautés. Il faudra réinjecter de l’aléatoire, de l’humain, du risque. Sinon, le ressort de l’intérêt finira par se gripper.
Article initialement publié sur Mediaculture.
Cyrille Frank est journaliste. Fondateur de Mediaculture.fr et Quoi.info («l'actualité expliquée», devenu «ça m'intéresse»), il accompagne les médias dans leur mutation numérique. Formateur en marketing de contenus, stratégie éditoriale (augmentation de trafic, fidélisation, monétisation d’audience) et en usages des réseaux sociaux (acquisition de trafic, engagement…).
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