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Transformation Digitale : mais de quoi on parle ?

Par Cyril Bladier, fondateur de Business-on-Line

« Transformation digitale », « transformation numérique »; cela fait partie des expressions que l’on voit un peu partout, mises à toutes les sauces et qui recouvrent quasiment autant de réalités que de profils qui en parlent. Je partage ici ma vision de ce que j’entends par transformation numérique : le digital et donc la transformation digitale ce n’est pas un objectif, c’est un outil. L’objectif n’est pas le numérique mais de s’adapter aux changements et à la modernisation des mentalités et des pratiques.

Je passe rapidement sur la leçon de français : on ne devrait dire que Transformation Numérique puisque Digital n’a qu’un seul sens : « qui appartient aux doigts » (Dictionnaire de l’Académie Française). Je trouve ce débat quelque peu archaïque. Digital dans ce contexte vient de l’anglais. Tout le monde le comprend et c’est très bien comme ça.

Contrairement à ce que j’imaginais, c’est une expression assez récente : Google Trends indique en effet un début d’émergence en 2014. Elle est à l’origine de nouveaux postes en entreprise (Chief Transformation Officer / Chief Digital Officer), de nouveaux concepts, de nouvelles manières de faire.

Ce qui est clair c’est que le sujet impressionne. Il fait peur. A la fois aux dirigeants qui, pour la plupart n’y ont ni été formés ni été préparés. La plupart des dirigeants actuels n’a même pas eu 1 heure de formation à Excel en 3 ans d’études supérieures et quand ils ont fait leurs études, on en était encore aux téléphones fixes / télécopieurs / fax ou Radiocom 2000 pour les plus précurseurs. Ils ont donc pris ces changements de plein fouet sans aucune préparation, ni formation, ni clé de lecture.

Mais cela concerne aussi les collaborateurs de l’entreprise avec un effet encore plus anxiogène dans la mesure où digital rime avec brutal et digitalisation avec réorganisation. En effet ces bouleversements sont rapides, parfois violents. Ils impliquent des changements d’organisation, de travail, de poste… auxquels les collaborateurs sont souvent moins bien préparés et informés que leurs dirigeants.

D’où vient cette nécessaire transformation ?

Pour moi c’est l’arrivée de nouveaux outils dans les mains des consommateurs et des acheteurs qui a bouleversé la donne et qui oblige / contraint les entreprises à s’y adapter.

J’ai retrouvé un des premiers cours que j’ai donnés en école de commerce (Avril 2011, ESC Reims, ce n’était pas encore Neoma à l’époque). Voici en synthèse ce que j’expliquais alors à mes étudiants :

« En marketing traditionnel, pour les marques, le schéma était simple : presse, magazines, affichage, radio, TV, emailing pour être « top of mind’ c’est à dire présente à l’esprit du consommateur quand il doit choisir le produit A ou B. Problèmes pour le consommateur : d’une part, c’est une communication « one-way » et d’autre part, c’est du marketing de l’interruption (l’expression est de Seth Godin).

Seth est brillant et il a dit et écrit beaucoup de bonnes choses. Mais je pense qu’il n’a rien inventé et qu’une bonne partie de sa pensée vient de John Wanamaker :

Je ne sais pas de quelle année date cette déclaration brillamment lucide mais ce visionnaire est décédé en 1922…

Le marketing traditionnel est très marqué et depuis des décennies, par des approches très push : on pousse sa marque, ses contenus, ses offres en multipliant les opportunités de prise de parole dans des médias de masse ou par un ciblage socio démographique en investissant un support ou un média dont on pense qu’il permettra de toucher une audience cible en fonction de son profil et non en fonction de ses besoins. Dans le marketing traditionnel on part du principe que puisque des profils sont semblables ils pourraient avoir les mêmes besoins.

Dans les faits, c’était une sorte de « tais-toi et achète ».

Du côté des marques, ce n’était pas la panacée non plus. Elles étaient en quelque sorte aveugles : peu ou pas de contact direct avec les clients (surtout en BtoC) et dépendantes de spécialistes des enquêtes et sondages dont tout le monde sait que les données ont plusieurs défauts. D’une part, même avec la plus extrême vigilance il est extrêmement difficile de poser des questions qui n’induisent pas de réponse et ne soient empreintes d’aucun biais cognitif ; d’autre part du côté des répondants, la réponse socialement acceptable fausse elle aussi les données recueillies. Enfin, la question de la représentativité des personnes interrogées reste posée. Exemple : quelqu’un n’assume pas de changer de brosse à dents 1 fois par an et va indiquer qu’il en change tous les trimestres. On connait bien ce phénomène dans les sondages politiques où des votes pour tel ou tel parti ne sont toujours pas assumés. Et, comme le disait un de mes profs « je n’ai jamais déjeuné avec une étude de marché ».

Autre difficulté du marketing traditionnel pour les marques : en 1965, il fallait 3 spots tv pour toucher les américains, en 2010 il en fallait 120… et pas au même tarif.

Et c’est là qu’Internet a modifié la donne : Google, SEO, forums, blogs, réseaux sociaux, vidéo, Opt-in…

Induisant donc de nouveaux comportements et de nouveaux pouvoirs du consommateur (par commodité, j’inclue les acheteurs pros dans les consommateurs) : il décide de l’heure, du support, du lieu, du contenu, il peut éviter la TV, il peut réagir et il a une voix ; qui exigent en retour une adaptation de la part des entreprises (d’où la transformation digitale). Faire de la publicité de masse en espérant convaincre quelques individus a un sens économique de moins en moins évident. On passe de l’interruption à l’engagement, du one to many au many to many, de la réaction à la participation, du ROI à l’influence et de la communication de masse aux conversations».

Plusieurs lecteurs n’ont peut-être pas appris grand-chose dans ces quelques lignes, mais il faut se remettre dans le contexte : à savoir avril 2011.

La transformation numérique, c’est donc au départ une transformation des clients, de leurs usages, de leurs comportements, de leurs habitudes et de leurs attentes. Changements auxquels les entreprises doivent s’adapter. C’est que ce j’appelle la transformation digitale.

Très concrètement cette évolution doit obliger les entreprises à passer d’un fonctionnement auto centré sur l’interne et les produits (on embauche marketers et commerciaux pour vendre ce qui est produit par l’usine) à un fonctionnement piloté par les clients, leurs besoins et leurs attentes.

Le digital et donc la transformation digitale ce n’est pas un objectif, c’est un outil. L’objectif n’est pas le numérique mais de s’adapter aux changements et à la modernisation des mentalités et des pratiques.

Mettre en place la transformation digitale

La mise en place des changements occasionnés par cette évolution des clients ne se limite pas à une évolution du marketing ni à la mise en place d’un CRM. Ce devrait plutôt être un changement vers une organisation réellement « customer-centric » et donc basée sur une profonde connaissance client.

D’un point de vue marketing, c’est comprendre que l’approche Push en digital n’est qu’une transposition online de ce qui se fait offline, sans tenir compte des spécificités du web. Internet n’est pas un miroir de la « real life ». Sur Internet, le comportement de l’acheteur ou de l’internaute est différent. Il est notamment actif (il cherche une information, un service, un produit…), alors qu’il est passif dans un contexte de marketing traditionnel. Il ne s’agit plus que de cibler des médias en fonction de l’audience qu’on veut toucher mais de cibler des besoins exprimés par des internautes en fonction des problèmes qu’ils rencontrent. Le marketing digital doit donc impérativement intégrer une approche Pull pour être pertinente et efficace. En ligne, on ne cible plus des profils CSP+, mais des besoins exprimés. Seule une poignée d’agences ou de structures de conseil propose ce type d’approche basée sur la data.

Depuis quelques mois que je me suis réellement intéressé au sujet, je découvre la valeur et la puissance que la data peut apporter, que ce soit en connaissance client, compréhension de la concurrence ou développement business.

Cela reste relativement artisanal, les outils n’ont pas encore une fiabilité de 100%, mais les insights qu’on en tire sont bluffants. Il n’y a pas un client à qui on n’a pas appris quelque chose sur son marché ou sur ses concurrents. Ce sont des missions de quelques mois, mais nos clients font réellement un pas de géant dans la compréhension de leur écosystème online et dans la performance de leurs actions marketing.

Ce qui me surprend le plus avec l’analyse data

Quand nous mettons en place une approche basée sur la data à un client, nous analysons toujours 4 à 6 concurrents, selon ce qu’exige sa situation et ce que permet son budget. Cela permet d’avoir une vision plus globale d’un marché et de ce qu’il s’y passe.

Ma plus grande surprise vient de l’uniformité des approches quelque soit le secteur analysé : tout le monde fait la même chose dans toutes les industries. Aujourd’hui, le marketing ne s’est pas encore transformé. On a juste transposé online ce qu’on faisait offline, à savoir produire des contenus (articles, posts, blogs, tweets, vidéos…) qu’on pousse sur son site, son blog, ses médias sociaux, ses emails, ses livres blancs… centrés sur ses produits et ses services (« Parlez-moi de moi il n’y a que à que ça qui m’intéresse« , sauf qu’en marketing, cela veut dire de parler aux clients de leurs problèmes et de ce qui les touchent donc, ce devrait être « parlons-leur d’eux, il n’y a que ça qui les intéresse« ), ouverts à tous et en espérant qu’au fil de leurs parcours de compréhension et d’achat en ligne, ceux qu’on veut toucher puissent les trouver et les consommer.

J’en ai parlé dans de très nombreux articles : cela s’appelle du « Hope Marketing » : on fait quelque chose en espérant qu’il se passe autre chose.

Il n’y a qu’à regarder la part de trafic brandé sur un site Internet. Le trafic brandé vient de tous ceux qui ont cherché spécifiquement une marque ou un produit. On est fréquemment à plus de 90% voire 95% de trafic brandé via les moteurs de recherche, sans compter le trafic direct (on tape directement l’adresse du site ou on y accède via un raccourci dans son navigateur donc sans passer par un moteur de recherche). Ce trafic est important. C’est un reflet, un bon baromètre de la puissance d’une marque, mais si on veut développer son business, prendre des parts de marché, résister à la concurrence, il est indispensable de travailler sur l’accès au site (qui doit rester la base de la présence online) via des requêtes non brandées.

Quand nous faisons nos analyses, j’ai souvent l’impression que le client n’est pas un sujet. Le client serait roi mais ce roi n’est pas un sujet. Je ne donnerai pas de nom d’entreprise, ni même de secteur, mais un dirigeant me confiait récemment (assez dépité) : « nos équipes marketing ne sont concentrées que sur nos concurrents. On se fout du client. Cela n’intéresse personne. Quand un concurrent fait une erreur, les autres font la même« .

Une des erreurs fréquemment faites est de regarder son marché online par la présence de ses concurrents offline. Souvent ce ne sont pas les mêmes. En ligne, vos concurrents, ce sont les sites qui apparaissent en page 1 des résultats des moteurs de recherche sur des requêtes que vous ciblez. Votre concurrent offline peut ne pas être un concurrent online.

Transformation de la vente

Il est aussi essentiel de penser à la transformation de la vente, notamment parce que les commerciaux sont les profils de l’entreprise qui sont au contact des clients. C’est l’approche que défend par exemple une organisation comme Efforst : aborder la transformation digitale par la transformation de la vente, par des spécialistes qui se sont rassemblés par complémentarité de compétences. Aujourd’hui, Efforst fait office de tiers de confiance auprès des donneurs d’ordre pour les mettre en relation avec les meilleurs spécialistes, triés sur le volet. Efforst : un cerveau collectif au service de la transformation digitale par la transformation de la vente.

Le paradoxe de la transformation numérique

Cette évolution nécessaire est comprise par de nombreux dirigeants. Néanmoins, entre la prise en compte, la définition et la mise en œuvre du plan d’action… il y a un fossé.

Les raisons en sont simples :

  • Dirigeants non formés / non préparés.
  • Mauvais choix / mauvaise approche.
  • Absence de prise en compte de cette nécessité.
  • Espoir de ne pas être touché (« ce n’est pas pour nous, notre secteur n’est pas touché »).
  • Focus court terme (source Accenture).
  • Simple amélioration de l’existant (source Accenture).

Toujours selon Accenture : « pour s’adapter à cette nouvelle ère digitale, une refonte complète des fondamentaux de l’entreprise est nécessaire. Il s’agit de modifier l’ADN d’une organisation pour que le digital fasse intrinsèquement partie de son fonctionnement, de son développement et de sa culture. La transformation digitale doit impliquer l’entreprise dans son ensemble – aussi bien dans la définition de la stratégie, la production des biens et des services et la capacité à transformer l’expérience client, que dans l’optimisation des opérations internes et la diffusion de la culture digitale dans toute l’organisation. »

Dans son rapport publié en 2016 (mais encore pertinent aujourd’hui je pense), Accenture relève un écart substantiel entre les intentions et les pratiques :

Conclusion

Dans ses vidéos « social media revolution » ou « Socialnomics » (tirées du livre éponyme), Eric Qualman indiquait en 2010 que « Le ROI des réseaux sociaux c’est que vous existerez encore dans 5 ans ». On le voit aujourd’hui, c’était quelque peu exagéré. En effet, les réseaux sociaux ont, dans l’ensemble, plus d’impact sur la notoriété que sur les ventes. Le ROI des réseaux sociaux est assez médiocre (selon l’American Marketing Association) et la plupart des dirigeants marketing en perçoivent davantage un ROI qualitatif que quantitatif (American Marketing Association).

On peut en revanche penser sérieusement aujourd’hui que le ROI de votre transformation numérique c’est que vous existerez encore dans 5 ans.

 

Le contributeur :

Après 15 de Direction Commerciale et Marketing en BtoB, Cyril Bladier a créé Business-on-Line; agence digitale en réseau. Il est spécialisé dans les stratégies digitales et expert de LinkedIn. Professeur à HEC / Google@HEC / ESCP / Neoma BS, il anime des conférences et accompagne entrepreneurs, dirigeants et entreprises dans leurs stratégies digitales (BtoB, BtoC, RH). Il anime le blog B2B. Il a co-écrit «Réussir avec les Réseaux Sociaux» (L’Express Réussir) et «Le Marketing de Soi» (Eyrolles, 01/2014). Il a écrit «La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux» (Dunod, 02/2012), nominé pour le prix «Livre influent de l’année 2012 dans le digital» du HubForum; et La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux_ Edition 2014 (Dunod, 01/2014). Il est membre fondateur et membre du bureau de l’Association Française des Décideurs du Digital. @businesson_line 

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