Un software qui aide à rationaliser vos processus? Fuyez!
Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb
Quand je regarde les discours des éditeurs de solutions B2B je note depuis quelques temps un changement profond. Alors que l’efficacité opérationnelle a été au cœur du message depuis des années on note un mouvement clair vers une promesse centrée utilisateur, expérience employé. «Vos collaborateurs vont adorer». Pourtant l’ancienne promesse n°1 n’a pas, et logiquement, disparu: des process plus efficaces. «On vous aide à rationaliser vos processus».
Best practice vs Best practices
Tous les grands éditeurs – et les plus petits aussi d’ailleurs – disposent d’un actif majeur: les meilleures pratiques observées chez leurs clients. C’est d’ailleurs un élément clé de leur proposition de valeur: on connait les meilleurs pratiques, notre solution est optimisée pour les mettre en œuvre et on va vous aider à le faire.
Partant de là deux approches sont possibles. Disposer d’un catalogue des meilleures pratiques et travailler avec le client à mettre en œuvre ce qui lui convient le mieux ou établir son propre «best of» et imposer the «one best way» à ses clients.
Et la seconde option me semble avoir la côte. Du côté client elle évite de passer du temps en analyses diverses, réflexion sur les meilleures options, et réinvention de choses qui au final ont déjà été inventées ailleurs. On a pas le choix et ça évite de se poser des questions et de toute manière on fait confiance à l’éditeur qui s’est longuement posé la question et dispose de l’expérience de centaines de clients. Côté éditeur cela simplifie le développement et les évolutions et permettent d’éviter le modèle usine à gaz qui a eu son heure de gloire mais finit par rebuter les clients en raison de paramétrages complexes et chronophages ainsi que forte allergie à la complication chez l’utilisateur final qu’il convient de plus d’accompagner et former. Ajoutons à cela que le modèle Saas qui est aujourd’hui la norme ne se prête que modérément aux customisations excessives.
Douloureuses leçons des projets ERP
J’en reviens à ce que Nicholas Carr disait dans «Does IT matter» et qui reste plus que jamais d’actualité. Les ERP, à l’époque où ils ont été la mode et constituaient le graal qui allait aider toutes les entreprises à faire des bonds spectaculaires en termes de performance » n’ont eu absolument aucun impact sur la compétitivité des entreprises. Tout le monde a utilisé les mêmes solutions, paramétrées par les mêmes cabinets de conseil qui s’inspiraient tous des mêmes best practices. Ce qui a eu un double résultat:
- Les entreprises qui ont réussi leur implémentation ont effectivement connu des gains notables en efficacité (on ne parlera pas des nombreux projets qui ont connu des dérapages de coût et de planning astronomiques).
- Tout le monde se mettant ainsi à opérer exactement de la même manière personne n’est parvenu à se distinguer de ses concurrents de par ses process. Selon les cas on a navigué entre nivellement (et pas toujours par le haut) et status quo.
Donc, effectivement, si c’est pour arriver à de tels résultats, le «one best way» est préférable: on arrive au même résultat en dépensant infiniment moins et prenant moins de risque sur son déploiement.
Vos pratiques peuvent-elles être constitutives d’un avantage concurrentiel?
Ce qui est la reconnaissance implicite qu’adopter les mêmes process HR, supply-chain etc que ses concurrents n’est pas un problème. Donc, logiquement, qu’on ne peut se différencier et acquérir un avantage concurrentiel par le biais de process «maison». Ou, autre option, qu’on préfère la sécurité de faire comme tout le monde au risque de gagner ou perdre beaucoup en s’éloignant du troupeau.
Sans avoir d’avis tranché en la matière j’ai du mal de croire qu’une entreprise ne puisse se distinguer de la concurrence par ses pratiques internes. D’ailleurs, et même si ça n’est pas une généralité, voire certaines grandes entreprises se lancer dans d’impressionnants développements maison pour, justement, ne pas devoir adopter les mêmes pratiques que leurs concurrents et pouvoir innover en la matière ne peut qu’interpeler. Et si on a beaucoup parlé de Delta il y a quelques temps pour le bug qui a paralysé leur système d’information, cela ne doit pas faire oublier qu’il est unanimement reconnu que le Passenger Service System de la compagnie américaine lui procure un avantage compétitif certain par rapport à ses rivales opérant avec des solutions du marché qui au final uniformisent leurs pratiques et ne leur offre pas la même latitude d’action ni d’adaptation.
Rationaliser n’est pas uniformiser
Derrière la promesse de la rationalisation des process c’est plutôt une uniformisation des pratiques qui est mise en œuvre. Garantie d’un moindre risque mais frein à l’innovation et à la recherche de l’avantage compétitif par l’organisation et les process.
Au final ce sont surtout les éditeurs qui ont pu rationnaliser leurs développements et leur roadmap.
Choisir le «one best way» est sécurisant. Mais il faut laisser la porte ouverte à la possibilité de l’améliorer ou le hacker pour être innovant et différenciant par ses pratiques. Et tout les éditeurs ne le permettent pas et c’est un élément à prendre en compte.
L’expert:
Bertrand Duperrin est Head of Employee and client expérience chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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Bonjour Bertrand,
Étant nous-mêmes éditeur d’une solution de gestion de processus, nous sommes d’un côté, en accord avec cette vision parfois « rigide » que peuvent avoir les processus. Néanmoins, d’un autre côté, nous sommes surpris quant à la méthode « one best way » évoquée ici. Le principe du BPM est bel et bien de modéliser son propre fonctionnement mais surtout de l’améliorer en continu et non de rester sur des procédures figées.
De plus en plus d’éditeurs intègrent des cycles d’amélioration dans leur logiciel. Chez nous, par exemple, nous travaillons longuement sur cette phase avec les clients. Nous avons implémenté une fonctionnalité qui permet de modifier un processus et de le redéployer quasi-immédiatement.
Les solutions de type ERP ont effectivement participé à cette image négative des progiciels. Mais l’idée du BPM est de rationaliser non pas les processus seuls mais bien l’ensemble du SI, des équipes et des documents.
« Le modèle Saas qui est aujourd’hui la norme ne se prête que modérément aux customisations excessives. ». Pour rappel, le Saas n’est qu’un mode de distribution. Peu importe le logiciel, on peut très bien faire mal en mode Saas qu’avec un modèle on premise classique.
Pour nous en tout cas, le mode SaaS permet une plus grande agilité du côté client. Plus besoin de passer par le service informatique pour modifier un processus. Les utilisateurs finaux bénéficient plus rapidement des dernières versions du logiciel. La relation entre éditeur et opérationnel devient plus interactive, ce qui nous permet, à nous éditeur, de répondre au mieux aux attentes des utilisateurs.
Sur le marché des éditeurs BPM, beaucoup d’innovation ont permis de justement lutter contre cette méthode « One best way ».
De plus, la rationalisation des processus doit avant tout libérer les utilisateurs finaux des tâches à faible valeur ajoutée. AInsi, on laisse plus de place à la réflexion et à l’innovation.
Si vous souhaitez échanger sur les différences entre ERP et BPM, nous serions ravis de pouvoir réunir nos opinions, car nous sommes tous d’accord pour dire que les ERP ont souvent tendance à alourdir le système.