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Waze annonce la fin du conducteur de voiture et l’avènement de l’ère du passager

Par Jean-Luc Raymond, expert Transformation numérique des TPE/PME et social media

Dans 15 ans, il n’y aura plus de conducteur, mais seulement des passagers en voiture. C’est l’annonce fracassante faite par Waze très récemment, l’air de rien, au soleil. Récit d’une matinée pas comme les autres.

Mais que venait faire Fej Shmuelevitz, brillant ingénieur de Waze – de son titre officiel Vice-président Opérations et Communauté – à l’évènement VIP B2B E-commerce One to One (lien URL vers https://www.ecommerce1to1.com ) qui s’est déroulé fin mars à Monaco ?

En plénière d’ouverture, devant le gotha des acteurs du commerce électronique, cette intervention intitulée « Le futur de la mobilité » voulait surprendre. Car si la logistique et le dernier kilomètre de livraison constituent toujours le casse-tête des « caddy men » du e-commerce, la mise en avant de l’ex-start up israélienne – petit poucet devenu pièce maîtresse dans l’échiquier Google-Alphabet depuis 2013 – par l’organisateur ComExposium… signifie bien que les nouveaux entrants du e-commerce ne sont plus là du tout où on les attend.

Pour mémo, rappelons-nous que discrètement, mais efficacement, en quelques années, l’ogre Waze a supplanté les GPS et autres systèmes cartographiques en ligne pour le conducteur en zone urbaine.

En France, l’appli compte aujourd’hui 9,4 millions d’automobilistes actifs mensuellement (chiffrage Médiamétrie) et 2 millions de véhicules l’utilisant. Elle s’est bâti une part du lion que bien peu de challengers semblent aujourd’hui pouvoir lui ravir.

C’est aussi sans compter les VTC et autres livreurs qui renseignent Waze… Car l’utilisateur de l’appli en est son principal contributeur à titre gracieux : « Je t’offre les données et tu me délivres le service ». Tel est le refrain implicite du Roi Lion dans la jungle des voies de villes à travers le monde avec 100 millions de conducteurs actifs adeptes de la petite auto sympathique logotypée.

C’est le conducteur qui dessine la carte de la ville avec son GPS

« Il y a 10 ans, l’iPhone est né. Il y a 10 ans, j’ai rejoint Waze et la révolution de la mobilité ». Sur scène, les premiers mots de Fej Shmuelevitz résonnent façon gourou boxant dans la catégorie premium. « Certes, Steve Jobs n’est plus là, mais nous avons Elon Musk ».

Derrière cette épopée lyrique, on s’attend à des prophéties en mode « certitudes », mais l’homme au look de développeur se ravise pour nous entretenir des problématiques de mobilité de façon plus terre à terre : « A Manille, 10 kilomètres = 40 minutes de trajet ».

« Ce n’est pas mieux à Paris » grommelle mon voisin de derrière enfoncé dans le très confortable fauteuil de l’auditorium du Grimaldi Forum. Pourtant, dans la capitale, on met en moyenne 20 minutes pour faire 10 kilomètres. Qu’on se rassure, en France, on compte 20% de plus de véhicules individuels sur les 20 dernières années avec un âge moyen des 4 roues de 9 ans. L’automobile est reine dans les villes ; jusqu’à quand ?

Car, si la voiture selon notre geek made in Google, est devenue aussi facile qu’à acheter qu’un smartphone (NDLR : on évoque la manière d’acheter et non pas une comparaison tarifaire) ;designer, concevoir, fabriquer et commercialiser une automobile prend beaucoup de temps… 8 ans ! On ne convoque plus à ce moment précis Elon Musk et ses retards sur la fabrication et les livraisons de Tesla.

Sur le mode « Il était une fois Waze », notre ami de circonstance Fej explique comment l’application agrège tant d’infos utiles pour ses utilisateurs (mais évidemment aussi pour ses publicités… Chuuut !). « C’est facile à comprendre, un point de GPS = 1 mètre » et mois après mois, on voit sur l’écran les contours des rues d’une ville de l’ex-Europe de l’Est apparaître sous nos yeux esbaudis. Ce n’est pas une carte de voies urbaines qui se dessine, mais des veinules et des artères de trajets. Vraiment impressionnant, ce flot de data esquissant les territoires.

Le « Wikipédia des conducteurs » : vraiment ?

« Évidemment, la carte est incomplète, toujours incomplète », souligne l’intervenant à la volée, car 10 à 15 % des routes changent chaque année dans le monde d’où l’importance d’avoir recours à la communauté de 500 000 contributeurs et de « nous préoccuper avant tout des conducteurs » avec un résultat significatif de 15 millions de corrections sur la plate-forme chaque mois.

« Waze est le Wikipédia des conducteurs » : la phrase est lâchée par Fej. Elle suscitera en ligne, sur Twitter, une vive réaction des internautes aficionados de l’univers du libre. Pourtant, si la finalité de l’appli est bien commerciale, l’animation de la communauté Waze des contributeurs se calque en bien des points sur le projet encyclopédique mondial. « Nous écoutons attentivement la communauté et ils sont une part intégrante du produit ».

À base de rencontres sur les 5 continents (70 meet up par an), d’un wiki clin d’œil baptisé Wazeopedia (« pour la communauté, par la communauté » … Que c’est beau !) et d’un forum géant, les éditeurs de la carte (« map editors ») s’en donnent à cœur joie. Ils obtiennent ainsi des badges, gravissent 6 niveaux, se voient attribuer des zones territoriales de responsabilité de la carte mondiale. Des gratifications façon jeux vidéo pour les ego transis de « pouvoir », car la gamification imprègne la vie de ces participants renseignant Waze.

Ça marche fort, très fort même. Les contributeurs apprécient être reconnus pour leurs apports. Ils possèdent et acquièrent de l’expertise dans le domaine cartographique. Il leur arrive couramment d’aller à des endroits précis,  su le terrain pour corriger les « points d’intérêt » dans l’application. « Leur reconnaissance, c’est d’avoir in fine une meilleure version de l’appli. Waze est comme un jeu » ajoute-t-il ; un jeu sans fin ?

Waze : appli d’urgence et de circonstance… qui sait avant les services de secours ?

La réalité rattrape souvent la fiction. Les créateurs de Waze avaient-ils imaginé, que soudainement, à l’automne 2012 à l’occasion du dramatique ouragan Sandy ayant touché la Côte Est des États-Unis, l’appli puisse servir à ses utilisateurs-contributeurs pour signaler les stations-service encore ouvertes avec du précieux carburant ? Même la Maison-Blanche l’a reconnue !

Depuis cet épisode, la prise de conscience est effective, car comme le dit le speaker providentiel sur scène « une ville est une communauté de personnes connectées » et les diapositives de décliner alors, des partenariats avec des collectivités territoriales avec une fourniture respective de données. « Ce peut être le cas pour visualiser le trafic en temps réel comme lors d’une course à pied à Versailles » mais aussi lors de dispositifs d’urgence où un accident peut être repéré par l’appli 4 minutes avant que les services de secours ne l’apprennent. Oui : 63% des appelants aux numéros d’urgence ne connaissent pas avec précision l’adresse où ils se trouvent en cas de réel problème.

Le futur de la mobilité : les automobiles comme capteurs

« Toute automobile est aujourd’hui un capteur ». Elle comprend, sollicite, emmagasine et est source de données ; un véritable smartphone à roulettes. Toutefois, le véhicule lui-même est un souci dans notre univers urbain : il est seulement utilisé 4% du temps, prend énormément de place.

Dans la ville, les routes occupent 7% du territoire, les parkings, 14% soit presque autant que les commerces (18%).
Objectif numéro 1 des autorités locales : fluidifier le trafic et supprimer les bouchons.

La fin des conducteurs de voiture… pour dans 15 ans

Phrase-clé de la matinée à E-Commerce One to One. Dixit Waze : « Les enfants qui ont aujourd’hui moins de 5 ans n’auront pas de permis, ne conduiront pas et n’auront pas de voiture ». Bref, les conducteurs deviennent des passagers, voitures autonomes obligent et l’automobile, un service comme un autre !

Le développement de l’occasion, de l’autopartage et de la location sonnent comme des évidences : pourquoi encore posséder un véhicule à plein temps ?

Derrière ce message-choc, l’idée qui se trame est de réfléchir à l’évolution des usages de l’auto. La tendance est lourde et tenace comme un pitbull : on vend désormais plus de trajets et d’usages d’un véhicule que l’appropriation du 4 roues.

Boulot – Auto – Données

Avec son service, Waze Carpool (autrement dit covoiturage), on comprend alors mieux l’intérêt de saisir la balle au rebond du passage d’une économie du conducteur à une économie du passager. Business is business. Il faut s’attacher à faciliter la rencontre des conducteurs et des passagers dans des trajets courts urbains ; un « matching » pour voyager au quotidien avec des gens de son voisinage jusqu’à son lieu de travail.

Certes, la firme rattachée à Google n’est pas la seule sur ce marché du « navetteur » (cf. les BlaBlaCar, iDvroom, Wayzup ou Karos), mais elle possède un sacré avantage bien au chaud dans sa besace : « la compréhension de cet algorithme et de ces données : comment se déplacent les personnes dans les villes avec leurs véhicules dans un périmètre de 40 kilomètres. Donc, ce pourra être utilisé pour les voitures autonomes ».

L’application dédiée Waze Carpool fonctionne déjà en Californie, en Israël, est en cours de lancement au Brésil et si l’on écoute aux portes, il se susurre que le service pourrait voir le jour en France dans de grandes agglomérations dès 2019.

Covoiturage et personnalisation : couple idéal

Fidèle à sa manière d’itérer dans les développements, l’ingénieur Fej n’est pas avare des transformations en cours dans ce nouveau service : « Nous avons une nouvelle version basée davantage sur la personnalisation. On s’est ainsi rendu compte que les femmes préfèrent covoiturer avec des femmes pour des questions de sécurité. En parallèle, on a développé un service orienté pour les employés en entreprises, spécialement pour les collaborateurs de la même société qui vivent dans le voisinage et peuvent prendre le même mode de transport. Aussi, parce que le parking est un problème pour les entreprises ; une source de coûts pour les organisations ».

Réhabiliter la publicité de voisinage

Si la révolution mobile (smartphone) est bien en marche, celle de la mobilité (dans les modes de transports) n’est pas en reste. Waze, comme bien des services basés sur la donnée, or noir du 21e siècle (conjointement avec les algorithmes), essaie de joindre l’utile à l’agréable pour afficher des publicités locales et de voisinage « mobile to store » autrement dit dans la langue de Molière « du mobile au point de vente physique ».

« Nous sommes un média numérique publicitaire au sein des automobiles et la seule entreprise publicitaire qui, du fait de votre déplacement, permet d’afficher de la publicité personnalisée. en prenant en compte votre trajet en temps réel ».

Du média mobile au média capteur de mobilités

Oui, c’est clair… Ça donne à réfléchir comme positionnement : ce type d’application tout à la fois média, régie/vecteur et diffuseur de publicité n’accélère-t-elle pas pour, définitivement, laisser au parking les agences de communication et publicité traditionnelle déjà bien malmenées ?

Qui restera au parking ou partira à la casse ? N’est-ce pas le moment rêvé pour mettre en route ses warnings et klaxonner afin d’ouvrir les yeux sur la voie à adopter : autoroute ? Nationale ou départementale ?

À vous de choisir. Prenez juste le bon virage business pout éviter la voie sans issue.

Le contributeur :

Jean-Luc Raymond est Social Media Manager Senior. Il conseille des grandes entreprises, institutions et organisations non gouvernementales sur leur stratégie de présence en ligne. Il traite des tendances numériques professionnelles et d’usages sur son blog.

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