Y a-t-il vraiment un ancien et un nouveau monde?
Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb
C’est d’autant plus vrai pour des gens plus technophiles ou plus ouverts à l’usage de la technologie qui même sans la comprendre ont fini par intégrer que le cycle d’obsolescence des technologies comme des idées devenait de plus en plus court. Quitte à brûler ce qu’ils ont adoré pour le plaisir d’encenser la nouveauté, peu importe que le progrès soit réel ou pas ou, à l’inverse, quitte à ne jamais rien faire car une nouveauté arrivera demain.
Ancien contre nouveau : réalité ou vision manichéenne ?
Alors bien sûr, il est évident que le monde d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’hier et que celui de demain sera encore différent. Que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, que cela nous plaise ou non.
Alors bien sûr il y aura toujours des gens qui s’accrocheront au status quo et d’autres qui tenteront de le faire voler en éclats.
Mais est-ce si nouveau ?
De mémoire, il en a toujours été ainsi et si la querelle des anciens contre les modernes a toujours existé elle n’a jamais été aussi paroxysmique qu’aujourd’hui. Peut-être parce qu’avant la querelle portait souvent sur des valeurs ou des modes de pensée, alors qu’aujourd’hui elle porte sur des modes d’action, ce qui rend les choses beaucoup plus concrètes. Peut-être.
Ce qui caractérise la nouveauté c’est sa radicalité
Ancien et nouveau monde ont de tout temps cohabité. On a toujours été dans un monde qui change. Il y a toujours eu du monde à l’avant-garde, du monde à l’arrière-garde et des gens au milieu.
Ce qui change est la radicalité de la nouveauté, terme que je vole volontiers au livre de Cécil Dijoux et qui s’applique parfaitement à la situation actuelle même si tout ne vient pas, loin de là du numérique (d’un autre côté vu que le numérique est un mode de vie son impact va bien au-delà de ce que l’on pense). Par radicalité j’entends deux choses.
La première est l’ampleur du saut entre l’avant et l’après, l’ampleur du changement. La seconde est la vitesse à laquelle ce changement se produit.
On a donc toujours des gens devant, toujours des gens derrière, mais avec un écart plus important que jamais et finalement plus grand monde au milieu.
Quand peut-on dire que le changement est accepté ?
Ce qui peut éventuellement poser problème et explique peut-être la violence des critiques de chaque monde envers l’autre. Quand peut-on dire qu’on a basculé dans l’après ? Que le changement a eu lieu ?
Quand il est acquis pour 30% de la population ? 50% ? 75% ? Si l’arrière-garde devient proportionnellement de plus en plus importante n’y a-t-il pas un risque que l’élastique craque ? Que la dynamique de changement permanent s’interrompe et que tout le monde fasse du sur place ?
On pourrait dire « tant pis pour les trainards, ça permettra aux autres d’aller plus vite ». Oui mais aller plus vite pour se retrouver sans collaborateurs compétents ou sans clients c’est dommage. Aller plus vite si le corps social ne suit plus c’est gênant.
Rien d’humaniste dans mon constat. Simplement, quand on construit un nouveau modèle (économique, organisationnel, social, sociétal, politique…) on a ensuite besoin des autres pour qu’il fonctionne sinon il ne sert à rien. Autant déclarer l’indépendance de son jardin ou aller créer une entreprise sur une île déserte. Si on le fait c’est pour le faire adopter à tous ou en tout cas au plus grand nombre sinon ça ne sert à rien, ça ne fonctionne pas.
Tous de l’ancien monde
Quelques critiques véhémentes (et quasi-perpetuelles) du nouveau à l’ancien monde finissent par m’exaspérer par leurs positions manichéennes, notamment dès que l’on parle de numérique.
Si on part du principe qu’on est dans un monde en changement perpétuel tout le monde fait partie des deux mondes en même temps, reste à savoir à quel degré. Tous les chantres du nouveau monde sont par définition nés dans l’ancien et pour la plupart peuvent lui dire merci pour l’éducation qu’il leur a fourni, les carrières qu’ils y ont faites, etc. Ils seraient bien en peine de mener l’avant-garde aujourd’hui sans ce que leur a donné l’ancien monde.
Alors rien ne sert de critiquer et vilipender à tour de bras comme je le vois trop. Car à la fin l’ancien monde aura rejoint le nouveau, a ce moment le nouveau deviendra le nouvel ancien, une autre avant-garde mènera le changement et ça sera reparti pour un tour.
Autant garder son énergie pour faire avancer les choses.
Et pour finir souvenons nous de ce qu’un passé très récent nous a appris.
Le e-commerce devait tuer le commerce traditionnel ? On se rend bien compte aujourd’hui que le vrai sujet c’est de les faire travailler ensemble.
L’intelligence artificielle devait tuer l’emploi ? Il est de plus en plus réaliste de penser que la question est moins le remplacement de l’homme par la machine que l’articulation des deux.
Bref, il est temps de cesser d’avoir une pensée binaire et de comprendre que le monde dans lequel nous sommes ne s’analyse pas en termes de « ou » mais de « et ».
L’expert:
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
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