Les secrets de l’événement digital ou entrepreneurial réussi
Ceci est une reprise un peu élaborée d’un petit coup de gueule personnel sur Facebook en ce mois de juin 2015. C’est moins percutant, mais plus argumenté et avec quelques propositions à la clé !
Ce mois de juin 2015 était à l’image des derniers mois : une hypertrophie d’événements autour du numérique : BIG de Bpifrance, Université du Numérique du Medef, Cross vidéo days, Futur en Seine, Conférence du Numérique de Paris, Assemblée Générale de l’EBG et conférence Hellow Tomorrow pour ne citer que les plus importants et uniquement sur Paris. Ils faisaient suite à de grandes manifestations en région comme le Web2day de Nantes qui avait lieu début juin. Et je n’évoque même pas la flopée de petits événements et la profusion des concours de startups organisés par les grandes entreprises, les agences de communication et autres organisations.
L’origine de l’overdose ?
Nous assistons à une véritable overdose d’événements sur le numérique, mis à toutes les sauces sponsorisées. Et ce n’est pas lié qu’au maelström traditionnel du mois de juin qui précède la torpeur estivale française ! Et quand on y est habitué, la dose d’ennui que l’on y ressent grandi de conférence en conférence.
Comment interpréter cette pléthore d’événements ? C’est un mélange de bulle entrepreneuriale, de bulle de l’innovation ouverte déclenchée avec plus ou moins de bonheur par les grandes entreprises, de bulle de la transformation numérique déclenchée ou subie par ces mêmes entreprises, de bulle du baratin sur le digital, de bulle des événements IRL (in real life) qui décrivent la manière de s’en passer, de bulle des prévisions et de bulle des bulles qui s’additionnent les unes aux autres.
Certains de ces événements sont anciens et rôdés (l’AG de l’EBG a 17 ans, Futur en Seine a été créé en 2009) tandis que d’autres sont nouveaux (comme le BIG de Bpifrance ou la conférence numérique du MEDEF). Certains sont ouverts à tous (BIG, Futur en Seine), d’autres à un public plus restreint. Les thématiques à la mode génèrent leur propre vague d’événements nouveaux comme dans les objets connectés ou la transformation numérique qui s’ajoutent aux événements existants.
Ces bulles ne sont malheureusement pas corrélées par une augmentation proportionnée de la qualité des intervenants et des conférences ! Même les bons intervenants que l’on voit souvent ont tendance à s’user dans la niaque oratoire ! Les intervenants ont tendance à radoter dans ces différents événements. Combien de fois par exemple entend-on qu’il faut accepter le risque dans la culture française pour encourager l’entrepreneuriat ? Et d’expliquer soit en plein que l’entrepreneuriat en France est merveilleux soit en creux que c’est un enfer.
La bonne parole se doit d’être rare. L’orgie de parole et d’écrits les banalise. Le silence de la réflexion devient la rareté du moment. Chut ! Shut down ! Ou dure sera la chute ! Comme après l’éclatement de la bulle Internet en 2001, on pourrait assister d’ici peu à une décrue de ce déluge d’événements.
Mais n’exagérons pas tout de même ! Des entrepreneurs et intervenants de renom et de qualité s’expriment dans ces différents événements. Une bonne part d’entre eux font l’affaire. Le principal écueil vient du format des conférences qui ne se renouvelle pas assez.
Les mauvaises pratiques dans les événements
Le pire ? Les conférences articulées principalement autour de tables rondes. Elles sont généralement fort ennuyeuses car sans grand clivages. Les intervenants qui ne sont pas leur propre patron ne prennent pas beaucoup de risques dans leur prise de parole. Ils sont très lisses. A contrario, des entrepreneurs tels que les excellents Xavier Niel ou Henri Seydoux (Parrot) peuvent tout se permettre. Qui plus est, certains intervenants sont des sponsors que l’on ne bouscule pas trop car ils financent l’événement en question. Plus il y a de sponsors et d’intervenants de sponsors en proportion de l’ensemble des intervenants d’une conférence, moins on aura d’humour et d’autodérision, de prise de risque et d’imprévu et plus on a de chances de s’ennuyer ferme !
A force d’aligner un trop grand nombre d’intervenants, les interventions sont paradoxalement trop courtes et assez mal illustrées. Le format s’est d’abord appliqué aux startups à qui on demande de présenter leur concept en mode “elevator pitch” de 10, puis 5, voire trois ou une minutes. Cela permet d’en enquiller beaucoup et de témoigner qui de la vibrance d’un écosystème local qui de la panoplie des startups incubée ou accélérée à tel ou tel endroit. Mais cela témoigne in fine d’un manque de respect pour leur travail. Surtout si dans le même temps, les elevator pitches ont été précédés d’interminables préliminaires d’intervenants d’entreprises traditionnelles ou de notables locaux.
Seulement voilà, la méthode de l’elevator pitch est maintenant appliquée aux autres intervenants. Les événements appliquent trop basiquement un principe qui vient de la mobilité et qui est inspiré de la compréhension plus ou moins bonne que l’on a des comportements des génération Y et Z : l’attention des audiences diminuant d’année en année, on en vient à réduire la durée de la prise de parole au minimum. Au point qu’il devient difficile d’élaborer une idée un tant soi peu complexe ou subtile. Comme les études scientifiques indiquent que l’attention moyenne d’une audience est de 12 minutes, on en vient à en faire le format “long” des conférences. Heureusement que cela ne s’applique pas (encore) à l’enseignement !
Une bonne part de l’assistance n’en a cure car elle vient aux événements pour “schmoozer”, à savoir développer et entretenir son réseau. Mais un événement qui n’est dédié qu’au réseautage ne fonctionne pas bien. Il faut que l’on y apprenne quelque chose tout de même !
Quelques bonnes pratiques
A observer tous ces événements, leur scénographie mérite d’être encore plus revisitée que le casting ! Il existe pourtant des recettes bien connues pour réussir un événement, quel que soit le domaine !
En voici quelques-unes qui font généralement mouche surtout quand elles sont combinées les unes aux autres :
Alterner les formats d’intervention. C’est le cas de la conférence LeWeb qui alterne les keynotes et les tables rondes. Il ne faut pas abuser des tables rondes car, sinon, c’est l’endormissement garanti pour l’audience ! Au passage, ils n’est pas nécessaire d’aligner des dizaines d’intervenants. Dans une bonne conférence, l’audience retiendra les interventions d’un maximum de trois à cinq bons intervenants. A contrario, il vaut mieux éviter d’organiser une conférence avec un seul intervenant, comme les Show Hello d’Orange où l’on a sur scène le choix entre Stéphane Richard et Stéphane Richard, qui lit soigneusement son prompteur !
Agrémenter visuellement les interventions avec des vidéos ou des démonstrations. C’est évidemment plus facile en démontrant un drone hélicoptère qu’avec les concepts de la transformation numérique. Une bonne structure d’organisation de conférence devrait vérifier en amont les supports de présentation des intervenants et leur proposer des améliorations si nécessaire, pour éliminer ou simplifier les slides pas assez visuels et supprimer les slides comprenant des “bullet points”. Histoire d’éviter le syndrome de la “mort par Powerpoint” ! On objectera bien entendu que c’est difficile, surtout quand les intervenants fournissent leurs supports au dernier moment. Mais on peut tout de même essayer !
Mettre en avant les gens qui savent prendre le risque de provoquer. En général, ils n’ont pas de chef ! Cela concerne aussi les animateurs. La provocation, c’est aussi la capacité à véhiculer une forte charge émotionnelle vers l’audience, comme on le voit parfois dans les conférences TEDx et TED. Il existe une technique souvent employée, dite de la “révélation”. Un intervenant projette une forte charge émotionnelle sur une personne qui n’est pas là (une adolescente opérée du cœur, un enfant autiste, le père de l’intervenante, etc) et celle-ci est appelée sur scène à la fin de l’intervention.
Dans les tables rondes, assembler des intervenants qui ont des positions très différentes. Et les faire animer par des personnalités, journalistes ou autres, qui savent poser tout haut les questions que la salle se pose tout bas, avec ou sans Twitter wall. Exemple généralement marquant : la table ronde finale des Universités d’Eté du SNPTV (le syndicat de la pub à la TV) qui associe les patrons des grandes chaines TV. Quand vous mettez Nicolas de Tavernost et Nonce Paolini dans un panel, vous avez mécaniquement un bon spectacle, même si la formule s’use avec la répétition.
Intégrer l’audience dans la conversation, d’une manière ou d’une autre. L’interactivité démarre avec les fameux twitter walls plus ou moins modérés et fonctionne encore mieux avec des questions directement posées par l’audience. Cela fonctionne quelle que soit la taille de l’audience. Si il n’y a pas de questions, c’est mauvais signe. Cela signifie en général que l’intervention ou le débat ont été trop consensuels ou bien inintéressants ! Les questions posées peuvent aussi provenir de “zozos” qui exposent leur problème personnel, sont hors sujet ou la ramènent pour faire leur promotion plutôt que de poser une véritable question. Cela arrive et est difficile à éviter. Cela arrive moins quand l’audience est bien qualifiée.
Si vous faites venir un politique – Ministre ou autre, privilégiez la discussion avec un animateur au discours introductif lu. Ces discours sont généralement très formatés et ennuyeux. Rares sont les politiques qui s’en écartent plus de 5%. Dans des questions/réponses, le free style et la spontanéité sont meilleurs. On l’avait vu notamment avec Arnaud Montebourg à Leweb 2013. Il était à côté de la plaque sur certains points mais au moins le spectacle était là ! Il en va de même avec Axelle Lemaire que l’on croise dans de nombreux événements sur le numérique. Elle sera meilleure en échange qu’en discours. Evitez au passage les interventions de politiques via Skype. Cela a 95% de chances de mal se passer, comme l’ont expérimenté les organisateurs du Web2day 2015 !
Intégrer des interventions qui vont élargir la perspective. Cela peut nécessiter de faire appel à des sociologues, des chercheurs, des prix Nobel, ou simplement de casser le rythme du ron-ron des sujets habituels. C’est ce que j’ai proposé à plusieurs reprises aux organisateurs du Web2day de Nantes en intervenant tour à tour sur la valeur émotionnelle des objets connectés, sur les entrailles des semi-conducteurs et sur le séquençage de l’ADN et ses applications, des domaines où je n’étais pas particulièrement attendu (pour les deux derniers en tout cas). A Leweb en 2012, on pouvait apprécier l’intervention d’un gars de la NASA qui avait développé le logiciel du rover Curiosity qui avait atterri sur Mars quelques mois auparavant ! C’était passionnant, et bien numérique ! C’est aussi, semble-t-il l’approche de la conférence Hellow Tomorrow organisée par Xavier Duportet. Une bonne conférence donne l’impression à l’ensemble de l’audience qu’elle a appris ou découvert quelque chose de nouveau et eu l’envie de creuser !
Inviter des intervenants étrangers et notamment anglo-saxons. Ils maitrisent généralement mieux que nous l’art oratoire. Surtout s’ils sont dans les catégories précédentes ! Les grands événements numériques français sont bien trop franco-français en général ! Se pose la question de la langue utilisée dans la conférence. Tout en anglais ? Mix d’anglais et de français ? Cela dépend de la proportion d’étrangers. Si les étrangers ne sont que les intervenants, le reste de la conférence peut rester en français. Sinon, l’anglais est de rigueur. Cela va augmenter la difficulté pour les intervenants français qui en général s’expriment assez mal dans la langue de Shakespeare. Mais on n’a pas le choix. Et si on veut développer la dimension internationale de nos startups, c’est un point de passage obligé !
Ne pas hésiter à faire intervenir des artistes et intégrer des performances. Cela peut être du hip hop comme on a pu le voir il y a quelques années à Leweb ou récemment à la conférence Xtrem’Up à Montpellier. A Leweb, on a aussi eu des magiciens comme Marco Tempest, utilisant le numérique dans leurs tours. C’est aussi le format des conférences TEDx qui intègrent souvent un ou deux artistes au milieu des interventions classiques d’entrepreneurs, chercheurs et autres activistes. Et vous avez aussi l’excellentissime Vinvin capable d’intégrer du numérique, de l’entrepreneuriat et du défi personnel dans un format café-théâtre inénarable !
Respecter un tant soi-peu la diversité dans le choix des intervenants : hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, etc. Vous mettez Alexandre Malsch de Melty au milieu d’une table ronde de l’Université d’Eté du MEDEF et cela change de gueule ! La mixité devrait être la règle dans les conférences, tant au niveau des keynotes que des tables rondes et ont en est encore bien loin.
Lorsque l’on en a les moyens et le temps, on peut envoyer les intervenants en média training où s’assurer qu’ils en ont déjà bénéficié lorsque l’on fait le casting. C’est la méthode utilisée dans les conférences TEDx. Pour les TEDx Paris et TEDx CE Women, les intervenants sont formés par la société Brightness ce qui est d’autant plus utile pour ceux d’entre eux qui n’ont pas encore l’habitude d’intervenir en public. On y apprend à raconter une histoire et à captiver son auditoire. Même si cela fonctionne de manière inégale selon l’histoire.
Intégrer un bon habillage musical à la conférence : avant la conférence, avec des jingles entre les interventions, etc. La charge émotionnelle de la musique est toujours très forte. Une bonne conférence véhicule de l’émotion ! Faciliter bien évidemment le réseautage entre les participants qui doit compléter la qualité de l’événement lui-même. Il faut surtout de la place et du temps pour le faire. La qualité d’un événement est souvent liée au niveau de ciblage et de qualification des participants, corrélé par celui des intervenants. Des CEO de grandes entreprises sur scène vont ainsi mécaniquement attirer dans l’assistance des “C-level” (niveau VP) et ainsi de suite.
Heureusement, une bonne partie de l’audience de ces événements se renouvèle régulièrement, notamment avec les plus jeunes. La première fois, ils seront émerveillés d’entendre voire de croiser un entrepreneur connu médiatiquement. Il y a des événements gratuits ouverts à tous (comme le BIG de Bpifrance et ses plus de 10000 participants) et des événements payants plus élitistes (style LeWeb dont les places vont de 300 à 2300 euros ou l’AG de l’EBG qui est réservée à ses membres).
Aligner toutes les recettes citées ci-dessus pour créer un bel événement n’est bien évidemment pas aisé, surtout quand les moyens sont limités. Plus l’événement est important et bien financé, plus c’est facile, si l’organisation se pose les bonnes questions.
Mais même avec peu de moyens, il est possible d’alterner les formats d’interventions, de rendre celles-ci plus illustrées et visuelles, de faire intervenir des gens originaux et un peu hors spectre et d’intégrer un bel habillage musical tout en payant la Sacem comme il se doit ! Reste à créer une Agence de Notation des Evénements… (âne) :).
Conseils aux entrepreneurs
Qu’en est-il maintenant des conseils pour les participants à ces conférences, notamment pour les entrepreneurs en herbe ou en terre ? L’entrepreneur Arthur Attwell basé en Afrique du Sud résumé bien la situation dans “Why I won’t run another startup“. Il y décrit un phénomène aussi courant en France : les startups sont trop souvent les produits et des faire valoir des grandes entreprises, des organisateurs d’événements et des médias spécialisés dans l’entrepreneuriat. Ils leur font perdre beaucoup de temps et d’énergie !
Il donne un excellent conseil, qui était déjà dans le Guide des Startups : focalisez-vous tant côté événements que médias sur ceux de votre secteur d’activité. Evitez les événements fourre-tout et généralistes où vous avez peu de chances de trouver des clients et influenceurs de votre marché !
Par contre, les événements généralistes peuvent être pertinents pour vous si votre startup n’est pas encore créée et que vous cherchez des conseils génériques sur la création d’entreprise et aussi à constituer votre équipe de cofondateurs. Vous y rencontrerez aussi des investisseurs potentiels. En gros, il faut savoir gérer son temps avec précision entre les phases d’amorçage de votre startup et les phases de commercialisation qui suivent. Et il faut doser la provocation de sérendipité qui joue toujours un bon rôle dans le devenir d’une startup !
Bon, aller, je dois arrêter car j’anime bientôt une table ronde sur l’uberisation à Futur en Seine… Et l’arroseur sera bientôt arrosé !
Crédit photos : François Tancré, soirée Rok Solution.
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Très bon article et analyse, et, c’est toujours agréable de lire vos travaux Olivier.
Face à ces nombreux événements, quels sont les critères à prendre en compte ?
Je retiens de l’article :
– La spécialisation des événements vs. des événements très généralistes
– Le niveau des speakers qui attireront une audience plus ou moins intéressante
– L’ancienneté de l’événement qui garantit en quelque sorte la valeur des éditions précédentes.
En tout cas merci, en espérant lire de nouveaux articles bientôt.