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Les idées (presque) neuves du rapport Charon pour la presse

Il fallait bien un rapport de 106 pages et 72 sous-parties pour raconter la grande crise qui bouleverse les médias traditionnels. C’est le sociologue et ingénieur Jean-Marie Charon, rompu à l’exercice, qui s’est chargé de rendre un rapport ce mois de juin à la ministre de la Culture Fleur Pellerin. Mais tout n’est pas noir dans un secteur qui cherche à réinventer son modèle économique; «il y a également un versant positif» à identifier, assure le ministère qui, chaque année, alloue plus de 400 millions d’euros d’aides directes à 200 titres de presse, et 700 millions si l’on inclut les aides indirectes (TVA réduite, exonérations fiscales, entre autres).

Le rapport de Jean-Marie Charon opère un tournant dans l’approche du secteur vis-à-vis des nouvelles technologies. Pour la première fois, un document destiné à l’institution – qui prélude souvent la loi, n’oppose plus frontalement l’encre de l’imprimerie à l’ogre sans visage d’«Internet». Il faut «parler de numérique pour évoquer la mutation actuelle (plutôt que d’Internet)», prévient l’historien des médias en France*.

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  • Pour les publicitaires : les vieilles recettes, sans RTB ni achat programmatique

 

Les professionnels des médias apprendront ainsi ce que, peut-être, ils savent déjà : il faut trouver de nouvelles recettes publicitaires quand celles-ci sont «aspirées par les plus puissants (Google, Facebook, etc.)», et que le modèle de la gratuité dicte le comportement des lecteurs.

Une fois le décor replanté, le rapport relève l’importance des nouveaux intermédiaires : les fournisseurs d’accès (FAI), les moteurs de recherche dont l’ogre des contenus Google, les réseaux sociaux qui assurent la viralité, ou encore les plateformes d’hébergement de musique ou de vidéos. Derniers intermédiaires pointés par le chercheur, les supports mobiles qui impactent directement la chaîne de distribution des contenus. Ce sont autant d’«infomédiaires»; le nouveau terme choisi pour décrire l’éclatement du paysage publicitaire.

En revanche, ce rapport 2015 ne se penche que brièvement sur «l’Ad exchange» qui optimise les achats publicitaires. Aucune analyse détaillée des technologies «programmatiques» ou des places de marché «RTB». Un choix qui peut surprendre lorsque l’on sait qu’elles permettent de réorganiser la chaîne des revenus publicitaires. Sur la forme, c’est le format du «native advertising» qui est cité par l’expert.

Côté revenus, le salut se trouve donc plutôt sur les nouveaux formats avec l’exemple des «vidéos publicitaires». Des formats qui, précise-t-on, doivent être accompagnés de solutions techniques ergonomiques pour ne pas perturber la lecture de l’article.

Voir : 7 campagnes de native advertising plutôt réussies

«Face au recul d’ensemble des ressources publicitaires, à commencer par la presse quotidienne, une exigence se fait jour de renouveler et diversifier l’offre des supports, ainsi que les modes de valorisation de ceux-ci», explique le rapport.

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  • Pour les revendeurs et les kiosques : la disparition, sans plan B

 

Concernant la distribution et les revendeurs physiques, Jean-Marie Charon pose un constat plutôt pessimiste. Après avoir rappelé qu’«un millier de points de vente ont fermé en France en 2014», il observe que «le système de distribution doit se redimensionner et renouveler ses activités, face à la diminution du nombre de points de ventes».

Là encore, on peut s’étonner de l’absence de développements sur l’expérience des kiosques numériques, telles les solutions ePresse, lancé en grande pompe par le secteur en 2011, MonKiosque.fr, ZePresse, Relay.com, ou encore Zinio.com. Ces nouvelles plateformes de ventes de titres avaient pourtant reçus d’importants investissements. Sans doute faut-il comprendre qu’elles ne sont pas une solution viable et pérenne à la baisse des ventes en kiosques.

  • Pour les entrepreneurs : tout est possible dans le grand «bouillonnement»

 

Désormais, plus besoin de rotatives pour lancer un nouveau média. Résultat, si les coûts sont faibles au début de l’aventure, les investissements des nouveaux médias doivent pourtant s’inscrire «dans la durée», note le chercheur. Il faut «expérimenter» et trouver «les personnels compétents».

A noter aussi qu’en France, dans un paysage média occupé par des investisseurs privés et l’État, la volonté d’innover est particulièrement pressante. Ce sont ainsi plus de 300 entrepreneurs des médias qui ont répondu entre avril et mai à l’appel à projets «Média citoyen et de proximité» lancé par le ministère et doté de 1 million d’euros, d’après nos informations. Une appétence française pour «les pure players d’information» et «les pure players de contenus» (information et services) que souligne le rapport Charon. Entre 2010 et 2015, «une grosse quinzaine de nouveaux sites d’information ont été créés (dont Contexte, Brief.me, Factamedia, Readers, TheConversation, etc.) 

Ces nouveaux médias reposent sur de nouvelles méthodes de travail : «le recours aux freelances est généralisé. Le bénévolat n’est pas rare», indique le rapport. Les profils de ces entrepreneurs sont «des journalistes très jeunes ou trentenaires». Pour satisfaire ce foisonnement, Jean-Marie Charon préconise la création de programmes de soutiens (concours, prix, bourses). Un conseil qu’entend d’ailleurs suivre le ministère qui souhaite lancer de nouveaux programmes d’aides en 2015.

Côté modèle, le rapport Charon montre que la plupart de ces jeunes-pousses font le pari de l’abonnement, plutôt que de la publicité. Les modèles payants et gratuits sont aussi privilégiés.

  • Pour les patrons de presse : ouvrir des «Labs»

 

En 2015, on ne soutient plus un média uniquement pour soutenir une certaine idée de la liberté d’expression. Dans un paysage concurrentiel et atomisé, le patron de presse est à la tête d’une «marque média» qui doit «se diversifier», indique le rapporteur. Les dirigeants doivent mettre régulièrement en place «les moyens techniques de remise à niveau, dans un univers extrêmement mouvant», souligne-t-il. Pour rester à la pointe du changement, il est d’ailleurs recommandé de développer en interne une cellule «Lab», notamment pour accueillir de nouvelles start-up dans une structure dédiée, de type incubateur. 

Du côté des rédactions, le rapport pointe des positions relativement conservatrices :

«A ce niveau se pose la question d’une proportion encore insuffisante en France de directeurs de rédactions, de rédacteurs en chef, voire cadres intermédiaires qui soient issus du numérique ou aient exercé dans celui-ci».

  • Pour les lecteurs : l’individu dans la communauté

 

Le lecteur n’est plus passif. Il est désormais ce que le rapport nomme un «usager-acteur, récepteur d’informations, fournisseur», et parfois aussi «financeur» dans le cadre de projets sur les plateformes de crowdfunding. Les lecteurs seront aussi amenés à participer à la création des contenus, à leur co-réalisation, dans une logique anglo-saxonne de «user-centric». C’est l’ère du «lecteur-utilisateur».

Du reste, cette nouvelle forme d’engagement forme non plus un «lectorat», mais de nouvelles communautés. «L’objectif est de gagner et de développer des communautés de lecteurs fidèles, à la recherche de contenus originaux et de belle facture formelle», écrit l’expert.

Google orchestre la réflexion

Au final, dans cet océan de constats, difficile de prédire dans quel moule le paysage français va devoir se fondre. Les modèles économiques américains, qui ont levé des millions de dollars en 2015, ou qui pensent même à s’introduire en Bourse comme Buzzfeed, sont aussi absents de la réflexion, principalement centrée sur les titres hexagonaux.

Quand à Google, il est replacé dans son rôle traditionnel : sous le feu des inquiétudes et de la critique. Le rapport illustre aussi la relation ambigüe qu’entretient la presse française et européenne avec l’Américain. Mais alors que les principaux médias ont accepté les 150 millions d’euros du FINP (Fonds pour l’innovation numérique) n’est-on pas déjà dans l’étape d’après? En bonus avec son fonds, Google propose déjà des «ateliers d’échanges» et des «groupes de travail» avec les grands médias français et européens pour tracer les contours de la presse de demain. Ces réflexions orchestrées par Google débouchent déjà sur l’«invention d’un nouvel écosystème».

Lire : Google crée un nouveau fonds européen de 150 millions et met la presse en ordre de marche

Voir aussi : Ces titres de presse qui lèvent des millions.

* Ouvrages Presse / Histoire : La presse en France de 1945 à nos jours (Point-Seuil, 1991.) * L’éthique des journalistes au XXe siècle. De la responsabilité devant les pairs aux devoirs à l’égard du public, Le temps des médias, 1, Paris, Nouveau monde éditions, 2003, p. 200-212.

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